Connu depuis l’antiquité ou découvert au cours du siècle dernier, l’usage thérapeutique de certaines drogues fait toujours l’objet d’études scientifiques
La Food and Drug Administration, l’équivalent américain de l’Agence européenne du médicament, vient de décider d’autoriser un essai thérapeutique à grande échelle d’administration de MDMA chez des personnes présentant un état de stress post-traumatique (ESPT). Une demande similaire a été faite en Europe. Le protocole de l’essai américain consiste en une administration à 2 ou 3 reprises d’une dose de 75 mg de MDMA à l’occasion de séances de psychothérapie encadrées par une équipe médicale (en comparaison le contenu d’un comprimé de MDMA est de 100 à 150 mg).
L’utilisation des drogues dans le cadre de rituels ou dans celui de traitement est très ancienne. Le pavot était utilisé comme analgésique dans l’Egypte ancienne, les propriétés thérapeutiques du cannabis étaient connues au XIIIème siècle, la cocaïne était distribuée aux indiens par les conquérants espagnols au XVIème siècle afin d’améliorer leurs performances physiques. Quant aux champignons hallucinogènes, ils étaient consommés dans le cadre de rituels chamaniques plus de 10 siècles avant notre ère. Plus proche de nous, un médecin anglais introduisit le cannabis dans la pharmacopée en 1840, Freud étudia et utilisa la cocaïne au début des années 1880 avant de s’en détourner. Enfin les hallucinogènes comme le LSD synthétisé en 1938 ou la psylocibine extraite du peyolt ont montré, dans des essais menés dans les années 1950-1960, des effets intéressants dans le traitement de l’anxiété sévère, de la dépression et aussi des addictions. On en a un témoignage célèbre dans l’autobiographie jamais publiée de Cary Grant qui raconte sa thérapie au LSD.
VIDEO - Trailer du documentaire Cary Grant, De l’autre côté du miroir
La diffusion dans la population et l’utilisation sans limite de ces molécules ont conduit les gouvernements à proscrire leur usage et leur commercialisation en raison des conséquences nocives, voire dramatiques, pour la santé publique des consommations non contrôlées.
Le regain d’intérêt actuel pour ces produits peut avoir plusieurs raisons. Selon l’Organisation mondiale de la santé, la fréquence des troubles mentaux comme l’anxiété, la dépression, la psychose, l’état de stress post-traumatique ou l’addiction ne fait qu’augmenter, au point d’être aujourd’hui en tête des causes d’incapacité dans le monde. Pour pallier cela, les ressources thérapeutiques sont dans une impasse relative, aucun médicament réellement novateur et efficace n’ayant été commercialisé depuis un bon moment. Par ailleurs, les connaissances scientifiques sur le cannabis, les amphétamines et les hallucinogènes ont largement progressé et une base rationnelle de leur efficacité peut être proposée.
Le cannabidiol (CBD) est une molécule contenue dans la plante cannabis sativa et présente dans le shit ou dans l’herbe des « joints ». Toutefois le CBD est dépourvu d’effets psychotropes, ceux-ci étant dus à une autre molécule, le delta9-tétrahydrocannabinol (THC). Le CBD se lie et active plusieurs types de récepteurs dans le cerveau comme le récepteur aux cannabinoïdes et celui à la sérotonine. De nombreux travaux chez l’animal et chez l’homme ont montré le potentiel de l’administration aiguë (une seule prise) du CBD dans le traitement de l’anxiété, des troubles compulsifs et de l’état de stress post-traumatique. Par contre les effets d’une administration à long terme sont encore mal connus.
L’utilisation de la MDMA dans le cadre d’une psychothérapie de groupe pour traitement de l’état de stress post-traumatique repose sur sa capacité à augmenter la concentration de sérotonine en stimulant ses récepteurs ainsi qu’à son action positive sur le circuit de la récompense dont le neurotransmetteur est la dopamine. La MDMA améliore la connectivité entre le cortex préfrontal et l’amygdale, ce qui contribuerait à atténuer les réponses anxieuses provoquées par les rappels des souvenirs traumatiques. De plus, les séances de thérapie ayant lieu en groupe, l’effet d’empathie produit par la MDMA est supposé permettre au patient de se sentir moins seul et donc plus fort pour lutter.
Les hallucinogènes comme le LSD agissent sur plusieurs neurotransmetteurs mais leur action principale est de se fixer sur les récepteurs à la sérotonine ; ils sont plus puissants que la MDMA. Ils provoquent des hallucinations visuelles mais sont aussi à l’origine d’expériences mystiques correspondant à un état de conscience engendrant le plus souvent un sentiment de communion et d’extase avec le monde. Ces états peuvent aussi survenir lors de séances de méditation profonde ou d’hypnose ainsi que lors de rituels basés sur la danse répétitive, les chants répétés en boucle, les battements sonores et enfin lors de la privation prolongée de nourriture ou de sommeil.
Les avancées en neuroimagerie ont permis d’identifier une série de zones cérébrales reliées entre elles dont l’activité diminue par rapport à l’état de repos lorsque le cerveau doit accomplir une tâche. Ces zones sont localisées de façon symétrique et bilatérale dans les aires préfrontales, temporales et pariétales. Au repos, ce système fonctionne dans un mode dit « par défaut ». Sa mission est d’agencer, de trier, de filtrer les informations, qu’elles proviennent de l’extérieur ou qu’il s’agisse de souvenirs, de façon telle qu’une analyse pertinente, mature, en soit effectuée en toute conscience, aboutissant à une prise de décision. Des résultats récents montrent que le fonctionnement « par défaut » du système est perturbé, ralenti, en cas de pathologie psychiatrique.
Les travaux d’électroencéphalographie et d’imagerie menés chez des personnes à qui des hallucinogènes avaient été administrés suggèrent que ces produits bouleverseraient également ce fonctionnement. Les informations ne seraient plus filtrées ni triées. De plus, des connexions inexistantes à l’état habituel entre les zones cérébrales seraient créées. Ce débordement d’informations associé à la dérégulation des circuits habituels d’analyse conduirait à un désordre de la conscience qui peut se traduire par une expérience mystique. Cette conséquence serait, selon les hypothèses actuelles, la clef de l’efficacité des hallucinogènes dans le traitement des maladies psychiatriques : après le désordre provoqué, le système pourrait se reconnecter à l’état originel, c.-à-d. avant la pathologie, et fonctionner de manière apaisée. De fait, dans les quelques essais cliniques disponibles, les patients qui présentaient le plus d’amélioration, et ce à long terme, étaient ceux qui décrivaient avoir vécu une expérience mystique profonde.
Comme ces drogues sont interdites, les recherches menées sur l’être humain sont rares, et les résultats disponibles ont besoin d’être consolidés. D’où l’intérêt des études qui ont été annoncées. Même si l’efficacité de ces traitements est confirmée, ces drogues ne deviendront sans doute pas pour autant un traitement de première intention. En effet manipuler l’état de conscience peut aboutir à des résultats non voulus et maintenir le sujet en dehors de la réalité ou dans une pensée magique. C’est pourquoi l’administration devra en être strictement contrôlée et le retour à la réalité devra être effectué dans un environnement thérapeutique approprié.
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm