Parmi les différentes fonctions de l'ocytocine dans le cerveau, son interaction avec le système de récompense laisse envisager un effet bénéfique dans le traitement de l'addiction
L’ocytocine est une petite molécule constituée de 9 acides aminés qui a été identifiée en 1927. Sa composition chimique, qui est la même chez tous les mammifères, est voisine de celle de la vasopressine ou hormone anti-diurétique (dont on parle beaucoup dans la vidéo Le pouvoir diurétique de l'alcool). L’ocytocine est synthétisée par deux types de neurones de l’hypothalamus, courts ou longs. Les neurones courts, ou parvocellulaires (du latin parvis = petit), sont responsables de la diffusion de l’ocytocine dans le cerveau. Les neurones longs, ou magnocellulaires (du latin magnus = grand, gros) se projettent vers la partie postérieure de l’hypophyse, une glande endocrine qui permet une libération d’ocytocine dans la circulation sanguine. L’ocytocine est donc une neurohormone.
L’ocytocine libérée dans le sang intervient dans la grossesse, l’accouchement, la lactation, et ce sont les seules actions qui lui ont été attribuées pendant longtemps. Vers les années 1990, la mise en évidence des projections de neurones parvocellulaires depuis l’hypothalamus vers de multiples structures cérébrales a permis d’établir l’implication de l’ocytocine dans de nombreuses fonctions gérées par le cerveau comme la sexualité, l’attachement mère-enfant, l’activité motrice, la peur. Par exemple, chez le rat l'administration d'ocytocine entraîne l'érection. Chez le campagnol des prairies, un rongeur très social qui s'occupe beaucoup de ses petits, la densité des récepteurs de l'ocytocine dans le noyau accumbens et le putamen est plus élevée que celle du campagnol des montagnes qui est plutôt asocial.
L'ocytocine intervient aussi dans des fonctions prioritairement altérées par les substances psychoactives comme les interactions sociales, l’anxiété, la mémoire, la récompense.
L’ocytocine libérée va se fixer sur son récepteur. Celui-ci appartient à la famille des récepteurs transmembranaires constitués d’une longue chaîne d’acides aminés qui traverse 7 fois la membrane du neurone ; ils sont couplés à une protéine, dite protéine G, qui permet leurs actions.
La liaison de l’ocytocine à son récepteur entraîne une cascade de réactions dont un accroissement des décharges électriques neuronales, de la libération d'autres neurotransmetteurs comme la dopamine, et de la contraction des muscles lisses (vessie, bronches, paroi du tube digestif… des organes qu’on ne peut contracter volontairement).
Les travaux d’anatomie fine ont mis en évidence l’expression des récepteurs à l’ocytocine dans de très nombreuses régions du cerveau dont des structures du système de récompense, cible des substances psychotropes. Comme les neurones à ocytocine et ceux à dopamine ainsi que leurs récepteurs respectifs, sont souvent très proches les uns des autres, une interaction entre les deux a été suspectée.
Des travaux sur des modèles animaux ont effectivement montré que l’ocytocine interagit localement avec le système de récompense soit directement en modifiant l’excitabilité principalement des neurones à dopamine soit indirectement en agissant sur les neurones régulateurs de type gabaergique et glutamatergique (pour en savoir plus, vous pouvez consulter les chapitres dédiés du dossier Neurotransmetteurs et substances psychoactives 2 : GABA). De fait, chez le rat, l’injection directe d’ocytocine dans l’aire tegmentale ventrale stimule la libération de dopamine dans le noyau accumbens, démontrant ainsi son effet récompensant.
Des études chez le rat ont conclu que l’administration répétée de diverses substances psychoactives comme l’alcool, la nicotine, la méthamphétamine, entraîne une réduction du taux d’ocytocine dans de nombreuses régions cérébrales. Des analyses détaillées ont montré qu’avec la cocaïne les régions touchées sont l’hippocampe, l’hypothalamus, le noyau accumbens mais aussi le sang circulant.
La diminution de l’ocytocine contribue très probablement aux troubles émotionnels et au renfermement social des personnes addicts.
La capacité de l’ocytocine à réguler le système de récompense, à augmenter la libération de dopamine ainsi que la réduction de sa concentration par les substances psychoactives (voir aussi la vidéo L'amour, une addiction comme les autres ?) ont suggéré que la molécule pourrait avoir des effets thérapeutiques. Cela a été confirmé par de nombreux travaux menés chez les rongeurs.
Par exemple, chez le rat rendu dépendant à la cocaïne, l’ocytocine réduit l’hyperactivité locomotrice, la recherche compulsive du produit et son auto-administration. L’ocytocine 3h après injection intra-péritonéale réduit l’auto-administration d’alcool de rats rendus consommateurs excessifs. L’injection directe dans le noyau accumbens bloque la libération de dopamine induite par l’alcool et inhibe l’auto-administration d’héroïne, atténue la consommation de méthamphétamine suite à un conditionnement par préférence de place. Toutefois les effets thérapeutiques de l’ocytocine apparaissent varier en fonction de la dose administrée, des modalités de consommation de la drogue et possiblement de l’espèce animale.
Les données disponibles chez l’être humain sont actuellement très limitées. Un essai mené en 2013 chez 16 sujets dépendants au cannabis, 8 ayant reçu un placebo et 8 de l’ocytocine par voie nasale, a montré une réduction du craving pour le cannabis. Un autre essai, toujours en 2013, mené chez 7 sujets admis à l’hôpital pour arrêt de l’alcool (4 recevant de l’ocytocine par voie nasale) a conclu à une réduction des symptômes de sevrage. Plusieurs autres essais incluant un nombre suffisant de patients pour en tirer des conclusions fiables sont en cours.
Si le potentiel thérapeutique de l’ocytocine dans l’addiction semble plausible au vu des résultats actuellement disponibles, les connaissances manquent quant à son intensité, aux modalités d’administration, et à l’étape de l’addiction où elle serait la plus efficace : renforcement, accoutumance, craving, ou sevrage.
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm