Comment soigner l'addiction à la cocaïne ? 1ere partie

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Comment soigner l'addiction à la cocaïne ? 1ere partie

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En cas d'usage problématique d'une substance comme la cocaïne, en existe-t-il une autre pour guérir ? 1ere partie de l'article sur les aides au sevrage de la cocaïne : traitements médicamenteux

Publié le: 
12/05/2023

Comme souligné dans le rapport « La cocaïne, un marché en essor » publié en Mars 2023 par l’Office français des drogues et tendances addictives (OFDT), la consommation de cocaïne a beaucoup augmenté au cours des 20 dernières années en France et en Europe. En conséquence, les demandes d’aide au sevrage deviennent plus fréquentes. 
L’OMS définit l’addiction comme un état de dépendance périodique ou chronique à des substances ou à des comportements. Du point de vue scientifique et médical, l’addiction est une pathologie cérébrale. La personne qui en souffre attend de la science un remède et, en premier lieu, un médicament, une molécule qui guérira car c’est la base de la médecine traditionnelle.
Cet article fait le point sur l’efficacité des molécules testées (partie 1) et les aides psychothérapeutiques (partie 2) évaluées pour aider les personnes se sentant en difficulté par rapport à leur consommation de cocaïne.
En préambule, il faut noter que les résultats présentés ci-dessous concernent les personnes dépendantes uniquement à la cocaïne (sans dépendance à l’héroïne), et ne présentant pas une pathologie psychiatrique associée (schizophrénie, bi-polarité, troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH)). D’une manière générale, dans les essais cliniques rapportés, la proportion de sujets initialement inclus qui abandonnait le protocole en cours de route était élevée, souvent supérieure à 50%, réduisant ainsi la force des conclusions tirées. Par ailleurs, les traitements pharmacologiques étaient dans la majorité des cas accompagnés d’un soutien psychologique.

Médicament à base de N-ACÉTYL CYSTÉINE

La N-acétyl-cystéine est un médicament dont la principale indication thérapeutique est la fluidification des sécrétions bronchiques en cas de bronchite. Cette molécule a été testée pour traiter l'addiction à la cocaïne car elle facilite la synthèse de cystine dans l'organisme, une molécule composée de deux molécules de cystéine.

Faisceaux de neurones dans le cerveauLa consommation régulière de cocaïne entraîne une diminution du glutamate dans le milieu extracellulaire dans lequel baignent les neurones et les synapses des neurones. Des expériences chez les rongeurs ont montré que cette diminution participerait à la survenue des phénomènes de manque, communément appelés « craving ». 
Le mécanisme de cette diminution est un ralentissement de l’activité du transporteur permettant l’échange entre une molécule de cystine contre une molécule de glutamate (voir article Neurotransmetteurs et substances psychoactives 3 : Glutamate).

Transport du glutamate dans la synapse
Description : le glutamate est stocké dans des vésicules localisées dans la terminaison pré-synaptique. Après avoir été sécrété dans la fente synaptique et avoir activé le récepteur, le glutamate est capté par un système de transport qui le réintègre dans la terminaison synaptique dont il provient.

> Les études
Chez les rongeurs l’administration de cystine permet de restaurer en partie l’activité du transporteur.
Chez des rats préalablement rendus dépendant à la cocaïne et ensuite sevrés, l’administration de N-acétyl-cystéine permettait de réduire la fréquence des rechutes lorsque la drogue leur était à nouveau présentée.
En 2017, une revue a analysé 7 essais cliniques évaluant l’efficacité de la N-Acétyl-cystéine pour réduire la consommation de cocaïne. Hormis une étude incluant plus de 100 personnes, les autres portaient sur une vingtaine de consommateurs, nombre insuffisant pour tirer des conclusions solides. Les doses administrées variaient de 1200 à 3600 mg/j. Si seul 1 essai a montré une réduction de la consommation, une réduction de l’intensité du craving après arrêt de la consommation était fréquemment rapportée. L’intérêt de la N-acétyl-cystéine serait donc plus d’aider à maintenir l’abstinence après arrêt de la consommation que d’accompagner la réduction de la consommation. Toutefois les résultats restent à confirmer.

Les agonistes de la dopamine

L’idée de ce type de traitement est d'utiliser un agoniste, c'est-à-dire une substance qui active le même récepteur que celui ciblé par la drogue, mais dont les propriétés pharmacologiques protégeraient contre la survenue de la dépendance. D’une manière générale, les produits agonistes qui entrent lentement dans le cerveau, et/ou qui ont une longue stabilité, et/ou qui activent le récepteur de façon partielle, ont un potentiel addictif réduit. 

Médicament à base de modafinil
Le modafinil est un psychostimulant utilisé pour traiter la narcolepsie et l’hypersomnie. Son usage et sa délivrance sont strictement encadrés, seuls les neurologues et les médecins exerçant dans les centres du sommeil étant habilités à le prescrire.
Cette molécule a été testée dans l’addiction à la cocaïne car une de ses actions pharmacologiques est de bloquer le transporteur de la dopamine
> Les études
Une analyse combinée de 11 essais cliniques portant sur l’efficacité du modafinil sur le sevrage de la cocaïne a été publiée en 2017. L’effectif total était de 896 sujets, dont 510 avaient reçu du modafinil, en général une dose de 400 mg/j, et le reste un placebo pendant une durée de 4 à 6 semaines. Dans 8 des 11 essais, les patients recevaient un soutien psychothérapeutique.
Sur l’ensemble des études, par rapport au placebo, le modafinil n’augmentait pas le taux d’abstinence. Aucun effet sur le craving n’avait été observé.

Méthamphétamine 
Des expériences en laboratoire ont montré que les rongeurs ne font guère de différence entre la cocaïne et la méthamphétamine. Aussi des chercheurs ont pensé que la méthamphétamine pourrait être un traitement de substitution à la cocaïne, au même titre que la méthadone l’est pour l’héroïne. 
Aux USA, la méthamphétamine, substance puissante et au potentiel très addictif, est utilisée à petite dose, et sous contrôle strict, pour les traitements des TDAH.
> Les études
Une équipe américaine a réalisé en 2009 un essai portant sur 82 sujets dépendants à la cocaïne. Trente sujets ont reçu 30 mg/j de méthamphétamine à diffusion immédiate, 25 la même dose mais à diffusion retardée et 27 un placebo, pendant 8 semaines. 
La proportion d’échantillons d’urine négatif à la cocaïne était significativement plus faible (18%) chez les sujets ayant reçu la méthamphétamine à effet retardé par rapport à ceux ayant reçu la méthamphétamine à diffusion immédiate (65%), ainsi que ceux ayant reçu le placebo (64%). Toutefois, seuls 32% des sujets inclus avaient terminé l’essai. Ces résultats restent donc à confirmer.

Antipsychotiques

La revue la plus récente des essais cliniques sur les antipsychotiques en contexte de dépendance à la cocaïne date de 2017. Quatorze études incluant 719 participants ont été analysées. Les molécules étudiées étaient : risperidone, olanzapine, quétiapine, aripiprazole, haloperidol, reserpine. 
Aucun effet bénéfique d’aucune des molécules testées n’a été observé, ni sur le nombre de participants continuant à consommer de la cocaïne pendant la durée du protocole, ni sur le taux d’abstinence ou l’intensité du craving.

Anticonvulsants

Les anticonvulsivants ont été considérés comme des candidats pour le traitement de la dépendance à la cocaïne en se basant sur l'hypothèse que des mécanismes neurologiques semblables à ceux des crises d'épilepsie contribuent à la dépendance.
Dans la dernière revue des essais cliniques publiée en 2015, 20 études évaluant l’efficacité des anti-convulsivants respectant une méthodologie correcte ont été étudiées, portant sur 2068 sujets pour une durée moyenne de traitement de 11 semaines. Sept molécules ont été testées : carbamazépine, tiagabine, gabapentine, phénytoïne, lamotrigine, topiramate, vigabatrine. 
Quel que soit le produit testé, aucun effet supérieur à celui du placebo n’a été mis en évidence, que ce soit pour le craving, la proportion de sujets arrêtant de consommer, le nombre de jours sans prise de cocaïne, les scores d’anxiété ou de dépression.

Cannabidiol

Le cannabidiol, molécule contenue dans la plante Cannabis sativa, ne possède pas de propriété psychoactive comme le delta9-THC mais a un potentiel anxiolytique et neuroprotecteur. Des expériences en laboratoire ont montré que l’administration prolongée de cannabidiol à des rats les conduit à arrêter de consommer de la cocaïne et à réduire le stress provoqué par le sevrage. Le passage chez l’humain a été moins concluant… 
> Les études
Un essai chez des sujets dépendants à la cocaïne a été mené au Canada en 2021. Soixante-dix-huit sujets ont été inclus. Après un sevrage de 10 jours en milieu hospitalier, 40 d’entre eux ont reçu 800 mg/j de cannabidiol et 38 un placebo pendant 12 semaines. Après sevrage, l’intensité du craving a augmenté de manière similaire dans les deux groupes (+ 4 points environ). A douze semaines, 75 des 78 participants (soit 96%) avaient rechuté. L’effet secondaire le plus fréquent était la diarrhée dont 35% des sujets sous cannabidiol se sont plaints. Les auteurs ont conclu à l’inefficacité du cannabidiol dans cette indication.

Kétamine

La kétamine est un anesthésique qui possède des effets hallucinogènes. Elle est utilisée en médecine humaine pour les anesthésies pédiatriques car les doses nécessaires sont faibles ou comme analgésique pour les douleurs chroniques (Voir article Que devient la kétamine dans l'organisme ?). 
L’action principale de la kétamine est de bloquer les récepteurs NMDA au glutamate, neurotransmetteur excitateur principal du cerveau. Elle induit aussi la libération de dopamine et active, quoique faiblement, les récepteurs aux opiacés. 
Des travaux ont montré qu’une injection intraveineuse d’une dose ne provoquant pas d’anesthésie permettait d’alléger rapidement l’anxiété et la dépression, et que l’effet persistait bien après l’élimination complète du produit dans l’organisme. Ce bénéfice a été attribué à la restauration de l’équilibre du glutamate dans le milieu extra-cellulaire et, en conséquence, à l’atténuation de l’hyperactivité des réseaux de neurones. Ces propriétés ont fondé la mise en place d'études d’impact de la kétamine sur le sevrage de cocaïne.
> Les études
Un essai clinique comportant 20 participants usagers chroniques de cocaïne a été mené en 2017. Le protocole comportait 3 sessions de 6 jours d’hospitalisation, chacune séparée de deux semaines pendant lesquelles les participants étaient revus 3 fois. Lors de la première session les sujets recevaient une injection de placebo suivie le lendemain d’une offre de cocaïne. Lors de la deuxième et de la troisième session, ils recevaient à la place du placebo, soit de la kétamine, soit une benzodiazépine, c'est-à-dire un autre anxiolytique. Les résultats ont montré que la consommation de cocaïne des participants ayant reçu de la kétamine avait baissé de 66% par rapport au placebo et à la benzodiazépine. En dehors des sessions de suivi, la consommation avait également baissé les premiers jours suivant l’injection de kétamine mais l’effet disparaissait ensuite. 
La même équipe a réalisé un autre essai en 2019, portant sur 55 sujets. Une injection de benzodiazépine à titre de contrôle avait été administrée à 28 participants et de kétamine à 27 participants. Ils étaient ensuite suivis pendant 5 semaines pendant lesquelles ils participaient à une thérapie de méditation en pleine conscience 3 fois par semaine. La proportion de sujets strictement abstinents (échantillons urinaires sans trace de cocaïne ou de ses métabolites), pendant les 2 dernières semaines du suivi était de 48% chez ceux ayant reçu de la kétamine contre 11% chez les autres. De façon notable, après une évaluation téléphonique à 6 mois, 58% du groupe kétamine avaient rechuté contre 92% du groupe benzodiazépine. La kétamine semble donc améliorer l'arrêt de consommation de cocaïne.

En conclusion, malgré de nombreux travaux de recherche, on ne dispose pas encore de traitements médicamenteux pour le sevrage de la cocaïne ayant fait suffisamment ses preuves d’efficacité et ne provoquant pas d’effets secondaires notoires pour être accepté par les autorités médicales. Des pistes restent néanmoins ouvertes comme la N-acétyl-cystéine, l’utilisation des psychédéliques comme la kétamine ou les techniques de neuromodulation.

Les interventions psychosociales sont une aide précieuse pour le sevrage. Elles contribuent à maintenir, voire à renforcer la motivation à se sevrer, force sans laquelle l’amélioration est fortement compromise entre autres du fait des symptômes du sevrage (voir article Le sevrage de cocaïne). Ces thérapies peuvent être individuelles ou en groupe, s’appuyer sur des techniques de méditation et/ou de relaxation et /ou cognitivo-comportementales ou autres. Elles seront abordées dans la partie suivante de l’article.

Auteur(s): 
Bertrand

Nalpas

MD, PhD, Directeur de recherche émérite - Inserm

MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm

 
La consommation régulière de cocaïne modifie le fonctionnement du glutamate, un neurotransmetteur excitateur le plus abondant dans tout le cerveau.
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