Si certaines substances psychoactives sont utilisées pour prolonger ou améliorer les rapports sexuels, elles peuvent aussi altérer la sexualité et entrainer des problèmes d'addiction
Le terme Chemsex, contraction des termes anglophones « Chemicals » (produits chimiques) et « Sex » désigne la consommation de substances psychoactives dans le but d’initier, de faciliter, de prolonger ou d’améliorer les rapports sexuels à travers les effets des molécules consommées. A travers cette définition, il est important donc d’écarter les rapports sexuels ayant lieu sous les effets de substances sans que la prise soit faite dans ce but comme, par exemple, les consommations en contexte festif qui débouchent sur des actes sexuels.
La pratique du Chemsex est parfois désignée par l’acronyme SDU (Sexualized Drug Uses), signifiant en français : utilisation sexuelle de drogues.
Les premiers éléments historiques précis retraçant une consommation de ces substances en contexte de sexualité se trouvent dans la Rome Antique. On y préparait notamment le Cocetum, un breuvage fait de miel et de pavot à opium, destiné aux jeunes romaines pour les préparer à leurs premiers rapports intimes conjugaux. L’utilisation de l’opium comme stimulant sexuel est aussi retrouvée dans de nombreux traités médicaux arabes et indiens.
Au XVIIIe siècle, Nicolas Venette, médecin français considéré comme un des fondateurs de la sexologie, publie le «Tableau de l’amour conjugal ou histoire complète de la génération de l’homme». Élevé au rang de « premier ouvrage de sexologie en Occident », ce best-seller traite de l’anatomie, de la reproduction, du désir, de l’impuissance et de la stérilité. Il y décrit également de manière très précise, en y intégrant des recettes et des dosages, les effets hilarants de l’opium pour permettre à ses lecteurs de « parfaire les fonctions qui complaisent à Venus », testées par le médecin lui-même.
Sous sa dénomination actuelle, le Chemsex est un phénomène qui a commencé à se développer en particulier en Grande-Bretagne, aux États-Unis et en France à la fin des années 2000 notamment lors de l’arrivée des “nouveaux produits de synthèse” et des cathinones de synthèse, dont la méphédrone a été cheffe de file jusqu’à la fin de la décennie.
Les produits sont habituellement pris immédiatement avant ou pendant la relation sexuelle. Les substances les plus consommées dans ce cadre sont :
L’alcool, le tabac, le THC et les poppers restent très présents en co-consommation de ces substances.
Les cathinones ont une formule chimique qui peut être considérée comme proche de l’amphétamine et de la MDMA. Elles ont donc des effets psychostimulants, entactogènes et hallucinogènes.
Quant au GHB, ses effets dépendent de la dose administrée.
Pour beaucoup des produits consommés, les effets le plus souvent recherchés sont les suivants :
Le Chemsex est principalement pratiqué par les hommes gays et les autres Hommes ayant des rapports Sexuels avec d’autres Hommes (HSH). Une méta-analyse publiée en 2019 a tenté d’établir un ordre de grandeur de la diffusion du phénomène pour la population des États-Unis et de l’Europe occidentale, notamment parmi les HSH. Les 38 études prises en compte estiment une prévalence de pratique du Chemsex de 3 à 29 % chez les HSH. La proportion serait de 17 à 27 % chez les usagers de centres de santé sexuelle aux USA et 29% des usagers d’applications de rencontres géolocalisées.
Les données chez les femmes sont plus rares. Une étude britannique, datant de 2019, basée sur un recrutement de plus de 1500 Femmes ayant des rapports Sexuels avec d’autres Femmes (FSF), rapporte que 17 % d’entre elles pratiquaient le Chemsex.
Les risques inhérents au Chemsex sont multiples :
A noter qu’il faut également prendre en compte un fort mésusage de benzodiazépines pour gérer les symptômes anxieux dans le cadre de la descente (état psychique à l’arrêt de consommation des substances et du manque qui s'ensuit) et des IPDE-5 (=médicament pour les troubles de l'érection) pour les effets secondaires sexuels.
Les risques d’infections sexuellement transmissibles sont fortement majorés chez les personnes qui pratiquent le Chemsex. Cela est favorisé par la négligence de protection des rapports ainsi que la fréquence du « slam », c’est à dire la prise des produits par voie injectable juste avant ou pendant les rapports sexuels. Un travail publié en 2020 et portant sur 2646 HSH a montré que la probabilité d’avoir contracté le virus de l’hépatite C était multipliée par 13,3 chez ceux pratiquant le slam et celle du VIH par 4,7.
A long terme ou à court terme en particulier chez les jeunes usagers, la pratique du Chemsex peut favoriser une vision altérée de la sexualité, l’inscrivant dans une fuite en avant et un besoin de performance, altérant la satisfaction sexuelle globale, et encore plus celle de la sexualité en dehors de consommations de psychoactifs.
La restauration de la sexualité en dehors du cadre du Chemsex et des pratiques liées est d’ailleurs un des principaux enjeux de prise en charge chez des personnes souffrant de problématiques addictives dans ce contexte, l'impact de la sexualité dans la qualité de vie étant reconnue par le monde médical et notamment par l’OMS.
Cessa
Dorian Cessa est psychiatre et sexologue - CHU de Lyon et Marseille
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm