L’alcool est génotoxique

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L’alcool est génotoxique

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Parmi les substances qui s’attaquent à l’ADN des cellules, certaines proviennent de la transformation de l’alcool par l’organisme : explications sur la génotoxicité de l’alcool et les risques associés

Publié le: 
10/02/2018

La colonne vertébrale des cellules, celle sur qui repose notre organisme, notre moi, est l’acide désoxyribonucléique (ADN). Il contient toute l'information génétique permettant le développement, le fonctionnement et la reproduction des êtres humains. Bien que protégé à l’intérieur des cellules, l’ADN est néanmoins attaqué par de nombreux agents physiques, dont le plus connu est le rayonnement ultra-violet, ou chimiques, comme les pesticides. Appelés agents génotoxiques, ils provoquent des lésions de l’ADN qui vont, entre autres, favoriser le développement des cancers. L’alcool fait partie de ces agents.

Attaque d'un agent toxique sur l'adn
Attaque de l’ADN par un agent toxique - Inserm/IGBMC - extrait video “Nucleotide Excision Repair (NER)”

La génotoxicité : une attaque de l’ADN

Ce n’est apparemment pas l’alcool lui-même mais les produits de son métabolisme qui sont génotoxiques. Le métabolisme de l’alcool comporte deux oxydations successives : l’alcool est transformé en acétaldéhyde puis en acétate. Autant l’acétate est sans danger pour l’organisme, autant l’acétaldéhyde est une molécule chimiquement très réactive, capable de se coller à des protéines (altérant leur fonctionnement) ou à l’ADN (modifiant l'expression de certains gènes).

Les réactions chimiques du métabolisme de l’alcool conduisent aussi à la production de molécules appelées espèces réactives de l’oxygène (ERO). Elles sont très réactives car elles possèdent sur leur couche périphérique un électron célibataire aussi elles se marient  au plus vite avec une autre molécule. Les ERO les plus connues sont l'anion superoxyde O2.-, le peroxyde d'hydrogène H2O2, ou encore l'ozone O3. Les ERO sont naturellement présentes dans l’organisme ; leur production est contrôlée par leur taux d’élimination via les systèmes anti-oxydants dont les vitamines C et E font partie. En faible quantité, les ERO participent aux mécanismes de signalisation cellulaire qui maintiennent l’homéostasie de la cellule, c.a.d. son état d’équilibre. Par contre  lorsque leur production dépasse les capacités d’élimination, elles provoquent un stress oxydant à l’origine de nombreuses anomalies cellulaires telles que des mutations de l’ADN, des altérations des protéines ou une oxydation des membranes des cellules.

Des travaux de recherche ont pris pour modèle des lymphocytes (une variété de globules blancs circulant dans le sang) provenant de sujets buveurs occasionnels et non fumeurs. Les cellules prélevées, qui avaient la capacité de métaboliser l’alcool, ont été exposées à des doses importantes équivalentes à une alcoolémie de 2 et 4 grammes par litre. L’impact sur l’ADN a été analysé en comptabilisant le nombre de cassures des brins d’ADN. D’autres chercheurs ont utilisé des lymphocytes de rats ayant été soumis à un régime alcoolisé, correspondant pour un humain à une dizaine de verres par jour, pendant 3 semaines. Les résultats des deux expériences étaient concordants : l’ADN des lymphocytes était altéré par l’alcool. Par contre ces travaux ne permettent pas de déterminer qui des ERO ou de l’acétaldéhyde est le plus impliqué et le plus délétère pour l’ADN.

Dans son fonctionnement normal, l’organisme a tout prévu et les cellules possèdent des systèmes de réparations et de régulation qui prennent en charge les dommages ainsi produits. Néanmoins ces défenses ont des limites à la fois quantitatives et qualitatives.

Suppression d'une lésion sur l'adn

Reconstruction d'un brin d'adn
Mécanisme de réparation de l’ADN - Inserm/IGBMC - extrait video “Nucleotide Excision Repair (NER)”

Des dommages sur l’ADN au risque de cancers

L’acétaldéhyde associé à la consommation d’alcool est désormais reconnu comme un cancérigène de classe 1, c.a.d. cancérigène avéré, par l’Agence Internationale de Recherche sur le Cancer. Les cancers dus à l’alcool les plus fréquents sont ceux de la cavité buccale (en particulier la langue), du pharynx et du larynx. En 2012, on a dénombré plus de 14 000 nouveaux cas en France et 4000 décès.  

Non seulement les boissons alcoolisées contiennent un peu d’acétaldéhyde, et particulièrement les alcools dits forts, mais, de plus, une partie de l’alcool que l’on boit est directement métabolisé en acétaldéhyde dans la bouche, essentiellement par la flore microbienne ; cette transformation est majorée en cas d’hygiène dentaire défaillante. La concentration d’acétaldéhyde dans la salive est alors 10 fois plus élevée que celle du sang et même 1000 fois lorsqu’on déguste un alcool fort en le gardant en bouche.

Sur des modèles animaux, l’acétaldéhyde administré dilué dans de l’eau entraîne des lésions des muqueuses inflammatoires et une augmentation de la prolifération cellulaire des voies aéro-digestives supérieures ; administré en inhalation l’acétaldéhyde provoque des lésions cancéreuses de la muqueuse nasale. Aujourd’hui on n’a pas encore déterminé dans quelle mesure le potentiel cancérigène de l’acétaldéhyde passe par les lésions de l’ADN qu’il provoque.

Un autre cancer dans lequel l’alcool intervient est le cancer du sein, premier cancer chez la femme avec plus de 50 000 nouveaux cas par an en France. L’augmentation du risque est modeste (+10% environ) mais réelle, même à faible dose (1 à 2 verres/j). Un rôle direct de l’acétaldéhyde et des ERO est soupçonné, tout comme l’augmentation des estrogènes circulants provoquée par l’alcool, mais le mécanisme précis n’est pas identifié.

Si l’augmentation du risque de cancer avec l’alcool est avéré, le lien est complexe, d’autant plus que l’acétaldéhyde ne provient pas seulement du métabolisme de l’alcool ; il est aussi largement présent dans la fumée du tabac et est utilisé comme additif de saveur dans de nombreux produits alimentaires comme les produits laitiers (yaourts aux fruits), les jus de fruits, sucreries, margarine… et on le trouve aussi dans les produits domestiques (nettoyants de sols, parquets, stratifiés, colles, lasures, décapants…).

Auteur(s): 
Bertrand

Nalpas

MD, PhD, Directeur de recherche émérite - Inserm

MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm

 
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