Les chercheurs en neurosciences examinent les liens entre addiction et certains troubles mentaux comme la psychose et le TDAH.
Les personnes addictes ont fréquemment des symptômes à type d’angoisse, de dépression ou à l’inverse d’agitation, de délire, d’hallucination etc., troubles qui sont également présents dans de nombreuses pathologies psychiatriques. Les liens entre psychiatrie et addiction sont très anciens et la prise en charge des addictions a longtemps relevé du seul secteur psychiatrique.
En effet, selon les données épidémiologiques les plus récentes, 30% des personnes addictes présentent un trouble de déficit de l’attention avec hyperactivité et 15% des troubles psychotiques. A l’inverse entre 20 et 30% des personnes ayant des troubles psychiques seront en difficulté avec les drogues au cours de leur vie.
La question qui se pose est de savoir si les symptômes sont des conséquences de l’addiction ou si l’addiction est la conséquence d’une pathologie psychiatrique préexistante.
La psychose qui caractérise des pathologies comme la schizophrénie, les troubles bipolaires ou la dépression sévère a pour origine un trouble de fonctionnement du circuit mésolimbique, qui va de l'aire tegmentale ventrale au noyau accumbens, au tubercule olfactif, au cortex préfrontal et à l'amygdale. Ce circuit dont le neurotransmetteur est la dopamine, inclut le système de récompense, cible des produits psychoactifs.
La psychose est un ensemble de symptômes où les capacités mentales, les réponses émotionnelles, la capacité à reconnaître la réalité, la communication et l’interaction avec autrui sont altérées. Les symptômes à type de délire, hallucination, agitation, désorganisation du discours, dissociation du comportement sont dits « positifs ». La réduction du discours et des émotions, l’isolement social, l’anhédonie (diminution du plaisir), l’absence de motivation sont des symptômes dits « négatifs ».
La schizophrénie, pathologie chronique se déclarant le plus souvent à l’adolescence qui touche environ 600.000 personnes en France, se caractérise par un mélange hétérogène de symptômes positifs et négatifs qui peuvent survenir en alternance.
Les observations cliniques et les expériences en laboratoire sur des modèles animaux ont montré que les maladies, les traitements, les drogues qui augmentent le taux de dopamine favorisent ou produisent des symptômes positifs. Cela serait principalement dû à une hyperactivité du réseau dopaminergique allant de l’aire tegmentale ventrale aou noyau accumbens.
A l’inverse, la survenue de symptômes négatifs serait la conséquence d’un déficit, par manque de dopamine, de l’activité du réseau dopaminergique allant de l’aire tegmentale ventrale au cortex préfrontal. Le manque d’intérêts et d’émotions, l’appauvrissement affectif deviennent alors autant de raisons de prendre des drogues qui vont stimuler la libération de dopamine et procurer du plaisir. Mais la conséquence en sera une aggravation des symptômes positifs.
L’origine du dysfonctionnement des réseaux dopaminergiques n’est pas encore élucidée. Des travaux suggèrent qu’un trouble de la régulation par le glutamate du fonctionnement du réseau pourrait être impliqué.
L’usage régulier d’amphétamine ou de cocaïne peut être à l’origine d’une psychose facilement confondue avec une authentique schizophrénie. En effet, sous l’emprise de la drogue, les symptômes positifs sont prédominants alors que la « descente » après prise ou sevrage sera empreinte de symptômes négatifs, qui poussent le sujet à reconsommer.
Quant au cannabis, l’ensemble des données disponibles amènent à conclure qu’un usager régulier à l’adolescence augmente d’un facteur 2 la probabilité de survenue d’une schizophrénie.
Le diagnostic du trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) repose sur une triade de symptômes associant plus ou moins inattention (incapacité à maintenir son attention, à terminer une tâche, distractibilité…), hyperactivité (agitation incessante, incapacité à rester en place) et impulsivité (impatience, besoin d’agir….).
Les travaux d’épidémiologie évaluent à 23% la prévalence (le nombre de cas) de TDAH chez les sujets addicts et à 27% les abus de drogues chez les sujets avec TDAH.
Les recherches les plus récentes montrent que le TDAH est la conséquence d’anomalies de fonctionnement de réseaux de neurones situés dans le cortex préfrontal provenant entre autres du circuit limbique et du striatum.
L’hypothèse actuelle est que le fonctionnement harmonieux du cortex repose sur une stimulation faible, tonique, des récepteurs à dopamine et à noradrénaline. Cette dernière, lorsque son taux est faible améliore la transmission du signal porté par la dopamine. Des décharges phasiques, plus puissantes, ponctuelles renforcent l’apprentissage et le conditionnement par la récompense, ce qui incite à reproduire les expériences enrichissantes.
Le TDAH se caractérise par un déséquilibre des circuits noradrénergiques et dopaminergiques. Une déficience du signal noradrénergique et dopaminergique entraîne une diminution de la stimulation des récepteurs post-synaptiques, conduisant aux symptômes du TDAH : agitation, dispersion de l’attention, incapacité à rester assis et de se concentrer. Le traitement le plus utilisé consiste à stimuler la neurotransmission en administrant de façon très contrôlée des médicaments, comme le méthylphénidate (RitalineⓇ), qui bloquent la recapture de la dopamine et de la noradrénaline.
La prise de drogues est aussi un moyen efficace mais risqué pour augmenter la dopamine. En effet, les drogues sont susceptibles de détourner le système en générant des bouffées répétées de stimulation phasique en raison de leur capacité à libérer de la dopamine. Alors un signal incontrôlé phasique s’installe, renforce la récompense et l’impulsivité ce qui conduit à des comportements compulsifs de recherche de drogue.
Par ailleurs l’absence de traitement du TDAH génère un état de stress, le sujet devant gérer son trouble et se montrer aussi performant que les autres. Or le stress active les circuits dopaminergique et noradrénergique, ce qui provoque un excès de signal phasique, majore l’impulsivité et, au final, favorise l’abus de substances.
Des travaux menés chez l’animal ont montré que l’effet de certaines drogues sur l’impulsivité est fonction du niveau de base d’impulsivité de l’animal. Par exemple, la cocaïne et la nicotine augmentent l’impulsivité chez les animaux naturellement peu impulsifs alors qu’elles la diminuent chez les animaux spontanément impulsifs. Ces observations sont en accord avec le fait que, chez l’être humain, l’impulsivité est un facteur favorisant la consommation de substances psychoactives. La prise de drogues, qui augmentent la libération de dopamine, pourrait s’apparenter à une forme de « traitement » chez les sujets impulsifs, le risque étant de perdre le contrôle de la consommation en raison du pouvoir addictif des substances.
L’addiction peut masquer la maladie psychiatrique voire l’aggraver ou, à l’inverse, la soulager. Par ailleurs, la prise de substances peut interférer avec la prise en charge psychiatrique, avec le respect des posologies ou le métabolisme des médicaments et donc modifier leur efficacité. Les interactions entre addiction et pathologie psychiatrique sont donc nombreuses et nécessitent l’intervention conjointe d’addictologues et de psychiatres.
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm