La consommation de cannabis a des effets bien connus sur les yeux, et puis d’autres qu’on découvre tout juste : des yeux rouges à la vision nocturne, vous saurez tout sur son impact sur le système oculaire...
Yeux rouges, hypersensibilité à la lumière ... on pourrait penser au comte Dracula dans le film éponyme de 1992, à Bella Swann après sa transformation dans Twilight, ou encore à Barnabas Collins dans le film Dark Shadows de 2012. Mais il n’y a pas que Blade, le personnage mi-humain mi-vampire incarné par Wesley Snipes, qui porte des lunettes de soleil pour se protéger de la lumière du jour.
Les yeux rouges de lapin russe sont un signe évocateur de consommation récente de cannabis, raison pour laquelle les lunettes de soleil font souvent partie de l’attirail du fumeur. Cette conséquence si visible est due à la dilatation des vaisseaux des conjonctives, une couche transparente de cellules recouvrant l’intérieur des paupières et le globe oculaire, ainsi qu'à une irritation des yeux. En effet le Δ9-tetrahydrocannabinol, plus communément appelé THC, est un vasodilatateur.
Le THC provoque cette vasodilatation par plusieurs mécanismes. Principalement, il diminue l’activité des fonctions autonomes de l’organisme comme le rythme cardiaque ou respiratoire, ou encore la contraction des muscles lisses qui tapissent la paroi des vaisseaux sanguins. Par ailleurs, le THC agit aussi directement sur les récepteurs CB1 présents dans les muscles lisses.
Cette vasodilatation n’entraîne pas seulement des yeux rouges mais peut aussi expliquer la survenue d’hypotension orthostatique, c.a.d. la chute de la pression artérielle lors du passage de la position allongée à la position debout se traduisant par une sensation de malaise. Elle peut aussi expliquer les maux de tête, symptômes fréquents en cas de consommation de cannabis.
Mais à côté des yeux rouges, le cannabis a d’autres effets sur les yeux et le système oculaire parmi lesquels :
la diplopie : vision simultanée de deux images d’un objet ou personne unique,
les troubles de l’accommodation : adaptation permettant d’assurer la netteté des objets quelle que soit leur distance,
la photophobie : hypersensibilité à la lumière,
le nystagmus : mouvement d'oscillation involontaire et saccadé du globe oculaire, et
le blépharospasme : fermeture des paupières de façon répétitive et incontrôlée.
Bien sûr tous ces effets ne surviennent pas systématiquement mais leur fréquence d’apparition semble fortement liée à la dose consommée.
Certains de ces effets ont été étudié plus en détail, notamment au niveau de la rétine. La rétine est une extension du système nerveux central. On y trouve les mêmes neurotransmetteurs que dans le cerveau et, tout comme lui, elle contient des récepteurs CB1 et CB2 auxquels se lient les endocannabinoïdes. Les endocannabinoïdes régulent l’activité des cellules photoréceptrices et donc la transmission de l’information jusqu’à la partie latérale du thalamus où elle sera traitée. De plus, les endocannabinoïdes contrôlent la libération de plusieurs neurotransmetteurs actifs dans le fonctionnement de la rétine comme le GABA, le glutamate ou la dopamine.
En conséquence de nombreux travaux suggèrent fortement un rôle des endocannabinoïdes dans la conversion du signal lumineux en signal électrique, ainsi que dans la sensibilité rétinienne à la lumière et aux contrastes, et enfin dans l’adaptation rétinienne à l’obscurité.
Avec le THC, on pourra donc observer une perte d’information visuelle et une hypersensibilité à la lumière.
Un travail publié en 2016 et mené par une équipe de recherche de Nancy a mesuré chez des fumeurs de cannabis la transmission de l’influx nerveux par les cellules photoréceptrices dont les axones s’unissent pour former le nerf optique. Ces mesures se font par électro-rétinographie, un examen consistant à mesurer l’activité électrique de la rétine après stimulation lumineuse. Vingt-huit fumeurs réguliers de cannabis, abstinents de toute fumette depuis au moins 12h, et 24 sujets témoins non-fumeurs (ni de cannabis ni de tabac) ont été étudiés. Ils ne consommaient pas d’autres drogues, ne prenaient pas de médicaments et aucun n’était dépendant à l’alcool.
Tous avaient un bilan ophtalmologique normal. L’intensité de l’influx nerveux était identique entre les deux groupes. Par contre chez les fumeurs de cannabis, le temps pour atteindre l’intensité maximale du signal était augmenté d’environ 10%. Comme les sujets témoins étaient non-fumeurs et que l’effet du tabac sur l’influx nerveux est connu, il est difficile dans cette nouvelle étude de distinguer ce qui revient au cannabis de ce qui revient au tabac. Néanmoins, le résultat global est en accord avec les notions de ralentissement, sous l’influence du cannabis, de multiples fonctions cérébrales comme les fonctions cognitives, la mémoire, ou les fonctions autonomes.
Le cannabis n’a pas que des propriétés nocives sur l’appareil optique. Il diminue la pression intra-oculaire : c’est pour cette même raison qu’il est utilisé dans certains pays et sous forme médicale pour le traitement du glaucome, maladie des yeux qui touche principalement les personnes âgées. Par ailleurs des observations ponctuelles effectuées chez l’homme suggèrent que le cannabis à forte dose pourrait améliorer la vision nocturne par une stimulation directe des bâtonnets, les cellules photoréceptrices de la rétine actives en luminosité faible.
De là à se transformer en vampire, non, ne rêvez pas… Ces résultats restent à confirmer et l’intérêt potentiel de cette éventuelle propriété du cannabis sera à mettre en balance avec ses effets négatifs sur la fonction oculaire. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir les gènes de vampire de Blade pour pouvoir porter des lunettes de soleil, de jour comme de nuit.
VIDEO BONUS : Blade Bande-annonce VO
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm