De la première expérience à la sensation de manque, voici comment les substances psychoactives comme le tabac, l’alcool ou le cannabis perturbent le fonctionnement du cerveau...
1ère partie : Le circuit de la récompense
Claude Bernard, médecin et physiologiste du 19ème siècle a énoncé un principe majeur : « Tous les mécanismes vitaux, quelque variés qu'ils soient, n'ont toujours qu'un but, celui de maintenir l'unité des conditions de la vie dans le milieu intérieur. » En clair, face à une perturbation venant du milieu extérieur, l’organisme va réagir de façon à maintenir constants les paramètres internes. Par exemple si on est exposé à une forte chaleur, l’organisme réagit comme un radiateur en ouvrant en grand tous les capillaires sanguins afin de dissiper la chaleur ; à l’inverse en cas de froid, les capillaires sont tous fermés pour conserver la chaleur. Ce principe a un nom : l’homéostasie, terme formé à partir des mots grecs « stasis » qui veut dire « état » et « homoios » qui veut dire « égal ».
Le cerveau doit assurer de multiples fonctions : intégration et analyse des stimuli reçus de l’environnement extérieur, activité motrice ou sensorielle, mémoire, apprentissage, vigilance, prise de décision, humeur, plaisir etc…. Pour assurer son homéostasie il s’appuie sur des interactions entre les neurones - nous en avons environ cent milliards ! - en utilisant des messagers appelés neurotransmetteurs. Pour transmettre l'information, un neurone libère un messager qui vient se fixer sur les récepteurs positionnés sur la surface d'un autre neurone. Ces messagers sont nombreux, ont chacun des fonctions différentes et sont spécifiques d’un type de neurone.
Globalement le cerveau « assure », il maintient son homéostasie ; certes quelquefois il y a des bugs négatifs, une grosse colère, un coup de déprime, une crise, ou, à l’inverse des bonus, une grande émotion, une grande joie, mais en général les choses reviennent assez rapidement au niveau de base.
Quand on prend un produit psychoactif, tout est chamboulé, le cerveau a des difficultés à maintenir son homéostasie en raison de la puissance de la perturbation. Il finira par trouver des moyens pour s’adapter mais le risque, en cas de répétition des consommations, est l’intégration du produit dans l’équilibre de fonctionnement du cerveau : l’homéostasie initiale devient prisonnière du produit ; si ce dernier n’est pas présent, le cerveau sera en souffrance et fonctionnera mal, c’est l’addiction.
Tout le monde aime les récompenses, on les savoure, on en veut encore. La manière dont le cerveau s’y prend pour nous récompenser a été identifié en 1954 par deux chercheurs J. Olds et P. Milner. Ils avaient implanté des électrodes dans plusieurs régions du cerveau chez des rats ; les électrodes étaient reliées à un levier que les animaux pouvaient actionner eux-mêmes, ce qui déclenchait une impulsion électrique de faible intensité. Les chercheurs ont observé que lorsque l’électrode était implantée dans une région appelée l’aire tegmentale ventrale ou ATV, les rats appuyaient sans cesse sur le levier et délaissaient toutes les autres activités y compris celle de se nourrir.
Les effets procurés étaient tellement puissants qu’ils surpassaient ceux induits par les récompenses naturelles comme la nourriture et même dans certain cas la survie. Le circuit neurobiologique de la récompense existe chez tous les mammifères, y compris chez l’homme. Il a pour fonction de favoriser les comportements qui sont nécessaires à notre survie comme boire, manger, se reproduire, s’adapter à l’environnement… La réalisation de ces actions apporte des sensations plaisantes, d’où l’appellation « circuit de récompense ». L’apprentissage et la mise en mémoire d’actions plaisantes va nous inciter à les répéter ; c’est ce qu’on appelle l’effet renforçant.
La récompense est l’aboutissement de plusieurs phases que nous ressentons différemment. A l’origine il y a un stimulus : par exemple la sensation de faim ou l’envie de voir sa copine. Ce stimulus va susciter le désir, le wanting en anglais. Pour satisfaire ce désir on va agir, on va mettre en place les actions nécessaires pour atteindre le but : se précipiter vers le frigo ou téléphoner à sa copine pour lui demander de venir. La phase suivante est celle de l’anticipation, de la prédiction de la réalisation : « j’ai ouvert la porte du frigo et il y a plein de bonnes choses que je vais pouvoir manger », « super ma copine m’a dit qu’elle allait venir tout de suite ». Enfin arrive la récompense, le plaisir, la satisfaction de l’action accomplie, le liking en anglais : « j’ai mangé les super nuggets qui restaient dans le frigo », « ma copine est arrivée ». La sensation de plaisir existe dès qu’on s’approche de la réalisation de l’action et ce qu’on ressent peut être plus intense à cette phase qu’une fois l’action réalisée.
Toutes les sensations procurées par ces différentes phases sont régies par le circuit de la récompense.
