Une molécule pour réduire la consommation de cannabis ?

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Une molécule pour réduire la consommation de cannabis ?

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Un cas de recherches en neurosciences qui permet de développer un médicament pour réduire les effets du cannabis

Publié le: 
21/07/2023
La prégnénolone

En 2014, une équipe de chercheurs bordelais ont montré que la prégnénolone était capable chez la souris de réduire la consommation de THC, Δ9 tétrahydrocannabinol, molécule à l’origine des effets psychoactifs du cannabis. La prégnénolone est présente dans tout l’organisme mais particulièrement dans le cerveau. Elle est transformée en plusieurs hormones stéroïdiennes comme la progestérone et le cortisol. 
Ces observations ont conduit l’équipe à poursuivre les recherches sur ce thème en développant des collaborations internationales*. Neuf ans après la publication initiale, les résultats viennent d’être dévoilés et nous détaillons ci-dessous les étapes du processus qui respecte la stratégie habituelle du développement d’un médicament.

*Recherches portées par Aelis Farma

Développement d'une molécule

La première étape a consisté à développer une molécule qui mimerait les effets de la prégnénolone sur le cannabis sans pour autant avoir certaines caractéristiques qui rendent cette hormone endogène inutilisable comme instrument thérapeutique. En effet, la prégnénolone est mal absorbée par voie orale et rapidement dégradée. Or un médicament doit agir longtemps pour éviter de multiplier les prises au cours de la journée et l’impossibilité de l’administrer par la voie orale en réduit fortement son utilisation. De plus, la prégnénolone est le précurseur des autres hormones stéroïdes et son administration à des doses pharmacologiques augmente de façon notable le niveau de progestérone, testostérone et glucocorticoïdes qui peuvent avoir des effets indésirables notoires.  Après de nombreux essais utilisant les méthodes les plus modernes sur des modèles animaux ainsi que des cellules en culture, les chercheurs ont sélectionné la molécule qui présentait le meilleur profil pharmacocinétique, d’efficacité et d’absence de toxicité. Cette molécule se lie comme la prégnénolone à un site spécifique du récepteur CB1 des endocannabinoïdes. Elle inhibe des actions propres au cannabis sans pour autant empêcher les autres fonctions de ce récepteur. 

Les études

Les travaux menés ensuite sur des modèles animaux ont montré que la molécule était bien absorbée par le tube digestif et passait facilement du sang vers le cerveau. Sa concentration dans le sang était maximale 3h après ingestion et son élimination était lente. Aucun effet secondaire notable sur la tension artérielle, la température corporelle, l’intégrité des gènes n’était constatée. Il a été également vérifié que la molécule n’était pas transformée en hormones stéroïdes, ce qui aurait perturbé l’équilibre hormonal naturel. Enfin l’index thérapeutique, c’est-à-dire le rapport entre la dose minimale efficace et la dose provoquant des effets secondaires notables était particulièrement élevé, minorant donc les risques en cas d’erreur de posologie.
La suite du travail a consisté à tester le produit sur des modèles animaux, rongeurs et singes. Les résultats ont montré que la molécule réduisait l’auto-administration de cannabis et, après le sevrage, à une dose plus faible, diminuait significativement la recherche de cannabis par l’animal.
Fort de ces données un protocole d’essai chez l’homme a été mis en place. Une première phase a porté sur des volontaires sains non-consommateurs de cannabis afin de mesurer les vitesses d’absorption et d’élimination du produit ainsi que s’assurer qu’il était bien supporté. 64 sujets ont participé, répartis en plusieurs groupes recevant différentes doses. L’analyse de la cinétique a permis de conclure que l’absorption était relativement lente comme déjà observé chez l’animal, la concentration maximale dans le sang étant atteinte au bout de 3 heures.Le produit avait une élimination très longue allant de 6 à 10 jours. Aucun effet secondaire grave n’a été observé. Toutefois, un sujet a connu un épisode de démangeaisons qui a conduit à l’arrêt du traitement. Aucune modification de l’humeur - euphorie, anxiété, tristesse, déprime - n’a été rapportée par les participants.
La deuxième phase a consisté à tester le produit chez des consommateurs de cannabis. Le principal objectif de l'étude était d'évaluer les effets de la molécule sur la perception de l’effet plaisant du cannabis en tant que mesure du risque d'abus et de l’auto-administration. Vingt-neuf sujets, dont 28 hommes, d’âge moyen 32 ans ont participé contre rémunération, dont le montant n’était pas précisé ; aucun n’était demandeur d’une aide pour réduire leur dépendance. Ils fumaient en moyenne 2,9 g de cannabis (environ 3 joints) quotidiennement. La sévérité de la dépendance au cannabis était faible chez 34% d’entre eux, modérée dans 44,8% et sévère dans 20,7%. Deux doses de la molécule ont été testées correspondant chez l’homme aux doses efficaces chez l’animal : 

