Lorsqu’on boit et qu’on fume en même temps, il y a comme un effet d’entrainement : plus que l’habitude, c’est le "craving" qui explique les modes de consommation croisés de ces deux substances addictives.
On le constate bien souvent, lors de soirée ou d’autres événements, boire de l’alcool incite à fumer du tabac, et fumer incite à boire. Est-ce simplement dû à l’ambiance ou un effet d’entraînement par les autres ?
Des enquêtes statistiques suggèrent que les fumeurs et les personnes qui boivent ne sont pas des populations mutuellement exclusives. Le premier est 4 fois plus susceptible que la population en général d'être dépendante de l'alcool, le second est 3 fois plus susceptible de fumer. Deux grandes hypothèses peuvent expliquer cette observation. La première suggère que la consommation de tabac et d'alcool sont toutes les deux corrélées avec des traits de personnalité spécifiques. La seconde plus mécanistique, suggère que les mécanismes d’actions des deux drogues s’influencent l’un l’autre aboutissant à la surconsommation.
Les chercheurs se sont penchés sur ce phénomène en procédant à des études expérimentales chez les humains et aussi sur des rongeurs.
Chez l’homme, pour tester l’effet de l’administration de nicotine sur la consommation d’alcool, les chercheurs ont d’abord donné une petite dose d’alcool puis de nicotine sous forme de cigarette ou de patch et enfin ils ont mesuré la consommation d’alcool qui s’en suivait. Les résultats de ces études sont assez discordants, avec des augmentations dans certaines expériences, pas d’effet dans d’autres. Ces différences pourraient être dues à des variations dans les quantités de nicotine administrée dans les différentes études.
Par contre chez les rongeurs, les résultats sont plus homogènes. Suite à l’administration de nicotine les animaux augmentent notablement leur consommation d’alcool. Le mécanisme expliquant cela résiderait dans l’effet de la nicotine et de l’alcool sur les circuits dopaminergiques. Alcool et nicotine augmentent la libération de dopamine dans le noyau accumbens, via l’activation des neurones à dopamine de l’aire tegmentale ventrale. Lorsque les 2 produits sont pris en même temps ou lorsque le taux de nicotine dans le sang reste constamment élevé, leurs effets sur la dopamine sont additifs, ce qui pourrait expliquer l’appétence croisée pour l’un et l’autre produit. Par contre, lorsque la nicotine est administrée en dose unique avant l’alcool, l’augmentation de dopamine provoquée par l’alcool est nettement atténuée et les animaux augmenteraient leur consommation pour compenser la baisse de l’effet de l’alcool. Des études poussées suggèrent que les effets croisés des 2 produits seraient dépendants du type de récepteurs à la nicotine présents dans le cerveau, par contre il n’est encore très claire si l’alcool agirait directement sur les récepteurs à la nicotine ou si les interactions passent là encore par les circuits dopaminergiques.
D’autres travaux menés chez l’homme ont montré que l’envie de boire (le craving) n’est pas modifiée par la cigarette, par contre, une fois qu’on a bu un coup, la motivation à continuer de boire est majorée par le tabac. La nicotine ne modifie pas l’alcoolémie, inutile de fumer pour tenter de la faire baisser. Par contre les effets de la nicotine et de l’alcool sur le rythme cardiaque s’additionnent, le cœur bat encore plus vite si les 2 produits sont associés.
Enfin, l’impact de l’alcool sur la consommation de cigarette a été analysé chez l’homme. Les sujets étudiés étaient le plus souvent des fumeurs réguliers mais des fumeurs occasionnels étaient aussi recrutés. Le protocole consistait généralement à boire un verre et à mesurer ensuite la consommation de cigarette par comparaison à ce qu’il en était après avoir bu une boisson non alcoolisée. Dans les expériences où la nicotine était présentée sous forme de cigarette, la consommation était augmentée sous alcool mais ce n’était pas le cas lorsqu’elle était présentée sous forme de spray ou à priser. Sous alcool l’intervalle entre les cigarettes était raccourci et l’envie de fumer (craving) était majorée. Aucun effet de l’alcool sur la concentration de nicotine dans le sang n’a été objectivé.
Globalement fumer semble moins inciter à boire que boire n’incite à fumer. Chacune de ces drogues a ses effets propres sur la désorganisation du fonctionnement du cerveau ; mais leurs effets s’additionnent lorsqu’ils sont présents tous les deux.
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm
Faure
PhD, DR1 CNRS
Neuroscience Paris-Seine – IBPS
UPMC UM CR18 – CNRS UMR 8246 – INSERM U1130
Equipe Neurophysiologie et Comportement (NPC)