Impact des drogues sur la sérotonine, neurotransmetteur de la bonne humeur

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Impact des drogues sur la sérotonine, neurotransmetteur de la bonne humeur

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Si l’action des drogues sur la dopamine et le circuit de la récompense explique l’addiction, elles ont aussi d’autres effets sur les réseaux neuronaux, et en particulier ceux contrôlés par la sérotonine.

Publié le: 
21/06/2018
La sérotonine dans le cerveau

La sérotonine est un neurotransmetteur dont l’identification remonte à 1948. Elle est également connue sous le nom de 5-hydroxytryptamine (5-HT) car elle synthétisée dans l’organisme à partir du tryptophane. Le tryptophane est un acide aminé essentiel pour l’Homme ; il est présent dans la plupart des aliments, et en particulier dans les œufs, la noix de coco ou le chocolat. La sérotonine est présente dans le cerveau, les plaquettes sanguines et surtout la muqueuse gastro-intestinale qui contient environ 80% de la sérotonine totale de l'organisme.
La sérotonine ne franchit pas la barrière hémato-encéphalique qui permet une étanchéité entre la circulation sanguine et le cerveau. La sérotonine du cerveau est donc distincte de celle de l’intestin. Il existe toutefois une corrélation entre les deux et la mesure de sérotonine dans les plaquettes sanguines est considérée comme un reflet correct des concentrations cérébrales.
Dans le cerveau, la sérotonine est stockée dans des vésicules synaptiques par l’intermédiaire d’un transporteur jusqu’à sa libération dans la synapse où elle se fixera sur un récepteur spécifique. Après utilisation la sérotonine est soit détruite par une enzyme appelée monoamine oxydase (MAO), soit recapturée par une pompe appelée transporteur de la sérotonine (SERT) et logée dans la membrane pré-synaptique. La sérotonine réintégrée dans le neurone pré-synaptique sera à nouveau stockée dans les vésicules dans l’attente d’une nouvelle utilisation.
À ce jour 14 sous-types de récepteurs sérotoninergiques, regroupés en 7 familles, ont été dénombrés. Certains ont des capacités excitatrices et d’autres inhibitrices, ce qui explique la diversité et la complexité des actions de la sérotonine. De plus leur affinité pour la sérotonine varie notablement d’un sous-type à l’autre.

Le réseau sérotoninergique central trouve son origine dans les noyaux du raphé, ensemble de structures situées à plusieurs endroits sous le cortex cérébral. Les projections multiples depuis les noyaux du raphé vers l’aire tegmentale ventrale, le noyau accumbens et le cortex préfrontal lui permettent de moduler toutes les régions du système nerveux central, en régulant les autres systèmes de neurotransmission comme le glutamate, le GABA, la noradrénaline et la dopamine.

Effets d’une baisse de sérotonine

Dans le cerveau la sérotonine intervient dans de nombreux processus moteurs et cognitifs (cycle veille-sommeil, vigilance, douleur, anxiété…) mais est surtout connue pour son rôle dans la gestion de l’humeur, de la dépression et de l’impulsivité/agressivité. Une baisse de la sérotonine est associée à une baisse de l’humeur. De nombreuses connaissances sur le fonctionnement des récepteurs associés aux troubles de l’humeur sont disponibles, toutefois le mécanisme général de la survenue de la dépression n’est pas décrypté.
De très nombreuses études menées chez l’Homme et chez l’animal ont mis en évidence une association entre baisse de l’activité sérotoninergique et comportement impulsif/agressif. Par exemple, les sujets ayant ce trait de caractère ont le plus souvent des taux d’un métabolite de la sérotonine dans le liquide céphalo-rachidien diminués. On a également observé que la baisse de production de sérotonine cérébrale (et périphérique) suite à une diminution de l’apport alimentaire de son précurseur, le tryptophane, conduit le plus souvent à une exacerbation, quoique modérée, de l’irritabilité/agressivité. Enfin les manifestations impulsives et agressives sont diminuées en cas d’administration de médicaments augmentant le taux de sérotonine
Des travaux sur des modèles animaux ont montré que la sérotonine est avant tout impliquée dans le self-control c’est-à-dire la capacité à réfréner les pulsions, mais non directement dans l’agressivité et la violence qui en sont des conséquences.

Impact des drogues

La plupart des drogues (cocaïne, opiacés, alcool, amphétamine et ses dérivés) augmentent la concentration de sérotonine dans la fente synaptique ce qui participe à la sensation de bien-être et au plaisir ressenti lors de la consommation. L’augmentation est due principalement à l’inhibition de sa recapture par les neurones pré-synaptiques du fait du blocage de la pompe SERT. C’est ce même mécanisme qui est utilisé par certains médicaments antidépresseurs appelés ISRS comme la fluoxétine (Prozac®) ou l’escitalopram (Séroplex®). En cas de prise régulière de psycho-stimulant, l’organisme devient tolérant : il réagit en augmentant le nombre de récepteurs de recapture aussi l’augmentation de sérotonine s’atténue et ce malgré l’augmentation de synthèse de sérotonine
Le cannabis entraîne une réduction modérée de la concentration de sérotonine dans la fente synaptique; toutefois la prise occasionnelle n’est pas associée à la survenue de symptômes dépressifs alors que c’est le contraire en cas de consommation régulière. Quant à la nicotine, elle est apparemment sans effet. 
A la différence de la cocaïne, la MDMA (dont le métabolisme est décrit ici) et ses dérivés ont des effets neurotoxiques sur les axones et les terminaisons synaptiques des neurones à sérotonine. En plus d’inhiber la pompe SERT, la MDMA accroît la libération de sérotonine. La concentration dans la fente synaptique reste alors toujours élevée, même en cas de prise chronique (régulière) mais les réserves stockées dans les neurones sont faibles. En conséquence, le système ne pourra pas réagir en libérant de la sérotonine face à une situation déstabilisante sur le plan émotionnel, ce qui entraînera un trouble de l’humeur.
Après sevrage, la sérotonine part en chute libre. En effet, la synthèse de sérotonine revient à son niveau initial, donc moins de sérotonine est libéré alors que l’activité de recapture reste majorée du fait de la tolérance. Chez le rongeur, après administration aiguë de cocaïne, la concentration de sérotonine dans le noyau accumbens augmentait de 340% par rapport à son niveau de base, revenait au niveau initial 1 heure après la prise et chutait à - 40% pendant les 6 heures suivantes. Cette chronologie cadre bien avec la rapidité de survenue des symptômes dépressifs après sevrage rapportée par les usagers de cocaïne. La baisse de sérotonine a également été démontrée après sevrage d’alcool et d’opiacés.

Au final, la prise de drogues modifie la sérotonine. L’augmentation de sa concentration participe aux ressentis positifs sur l’humeur et le plaisir procurés par la drogue. D’un autre côté, lors de la descente suite à l’élimination de la drogue par l’organisme, elle est associée à la survenue des troubles de l’humeur, déprime et anxiété et une majoration de l’impulsivité.

Auteur(s): 
Bertrand

Nalpas

MD, PhD, Directeur de recherche émérite - Inserm

MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm

relecteur(s): 

Thibault

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