  • 1 mg pour diminuer la consommation 
  • 0,06 mg, dose plus faible pour réduire la rechute. 

Les participants étaient répartis en 2 groupes. Dans le premier groupe de 14 sujets, 6 ont reçu d’abord un placebo et 8 une dose de 0,06 mg chaque jour pendant 6 jours. Après 14 jours de tranquillité, ceux qui avaient reçu le placebo recevaient la molécule et ceux qui avaient commencé par la molécule recevaient le placebo. Dans le second groupe, le protocole était le même sauf que la dose était de 1 mg. Les participants des deux groupes étaient hospitalisés pendant les périodes d’administration du produit. Trois heures après l’administration de la dose de molécule, les sujets recevaient une cigarette contenant 800 mg de THC à 7% et inhalaient 6 bouffées d’une durée de 5 secondes. L’effet « plaisant » du cannabis était évalué, sur une échelle analogique allant de 0 à 10, 20 minutes après la dernière bouffée et répétée 4 fois toujours à 20 minutes d’intervalle. 
Du deuxième au cinquième jour de l’étude, les participants pouvaient, deux heures après avoir terminé la phase de test décrite ci-dessus, s'auto-administrer des bouffées supplémentaires de cannabis, à raison de 6 bouffées toutes les 2 heures avec un maximum de 24 bouffées. Ces bouffées étaient payantes, 2 $ chacune, la somme dépensée étant déduite du dédommagement qui leur était offert pour leur participation à l’étude.
Trois participants ont arrêtés l’expérience en cours de route, deux pour des raisons personnelles, un pour la survenue d’une atteinte dermatologique considérée comme non liée au traitement.
Les résultats ont montré que l’effet « plaisant » du cannabis était diminué par rapport au placebo. D’environ 20% pour les deux doses 20 minutes après le joint test, jusqu’à 40 % 90 minutes après pour la dose 1 mg, la réduction pour la dose de 0,06 mg restant stable. Le nombre de participants ayant réclamé une auto-administration après la phase test n’était pas significativement modifié par rapport au placebo. Mais la consommation de cannabis en auto-administration était diminuée d’environ 50% chez ceux ayant reçu la dose de 1 mg. 
Un autre point intéressant était que les participants ayant reçu la molécule dans la première phase continuaient de percevoir les effets du produit lorsqu’ils entamaient la deuxième phase où ils recevaient le placebo. 

La suite

Ces résultats sont indiscutablement encourageants. La molécule identifiée a un effet notable sur le plaisir procuré par le cannabis et sur la consommation. Comme ils ont été obtenus chez des sujets consommateurs qui n’étaient pas du tout disposés à modifier leur consommation, on peut supposer que l’efficacité serait majorée chez des sujets motivés pour la réduire. Un autre intérêt est la durée apparente de l’effet du produit, au moins 14 jours, ce qui permettrait de maintenir les effets même lorsque le patient ne respecte pas exactement la posologie. Toutefois il ne faut pas crier victoire trop vite. Les essais ont été réalisés chez un nombre restreint de sujets qui avaient généralement une addiction peu ou modérément sévère, et étaient hospitalisés pendant la période du traitement. De plus, la réduction de la consommation au cours de l’essai pourrait être liée, au moins en partie, au fait que les bouffées supplémentaires étaient payantes. Enfin, l’efficacité à long terme ainsi que les effets secondaires doivent encore être analysés dans la prochaine étape de développement du médicament.

Auteur(s): 
Bertrand

Nalpas

MD, PhD, Directeur de recherche émérite - Inserm

MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm

 
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