Depuis le milieu des années 80, on sait que la stimulation électrique de l’ATV induit en fait une libération de dopamine dans une région précise du circuit de la récompense appelée noyau accumbens ou NAc. On a depuis montré que toutes les récompenses, qu’elles soient des substances naturelles ou des drogues, mais aussi des comportements, entraînent une libération rapide et massive de dopamine par les terminaisons dopaminergiques situés dans le NAc. Ces neurones ont des propriétés très étonnantes : en condition normale ils émettent un signal électrique toutes les secondes. On dit qu’ils « déchargent » à une fréquence de 1HZ. Par contre quand nous percevons ou juste prévoyons une récompense dans l’environnement - « ma copine que j’aime va arriver » ou « c’est le moment du dessert et je vais avoir ma glace préférée » - ils s’affolent et accélèrent leur décharge à une fréquence de 10 HZ, soit 10 fois plus élevée !! Donc pendant toutes les phases précédant l’obtention de la récompense ces neurones libèrent beaucoup de dopamine, ils sont des détecteurs de récompense.
Une fois l’action réalisée, c’est la phase de « consommation », du plaisir, de la jouissance. Pendant cette phase, le liking, la dopamine continue d’être libérée mais le plaisir est surtout due à la libération d’endorphines, des neurotransmetteurs provoquant une sensation de bien-être. La combinaison de l’action de ces deux neurotransmetteurs au niveau du circuit de la récompense est responsable de l’effet renforçant.
Chez l’être humain les zones cérébrales impliquées dans le wanting et le liking sont situées dans le striatum, mais leurs localisations précises restent à déterminer.
Le circuit de la récompense est aussi capable de produire l’inverse de la récompense, c’est-à-dire l’aversion (= « j’aime pas »). Cela peut concerner certains plats, certains goûts, tout comme certaines situations.
Pour générer à la fois la sensation de plaisir et celle de l’aversion, le circuit de la récompense comporte deux voies, l’une activatrice et l’autre inhibitrice. La voie activatrice est appelée la voie D1 car elle utilise les récepteurs à dopamine de type 1. La stimulation de ces récepteurs par les récompenses, naturelles ou non, va, par une cascade de réactions, informer le cortex pré-frontal que l’action est bénéfique et peut être renforcée, reproduite. Cette voie D1 est aussi appelée « pro-récompense ».
Pour maintenir son homéostasie, c’est-à-dire réguler la voie D1 et éviter son emballement, le circuit de la récompense dispose d’un sous-circuit inhibiteur qui utilise les récepteurs à la dopamine de type 2, c’est la voie D2. La stimulation de ces récepteurs va activer une cascade de réactions qui va remonter vers le cortex pré-frontal et donner, à l’inverse de la voie D1, un signal négatif, ce qui conduit à bloquer le renforcement et à arrêter l’action.
Si l’activité de la voie D2 est plus élevée que celle de la voie D1, le plaisir est diminué, voire a disparu, c’est l’aversion, le « j’aime pas ». La voie D2 est dénommée « anti-récompense ».
La voie D1 pro-récompense est pilotée par les neurones à dopamine de l’ATV ; les signaux provenant de l’environnement participent à l’activation de la voie D1 car les systèmes sensoriels qui les transmettent sont reliés, entre autres, aux neurones à dopamine de l’ATV. À l’heure actuelle on connaît encore mal les neurones qui pilotent la voie D2 de l’aversion. Il semble que les signaux qui activent l’aversion soient aussi en partie situés au niveau de l’ATV mais pilotés cette fois par des neurones qui utilisent un autre neurotransmetteur que la dopamine.
Au total, le circuit de la récompense peut, en jouant sur ces deux sous-circuits, favoriser ou dissuader des actions et donc régler très finement ce qui nous motive.
Tous les produits psychoactifs comme l’alcool, le cannabis, la cocaïne et les autres drogues ont en commun le fait qu’ils provoquent la libération de dopamine dans le noyau accumbens NAc. La quantité de dopamine libérée par la prise de drogues est beaucoup plus importante et rapide que celle obtenue par les récompenses naturelles. Des études d’imagerie cérébrale chez l’homme ont établi que les effets renforçants des drogues étaient liés à la quantité de dopamine libérée dans le NAc ainsi qu’à la rapidité de sa libération (le « flash »). La libération de dopamine joue un rôle majeur dans le développement de l’addiction. Elle est aussi impliquée dans la survenue de maladies psychiatriques comme la schizophrénie ou les troubles de l’attention ; de fait la libération massive de dopamine dans le cortex pré-frontal semble directement impliquée dans les délires et les hallucinations caractérisant les psychoses.
Les produits psychoactifs augmentent la libération de dopamine par plusieurs mécanismes. Par une action sur la voie D1 en augmentant la libération de dopamine, c’est le mécanisme d’amplification directe. A côté de cela, ils empêchent les neurones inhibiteurs de la voie D2, c’est à dire ceux qui régulent l’activité de la voie D1, d’effectuer correctement leur travail, c’est le mécanisme d’amplification indirecte. Si on assimile l’effet d’un produit psychoactif à celui de la conduite d’une voiture, en prendre consiste à appuyer très fort sur l’accélérateur tout en sabotant le freinage.
Lire la suite : L'addiction expliquée par les neurosciences - 2/3
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm
El Mestikawy
DR1 CNRS - Chef d’équipe : Systèmes glutamatergiques normaux et pathologiques
Laboratoire Neuroscience Paris Seine NPS, INSERM U1130, CNRS UMR8246, Université Pierre et Marie Curie UM119
Site: http://www.ibps.upmc.fr/fr/Recherche/umr-8246/systemes-glutamatergiques-...
Professeur McGill University (Canada)
http://douglas.research.mcgill.ca
http://ici.radio-canada.ca/audio-video/media-7419277/le-gene-de-la-toxic...