Lorsqu’une personne écoute de la musique après avoir fumé du cannabis, la perception du temps, de l’espace et des mouvements est bouleversée, l'oreille perçoit clairement des sons presque inaudibles dans le bruit ambiant. Alors que se passe-t-il dans sa tête ?
Deux phénomènes interviennent dans ces modifications de perception : d’une part écouter de la musique et, d’autre part, fumer du cannabis.
La musique adoucit les mœurs a dit Aristote. Il est de fait prouvé que la musique agit sur nos émotions, notre motivation et nos actions mais aussi sur la façon dont nous percevons le monde dans ses dimensions d’espace et de temps. La musique distord le temps, dans le sens du raccourcissement : une même durée de temps passée à écouter de la musique sera perçue plus courte que si on n’écoute que le silence (combien une minute de silence est longue et insupportable !). Cet impact de la musique sur la perception du temps peut conduire à la perte de notion du temps (= atemporalité), phénomène bien connu chez les musiciens qui peuvent jouer pendant des heures et découvrent ensuite que la nuit a passé.
Le cannabis vient se surajouter aux effets produits par la musique elle-même. Le cannabis intensifie la perception du temps qui apparaît alors dilaté, dissociation entre le temps perçu et le temps réel, le temps semble passer plus lentement et est surestimé. Des expériences ont montré que, après un joint de 20 mg de THC, une minute réelle était estimée à une minute et 15 secondes. Cette distorsion est accompagnée d’une confusion entre le passé, le présent et le futur qui retentit sur la formation durable des souvenirs car la mémoire a besoin de repères temporels pour fonctionner correctement. Le début de cette dissociation du temps correspond au moment où surviennent les effets euphorisants du produit et l’augmentation du rythme cardiaque ; elle est associée à une diminution du flux sanguin vers le cervelet (structure du cerveau responsable de la coordination et la synchronisation des gestes, à la précision des mouvements et impliquée dans l'attention, le langage et la régulation des réactions de peur et de plaisir).
La vitesse de réaction à un événement est donc largement ralentie, ce qui explique le risque d’accident au volant ou sur un 2-roues.
En plus de la modification du temps, le cannabis entraîne une dilatation de l’espace et des fréquences sonores et intensifie la perception temporo-spatiale du son d’où l’impression de qualité acoustique ressentie. L’ensemble est comparable aux effets produits en studio par les techniques de modification de puissance ou de compression du son.
Les enregistrements électro-encéphalographiques (EEG) montrent qu’écouter la musique stimule les ondes alpha, ondes caractéristiques la relaxation et de la détente (il existe un commerce de morceaux de musique spéciaux onde alpha). Sous l’influence du cannabis, on observe que, par rapport aux non-fumeurs, les ondes alpha du lobe pariétal du cerveau des fumeurs sont de plus grande amplitude.
Cela explique aussi pourquoi le cannabis a été et est sans doute encore largement utilisé par les musiciens car les distorsions temporelles induites favorisent l’improvisation.
Les effets « plaisants » du cannabis sont de relativement courte durée, par contre son impact sur la mémoire dure beaucoup plus longtemps et les altérations seront d’autant plus durables et profondes que l’utilisation du cannabis sera répétée.
La créativité « sous substance » a son revers : cela pousse à consommer régulièrement d’où le risque de devenir dépendant du produit et, en ce cas, la créativité et la vie en général seront grandement perturbées. Plus d’un artiste s’est laissé prendre au piège.
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm