Si la caféine est une substance psychoactive consommée souvent quotidiennement, on ne parle pas pour autant d’addiction : décryptage d’une habitude...
La caféine, également dénommée théine, est un alcaloïde (molécule contenant au moins un atome d’azote) contenu dans plus de soixante plantes différentes dont la plus connue est « Coffea arabica », ou café. Comme la nicotine, elle est toxique envers de nombreux insectes et herbivores, permettant ainsi aux plantes en contenant de se défendre et d’assurer une meilleure chance de survie.
La caféine est présente dans de nombreuses boissons, le café bien sûr, mais aussi le thé, le maté (boisson traditionnelle d’Amérique du Sud) et les boissons dites énergisantes. On en trouve aussi dans certaines glaces, confiseries et barres énergisantes ou chocolatées.
La caféine est un stimulant du système nerveux central. Les auteurs scientifiques s’accordent sur le fait qu’elle active l’éveil, atténue la fatigue et la somnolence, par contre son impact positif sur la mémoire est discuté, les études sur volontaires donnant des résultats discordants. Pour Honoré de Balzac, grand amateur de café, il n’y avait pourtant aucun doute comme il en a témoigné dans une revue littéraire au XIXème siècle : « le café glisse dans l’estomac et vous ressentez de suite une grande agitation. Les idées bougent comme les bataillons de la grande armée sur un champ de bataille (...) la mémoire revient au galop, portée par le vent ». Le titre de l’article était « Plaisirs et douleurs du café », Balzac ressentant également des effets secondaires car il en buvait plus de 50 tasses par jour du temps où il écrivait la Comédie humaine !
Après ingestion, la caféine est rapidement absorbée, le pic maximal de concentration étant atteint 30 à 60 mn après. Elle diffuse largement dans tout l’organisme, franchit la barrière hémato-méningée protectrice du cerveau ainsi que le placenta chez la femme enceinte. La caféine est métabolisée par le foie, essentiellement en paraxanthine, et en théobromine et théophylline dans une faible proportion. La paraxanthine possède les mêmes propriétés stimulantes que la caféine. Moins de 2% de la caféine sont éliminés tel quel dans les urines. La demi-vie de la caféine varie entre 2 et 12h en fonction des variations individuelles de métabolisme et de la dose absorbée. Chez les fumeurs le métabolisme de la caféine est environ 2 fois plus rapide que chez les non-fumeurs en raison d’une activation accrue des enzymes du foie.
La caféine, ainsi que ses métabolites, est un antagoniste des récepteurs de l’adénosine. Un antagoniste est une molécule qui se fixe sur un récepteur et empêche la molécule qu’il reçoit habituellement de s’y fixer. La caféine va donc diminuer les effets de l’adénosine en l’empêchant de se fixer sur ses récepteurs. Dans le cerveau, l’adénosine est un neuromodulateur qui freine l’activité neuronale, provoque l’endormissement et le sommeil (pour le détail de ce mécanisme, voir aussi l’article Le sommeil sous alcool est-il réparateur ?). L’adénosine circule dans le milieu extra-cellulaire, sorte de mer intérieure de l’organisme dans laquelle baignent les cellules. Elles y puisent l’oxygène et les nutriments dont elles ont besoin, elles y rejettent des produits de dégradation et des molécules apportant des informations à d’autres cellules. Les récepteurs de l’adénosine sont de 4 types : A1, A2a, A2b, A3. La caféine bloque principalement les récepteurs A1 et A2a.
Les récepteurs A2a sont particulièrement nombreux dans les aires cérébrales riches en dopamine comme le striatum, le noyau accumbens et le tubercule olfactif. Ils y sont co-localisés avec certains récepteurs de la dopamine. Or l’adénosine régule négativement la transmission dopaminergique d’un neurone à l’autre en agissant à la fois aux niveaux pré- et post-synaptique. La présence de caféine empêche donc cette action de l’adénosine et de nombreux travaux menés chez l’animal ont montré que l’administration de caféine augmentait la libération de dopamine dans le noyau accumbens, structure faisant partie du circuit de récompense.
La caféine ainsi que son métabolite principal la paraxanthine entraînent une augmentation de la pression artérielle et du rythme cardiaque, de l’ordre de 10% selon les résultats d’une étude menée chez des volontaires ayant reçu alternativement une dose de 4 mg/kg de chacune des substances. Cette modification de la pression artérielle est due à une augmentation de sécrétion d’adrénaline. L’adrénaline étant l’hormone de la fuite ou de la lutte, elle va participer à l’élévation du niveau d’attention et à donner un pic d’énergie à tout notre organisme.
La théobromine a des effets diurétiques, elle donne envie d’uriner, tout comme la théophylline, cette dernière ayant aussi pour effets de dilater les bronches.
L’adénosine en se fixant sur ses récepteurs situés sur le cœur a pour effet de diminuer la fréquence (effet chronotrope négatif) et la force de contraction (effet inotrope négatif) du muscle cardiaque. Le blocage de ces récepteurs par la caféine va augmenter le rythme et la puissance du cœur et encore plus si à la caféine est ajoutée de la guarana, substance qui possède les mêmes effets sur le cœur que la caféine. Ce mélange est proposé dans de nombreuses boissons énergisantes.
La consommation excessive de caféine est susceptible d’engendrer des troubles du rythme cardiaque dont le plus grave est la fibrillation ventriculaire, contraction anarchique des ventricules qui arrête l’éjection du sang vers l’ensemble de l’organisme et le cerveau, et nécessite des soins en urgence absolue.
Des données épidémiologiques suggèrent que la consommation de caféine diminuerait le risque de maladie neurodégénérative comme la maladie d’Alzheimer et ses troubles de la mémoire. De plus elle pourrait réduire les symptômes moteurs (tremblements) dans la maladie de Parkinson.
La teneur en caféine dans les boissons en contenant est extrêmement variable. Elle dépend du volume de la boisson et de la concentration en caféine. Dans un « café » qu’il soit long ou court, seul le volume change, la dose de café étant la même : on a entre 100 et 200 mg de caféine et entre deux et trois fois moins si le café est décaféiné. Dans un thé, c’est de l’ordre de 30 à 50 mg. Toutes ces valeurs sont bien sûr indicatives. L’Agence européenne de sécurité sanitaire des aliments a émis les recommandations suivantes : ne pas dépasser 400mg/j de caféine chez les adultes et 3 mg/kg/j de poids corporel chez les adolescents (par exemple 210mg/j pour une personne de 70kg). Une canette de boisson énergisante de 250 ml contient en général 80 mg de caféine.
Les effets de la caféine sont fonction des modalités de consommation. En cas de prise régulière, les effets psychostimulants s’atténuent en raison de la survenue d’une tolérance comme pour d’autres produits psychoactifs (voir article Tolérance et addiction).
Le manuel statistique des maladies mentales qui référence les pathologies psychiatriques consacre deux rubriques à la caféine : l’intoxication et le syndrome de sevrage, sans ranger la caféine parmi les produits susceptibles d’engendrer une addiction.
Les critères d’intoxication comprennent : une consommation récente de caféine supérieure à 250 mg ; au moins 5 des signes suivants : nervosité, excitation, insomnie, visage bouffi, diurèse augmentée, troubles gastro-intestinaux, soubresauts musculaires, pensées et discours décousus, tachycardie ou arythmie cardiaque, périodes d'infatigabilité, agitation psychomotrice. En pratique, les symptômes les plus courants d’une intoxication à la caféine sont : nausées, vomissements, maux de tête, palpitations, agitation, anxiété et tremblements. Dans de rares cas, des complications graves telles que des hallucinations et des convulsions peuvent survenir. Les symptômes disparaissent en général en 24h et ne nécessitent pas de soins particuliers.
Le syndrome de sevrage survient après l’arrêt complet ou une forte réduction de consommation de caféine faisant suite à une période prolongée d’excès. Le diagnostic comporte au moins trois des symptômes suivants : maux de tête, fatigue marquée ou somnolence, humeur dépressive ou irritabilité, difficulté à se concentrer et signes pouvant évoquer la grippe comme des nausées, des vomissements, des douleurs musculaires. Les maux de tête peuvent être diffus, s’aggraver progressivement et être sensibles aux mouvements. Les symptômes surviennent en général 12 à 24h après l’arrêt, atteignent leur maximum 1 à 2 jours après et peuvent durer jusqu’à une dizaine de jours, à l’exception des maux de tête qui peuvent perdurer pendant 3 semaines.
Pour autant, la caféine ne répond pas à plusieurs critères de l’addiction : elle a peu de caractère renforçant, c’est à dire que la prise d’une tasse de café n’incite guère à en reprendre une autre d’où une faible probabilité de perte de contrôle ; le « craving » ou besoin de caféine n’est jamais extrêmement pressant et incontrôlable ; la consommation de caféine ne conduit pas à négliger des activités professionnelles, domestiques ou de loisir. D’autre part, des critères de l’addiction sont non-applicables à la caféine comme la consommation dans un endroit dangereux et comme la poursuite de la consommation malgré l’existence d’un problème personnel ou social en lien avec la caféine.
Au total, la consommation de caféine peut être excessive jusqu’à l’intoxication mais il ne s’agit pas d’une addiction au sens propre du terme.
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm