On a passé en revue les drogues et les modes de consommation pour vérifier leur impact sur le système immunitaire
À l’heure de la pandémie de COVID-19 et du confinement de la population, les motivations peuvent être nombreuses pour consommer des substances psychoactives. Certains ont même avancé que la cocaïne était un moyen de se protéger de l’infection. Cette affirmation, sans aucun fondement, a été formellement démentie par les scientifiques de l’Institut Pasteur, référence mondiale en termes de maladies infectieuses. Bien au contraire, la cocaïne, et bien d’autres substances psychoactives, peuvent aggraver l’infection par le coronavirus en altérant les défenses immunitaires.
L’organisme humain est régulièrement confronté à des agents étrangers, notamment infectieux : bactéries, virus, champignons… Pour lutter contre les atteintes à son fonctionnement voire à sa survie, l’organisme dispose d’un moyen de défense appelé immunité ou système immunitaire. Celui-ci regroupe des organes et des tissus dits lymphoïdes, par exemple la rate, les amygdales ou les ganglions, ainsi que des cellules telles que les lymphocytes et des molécules, anticorps notamment, qui circulent dans ces organes et entre ces organes via le sang et la lymphe. Les cellules immunitaires communiquent entre elles, soit directement, soit à distance via divers types de molécules sécrétées appelées cytokines.
On dispose de deux types d’immunité qui coopèrent entre elles.
L’immunité « innée » qui se déclenche dès qu’un signal de danger est perçu par des récepteurs de reconnaissance de formes ; ceux-ci permettent de reconnaître qu’un agent pathogène ne fait pas partie de soi-même. Cela déclenche la sécrétion des cytokines et des protéines auxquelles sont associés divers types de cellules destinées à détruire au plus vite l’agent infectant. C’est la réponse inflammatoire.
L’immunité « adaptative » intervient secondairement. Elle est basée sur les lymphocytes B et T. La structure de l’agent infectant est alors identifiée et mise en mémoire, ce qui permet une réaction rapide et une protection en cas d’infection ultérieure par le même agent. La vaccination repose d’ailleurs sur ce principe (comme expliqué dans l'article Peut-on se vacciner contre l’addiction ?). Les lymphocytes B sont responsables de la production des anticorps. Les lymphocytes T ont plusieurs variétés dont une variété dite cytotoxique qui a pour rôle de détruire les cellules infectées et une variété auxiliaire (helper en anglais) sécrétant une cytokine qui stimule la prolifération des lymphocytes B et T.
Les infections par les bactéries ou les virus sont courantes chez les consommateurs excessifs d’alcool et sont souvent cause de décès. De fait l’alcool consommé en quantité importante a des effets négatifs multiples sur la réponse immunitaire. Les travaux menés sur les macrophages et les monocytes d’origine humaine ou animale, cellules chargées de l’ingestion des particules étrangères par des cellules spécialisées (la phagocytose), ont montré que l’alcool, en administration aiguë, diminuait leur capacité d’action et réduisait la sécrétion de cytokines qui déclenchent la suite de la réaction immunitaire.
Cette diminution pourrait survenir après une première phase courte d’augmentation de la réponse. En effet, un travail mené en 2015 chez 15 volontaires s’étant prêté à une séance de binge-drinking, a montré que 20 mn après l’ingestion d’alcool, l’alcoolémie moyenne étant égale à 1,3 g/l, le nombre de monocytes et de lymphocytes circulant ainsi que le taux de certaines cytokines augmentait. Mais 2h après l’ingestion d’alcool, c’était l’inverse qui était observé.
Chez des souris soumises à un régime alcoolisé en consommation régulière par rapport aux souris témoins non-alcoolisées, la susceptibilité aux infections est augmentée et il en est de même pour la survie des bactéries à l’intérieur des cellules immunitaires.
En ce qui concerne les infections virales, des travaux déjà anciens ont montré que l’alcool aggravait les infections par le virus des hépatites B et C et que la réponse à la vaccination était altérée.
Il est admis depuis longtemps que la fumée de cigarette et la nicotine ont des effets marqués sur l’immunité. De fait, l’exposition chronique à la fumée de cigarette d’animaux placés dans des chambres d’inhalation entraîne une augmentation de leur susceptibilité aux infections par les bactéries ou les virus.
La nicotine agit sur le système immunitaire de façon directe et indirecte. Directe parce que les cellules du système immunitaire sont, tout comme les neurones, porteuses de récepteurs à l’acétylcholine auxquels la nicotine présente dans le sang peut se lier. De fait, des travaux menés sur des macrophages provenant des alvéoles pulmonaires infectés par une bactérie de type Légionnella ont montré que l’addition de nicotine augmentait la multiplication des bactéries et diminuait la production de cytokines. Indirecte parce que, tout comme les opiacés, elle stimule l’axe hypothalamo-hypophysaire, augmente la sécrétion de glucocorticoïdes et modifie la réponse inflammatoire.
En administration aiguë, la nicotine réduit la production de cytokines impliquées dans l’étape de reconnaissance des agents pathogènes. En cas d’intoxication chronique, les lymphocytes T résistent à la stimulation par des pathogènes, la prolifération des lymphocytes B est réduite ainsi que la production d’anticorps.
De nombreux travaux ont montré que le THC, administré à des animaux ou ajouté à des cellules lymphoïdes provenant d’êtres humains, pouvait altérer les fonctions immunitaires. Il impacte notamment : la prolifération des lymphocytes, la production d’anticorps et celle de nombreuses cytokines nécessaires au fonctionnement efficace du système immunitaire.
Si le mécanisme exact de ces effets n’est pas encore identifié, on dispose d’arguments suggérant que cela serait en partie dû à la liaison du THC sur les récepteurs endocannabinoïdes de type CB2 présents sur les cellules du système immunitaire (pour un petit rappel sur les endocannabinoïdes, voir article Quand la recherche sur le cannabis fait progresser les neurosciences).
La conséquence serait une activation préférentielle des lymphocytes « helper » augmentant la production de lymphocytes B au détriment des lymphocytes T, rendant inopérant l’immunité cellulaire nécessaire pour éradiquer les micro-organismes ayant pénétré dans la cellule.
Dès le 19ème siècle, des observations cliniques ont permis d’affirmer que la morphine altérait les réponses physiologiques nécessaires pour résister aux infections, et donc que l’usage d’opiacés augmentait le risque de pathologies infectieuses. Aujourd’hui, la fréquence accrue chez les usagers d’opiacés, d’infections pulmonaires causée par des mycobactéries (comme le bacille de la tuberculose), des staphylocoques et autres microbes est parfaitement reconnue. Lors de l’épidémie du VIH, les usagers d’héroïne se contaminaient non seulement via du matériel souillé partagé mais aussi du fait d’une défaillance de leur système immunitaire (immunosuppression)
Les travaux menés sur des modèles animaux, rat, souris et même singe ont confirmé que les opiacés altéraient les défenses immunitaires et réduisaient la résistance aux infections. L’étude de cellules immunitaires traitées avec des opiacés a montré une diminution de l’ingestion des particules étrangères par des cellules spécialisées (phagocytose), et une diminution rapide de la production de cytokines.
En plus de ces actions directes sur les cellules immunitaires, les opiacés peuvent altérer les défenses en stimulant la sécrétion de glucocorticoïdes, dont le cortisol qui régule les réponses immunitaires (pour un petit rappel sur le cortisol, voir article Quels sont les liens entre stress et addiction ?). Ce dernier réduit l’inflammation alors que c’est le mécanisme initial de réponse à un agent pathogène.
Enfin, des travaux ont montré que, tout comme le THC, les opiacés provoquent une activation préférentielle des lymphocytes « helper » augmentant la production de lymphocytes B.
L’analyse des données épidémiologiques de l’infection par le VIH ou le virus de l’hépatite C a montré que les usagers réguliers de cocaïne qui ne prenaient aucune drogue par voie intra-veineuse avaient 3 fois plus de risque d’être contaminés que les sujets non-consommateurs, du fait d’une baisse du système immunitaire.
Des travaux chez l’animal ayant montré que la cocaïne altérait les processus de reconnaissance des agents pathogènes, étape première du déclenchement de la réaction immunitaire, des chercheurs ont voulu savoir si ce phénomène était observé chez l’homme. Dix-neuf sujets addicts à la cocaïne et autant de témoins non-addicts ont été hospitalisés pour participer à l’étude. Après deux jours de sevrage les addicts ont reçu soit 40mg de cocaïne soit un placebo à 48h d’intervalle par voie intra-veineuse. Des échantillons sanguins étaient recueillis plusieurs fois par jour pendant 4 jours. Les globules blancs étaient alors soumis à une épreuve de stimulation par un agent pathogène et on mesurait le taux de cytokines sécrétées par les cellules chargées de reconnaître si l’agent était étranger ou non. Avant l’administration de cocaïne, le taux de cytokines secrétées était moindre chez les sujets addicts que chez les témoins. Après administration de cocaïne, et par comparaison avec l’administration de placebo, le taux de cytokine sécrétées était aussi significativement moindre. Ces résultats confirment que la cocaïne, que ce soit en usage régulier ou en usage unique, altère globalement le système immunitaire en agissant sur la première étape de la réaction immune : la reconnaissance d’un agent pathogène extérieur à soi-même, ce qui n’exclut pas d’autres actions à d’autres étapes. Le mécanisme de cette action reste à déterminer.
La MDMA ou ecstasy a également le pouvoir de diminuer les défenses immunitaires. Des études ont été menées chez des sujets usagers occasionnels ainsi que chez des consommateurs réguliers de MDMA, après administration d’une dose de MDMA (75 à 100mg) ou d’un placebo, à une semaine d’intervalle. Chez les usagers occasionnels, la MDMA réduisait le nombre de lymphocytes circulants ainsi que leur prolifération après stimulation par un agent pathogène. L’effet était maximal au bout de 3 à 6h et durait jusqu’à 24h chez certains. La comparaison des valeurs de base chez les usagers réguliers par rapport aux témoins montrait des résultats similaires, témoignant d’une réduction à long terme des défenses immunes.
L’impact de cette réduction sur la résistance aux infections a été évaluée chez la souris en utilisant le virus de l’herpès. L’administration de MDMA augmentait la susceptibilité à l’infection par le virus, caractérisée par un début plus précoce de la maladie que chez les souris témoins et le fait qu’une dose moins élevée était nécessaire pour infecter la moitié des souris étudiées.
Une des cibles principales de la MDMA est le site de transport et de recapture de la sérotonine (voir article Histoire d’une rencontre avec la MDMA). Il est désormais acquis que les cellules du système immunitaire sont également porteuse de ce site, aussi une action directe de la MDMA sur ces cellules est envisagée. Toutefois les travaux les plus récents suggèrent que son effet serait majoritairement indirect et dû à une libération de neurotransmetteurs modulant l’immunité comme l’adrénaline ou l’acétylcholine.
Au total, les travaux scientifiques menés sur des modèles animaux ou cellulaires ont montré que l’ensemble des drogues fragilisent l’immunité.
Chez l’être humain, une consommation régulière excessive est clairement associée à une fréquence accrue d’infection dont la sévérité est souvent majorée. Les consommations aiguës entraînent des altérations immédiates dont la durée n’est pas connue de manière satisfaisante. Quant aux consommations modérées, qu’elle soient occasionnelles ou régulières, c’est aujourd’hui le mystère le plus total, les données étant manquantes.
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm