L’isolement, la présence des autres et leurs propres comportements face aux drogues sont autant de facteurs qui peuvent encourager ou décourager la consommation d’alcool, tabac, cannabis, cocaïne, amphétamine, etc...
Il est maintenant bien admis que la prise d’une drogue ne conduit pas systématiquement à la survenue d’une addiction. Trois composantes interviennent : l’individu avec sa vulnérabilité innée ou acquise, le produit, caractérisé par la puissance de ses effets sur le cerveau, et l’environnement, en particulier la tolérance et la permissivité de l’entourage familial, amical et social à l’égard du produit.
Depuis quelques années, les chercheurs se sont intéressés au rôle des interactions sociales dans la survenue de l’addiction en étudiant l’attitude des animaux de laboratoire face à la drogue en fonction de la présence ou non de partenaires.
L’impact des interactions sociales sur le développement cognitif et social est l’objet de nombreux travaux depuis le début des années 1960. Les résultats ont montré que les rongeurs élevés ensemble par rapport à ceux élevés seuls étaient mieux capables de résoudre des tâches et que cela était en rapport avec une augmentation du volume cérébral et du nombre de synapses. Les rares travaux menés chez les humains montrent que, tout comme chez le rongeur, l’isolement s’accompagne d’une diminution de l’activité cérébrale dans plusieurs aires dont le cortex préfrontal, l’hippocampe et l’amygdale.
Chez les rongeurs, l’isolement prolongé est un facteur de stress majeur dont la conséquence est une détérioration de l’état général semblable au syndrome anxio-dépressif et qui retentit négativement sur les relations sociales. Cet effet varie selon le sexe et l’âge. Les animaux femelles semblent plus sensibles que les mâles. Un animal isolé à l’âge de l’adolescence aura, une fois adulte, des difficultés à adopter une posture de soumission lors d’une rencontre avec un rat dominant. L’isolement social retentit aussi sur la consommation de drogues. Plusieurs travaux ont montré que les animaux isolés auxquels on proposait de la morphine en consommaient plus que ceux élevés en groupe et, de plus, cette différence pouvait être abolie par la réintégration de l’animal isolé dans un groupe.
L’état des connaissances actuelles ne permet pas de savoir si le stress dû à l’isolement est la conséquence du manque d’interaction avec les autres, de la pauvreté de l’environnement (les rats isolés sont dans des cages nues), ou des deux. Toutefois il a été montré dans plusieurs études que l’enrichissement de l’environnement, qui consiste à mettre dans la cage des accessoires de jeu comme des échelles, tunnels, roues etc., protégeait contre le développement et le maintien de la dépendance aux drogues. Cet effet serait dû à une stimulation de la plasticité cérébrale et des capacités mnésiques qui entraînent des effets positifs sur la motricité, l’anxiété, le stress, la recherche de nouveauté et l’apprentissage, comportements qui sont fortement altérés en cas d’usage excessif de drogues.
De nombreuses études ont montré que le comportement des animaux vis à vis des drogues était modifié selon que le produit était accessible en présence ou non d’un partenaire. Par exemple, la consommation d’alcool des rats augmentait en présence d’un groupe, de même que l’auto-administration d’amphétamine était majorée en présence de partenaires alors que ce n’était pas le cas si le produit proposé était du sucre. Par ailleurs, il a été observé que la prise de drogues augmentait les interactions sociales. Cela semble être lié à l’activation du système de récompense puisque l’intensité des relations n’augmentait pas dans le cas de certains produits psychoactifs particuliers qui ne le stimulaient pas.
Les chercheurs ont étudié l'influence des relations sociales chez des rats conditionnés à aller dans une cage où ils recevaient de la cocaïne. Les rats avaient le choix entre leur cage proposant de la cocaïne ou une autre cage qui ne délivrait pas de cocaïne mais dans laquelle se trouvait un autre animal. C'est en majorité cette seconde option que les rats choisissaient, c'est-à-dire qu'ils préféraient aller dans la cage où ils pouvaient développer des relations sociales avec un autre animal. Et il en était de même si l’animal avait reçu au préalable une injection de cocaïne dans le but de précipiter la rechute. Des analyses fines ont montré que l’interaction sociale diminuait l’activité cérébrale induite par la drogue des zones impliquées dans les processus de renforcement et de récompense. La condition impérative pour que l’interaction sociale ait un impact est que le contexte et le lieu dans lequel elle se déroule soient totalement différents de celui où la drogue est administrée.
De nombreuses études menées chez l’Homme indiquent que l’opinion des proches sur les drogues est un facteur influençant le comportement du consommateur. Une opinion favorable favorise, voire encourage, la consommation alors qu’une opinion négative a tendance à la réduire. De fait, évoluer dans un milieu « sans drogue », comme maintenir des liens sociaux avec des sujets n’en ayant jamais pris sont fortement conseillés dans les programmes de traitement car cela aide à éviter les consommations et la rechute. Les associations d’entraide constituées de personnes ayant définitivement rompu avec l’alcool ou avec les drogues sont de réels supports thérapeutiques.
Les travaux menés en laboratoire sur les animaux ont permis de valider ces concepts. L’influence de la présence d’un partenaire sur l’auto-administration varie selon que le partenaire consomme ou non. Des expériences ont montré que si les deux animaux avaient accès à de la morphine, le conditionnement à la prise de drogue était plus intense que si l’un d’entre eux en était privé. De plus, le conditionnement survenait plus rapidement si le rat testé était en présence d’un partenaire déjà initié à la drogue. Des résultats identiques ont été observés chez des singes. A l’inverse, les rats placés dans le compartiment où ils pouvaient s’injecter la drogue diminuaient leur consommation lorsqu’ils étaient observés depuis un compartiment séparé par un partenaire totalement naïf de la drogue.
L’impact du partenaire sur la consommation est aussi fonction du degré de familiarité entre les animaux. La consommation d’alcool était augmentée lorsque les rats interagissaient avec des partenaires connus, alcoolisés ou non, alors qu’elle était réduite si les rats partenaires étaient sobres et inconnus.
Ces expériences menées chez les animaux confirment les observations effectuées chez les humains : la proximité sociale ainsi que le comportement du ou des proches de chaque individu sont des facteurs majeurs d’influence sur la consommation de substances psychoactives.
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm