Addiction et jeux d’argent

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Addiction et jeux d’argent

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A ce jour, il n’existe qu’une forme d’addiction sans prise de substance qui soit reconnue par la communauté scientifique : l’addiction aux jeux d’argent...

Publié le: 
23/03/2018

Dans le monde entier des individus jouent et parient sur des jeux de hasards et des événements, et la plupart le font sans rencontrer le moindre problème. Cependant, certaines personnes développent des comportements problématiques voire pathologiques liés à cette pratique. Le joueur pathologique joue plus souvent et plus longtemps qu’il ne le souhaiterait, a du mal à contrôler son jeu, ressent le manque lorsqu’il ne joue pas et cela perturbe ses activités personnelles, familiales ou professionnelles. Ces comportements qui ressemblent à ceux observés en cas de dépendance à une substance ont fait ranger le jeu pathologique parmi les addictions en 2013.

Comme les symptômes de l’addiction au jeu et aux drogues sont très proches, cela suggère que les mécanismes de leur survenue sont les mêmes. Mais autant on peut concevoir que la prise d’une substance qui inonde le cerveau modifie son fonctionnement, cela est plus délicat lorsqu’il s’agit d’une attitude. Et pourtant il est aujourd’hui admis par les chercheurs que le jeu pathologique et les drogues impliquent les mêmes voies neurobiologiques qui modulent la récompense, le comportement impulsif et compulsif, et l'humeur.

Drogues et système de récompense

L’hypothèse d’un socle neuronal commun aux addictions à des substances et à des comportements n’est cependant pas sans soulever de problèmes. Les mécanismes de base des drogues d’abus sont aujourd’hui bien détaillés. On considère que celles-ci ciblent principalement les systèmes dopaminergiques, qui construisent nos relations aux récompenses dans l’environnement et sous-tendent donc nos plaisirs ordinaires. De manière plus précise, l’activité des neurones à dopamine a pour but de signaler si un stimulus produit plus ou moins de récompense que prévu. Ce signal sert à apprendre : une action qui amène à un résultat meilleur que celui attendu est renforcée, c.a.d. qu’on va vouloir la répéter, tandis qu’une déception n’incitera pas à recommencer. C’est l’apprentissage par renforcement. Dans le cas d’un stimulus naturel inconnu (de la nourriture par exemple), les neurones à dopamine s’activent et déclenchent l’apprentissage, mais une fois qu’on connaît la récompense attendue (on obtient autant que prévu), ces neurones ne s’activent plus : l’apprentissage est stable et le comportement contrôlé. 

Dans le cas d’une activation par une drogue, ce système est détourné car la drogue stimule très fortement le système dopaminergique et induit une libération importante de dopamine dans les régions cibles. En conséquence la drogue, même attendue, activerait automatiquement et systématiquement le système dopaminergique, conduisant à un apprentissage sans fin.  Ce mécanisme aberrant, pourrait être une des clés aboutissant à la perte de contrôle.

Cette hypothèse pose un problème pour expliquer les dépendances comportementales, qui doivent uniquement s'appuyer sur des mécanismes de renforcement « naturels », internes au cerveau, car aucune substance ne vient sur-activer le système. Si dans le cas des jeux de hasard, les récompenses ne suscitent qu'une réponse « normale » des neurones à dopamine, on comprend mal comment le système peut être « détourné » et aboutir à une hyper-activation. Des comportements comme le jeu peuvent donc nécessiter des ingrédients supplémentaires ou des dysfonctionnements spécifiques afin de produire une dépendance.

La récompense dans le cas des jeux d’argent

Une question se pose alors. Qu’est-ce-qui dans les jeux d’argents active spécifiquement le système dopaminergique ? Le jeu pathologique peut être considéré comme la recherche d’un gain associé à une incertitude excessive. L’incertitude est ici définie comme l’incapacité à prédire le résultat d’une action : en clair « je joue, je ne sais pas si je vais gagner mais cela m’excite ». De fait, les neurones dopaminergiques ne  sont pas seulement sensibles à la récompense attendue (le gain), mais aussi d'autres attributs associés à cette récompense, tels que l’incertitude, le risque, ou la nouveauté. Dans l'apprentissage par renforcement, les attributs associés à la récompense sont des « bonus » d’exploration, c’est-à-dire des valeurs supplémentaires attribuées à des actions nouvelles ou aux conséquences incertaines. Cette valeur supplémentaire favorise l'exploration des actions pouvant apporter des informations.

Ceci suggère donc que l’imprédictibilité d’une récompense qui est maximale dans un jeu impliquant le hasard active le système dopaminergique : elle « s’ajoute » à l’activation liée à la récompense en elle-même, c.a.d. l’argent dans le cas des jeux.

Cela expliquerait pourquoi des individus, même sans pathologies particulières, mais aussi ceux ayant le goût du risque ou à la recherche de sensations, sont attirés par les jeux d’argent alors que les chances sont contre eux et que globalement ils savent qu’ils seront perdants.

Hasard et argent se combineraient donc pour produire une activation du système dopaminergique et du renforcement. Cette activation est-elle suffisante pour détourner le système, et basculer d’un comportement renforcé mais stable, à une perte de contrôle ? La réponse n’est pas encore claire aujourd’hui, mais la relative faiblesse du pouvoir addictif du jeu en comparaison des drogues est en accord avec cette moindre sur-activation des neurones à dopamine, qui serait donc moins susceptible d’aboutir sur une perte de contrôle.

Enfin, pour comprendre cette perte de contrôle, malgré des effets dopaminergiques directs faibles, il est peut-être nécessaire de relever qu’une grande partie des joueurs excessifs souffre également d’une addiction aux substances d’abus. Ces associations pourraient s’expliquer par une sensibilité plus grande du système dopaminergique, soit préexistante, soit due à une première addiction favorisant l’apparition de la seconde.

Auteur(s): 
Philippe

Faure

PhD, DR1 CNRS

PhD, DR1 CNRS
Neuroscience Paris-Seine – IBPS
UPMC UM CR18 – CNRS UMR 8246 – INSERM U1130
Equipe Neurophysiologie et Comportement (NPC)

 
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