Des médicaments à la codéine utilisés en cocktail

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Des médicaments à la codéine utilisés en cocktail

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Depuis cet été, certains sirops pour la toux utilisés en auto-médication ne sont plus en vente libre sans ordonnance. Base d’une boisson populaire sur la scène Rap et consommée par certains jeunes, voici les détails de ce détournement de certains médicaments du placard à pharmacie.

Publié le: 
22/09/2017

Depuis le 12 Juillet 2017, une ordonnance est obligatoire pour la délivrance des médicaments indiqués dans la douleur ou la toux contenant de la codéine, du dextrométhorphane (surnommé DXM), de l’éthylmorphine et de la noscapine, toutes ces molécules étant apparentées à la morphine. Des médicaments faisant partie de la pharmacie familiale depuis de très nombreuses années, prescrits en auto-médication et en vente libre, deviennent d’accès compliqué puisqu’il faut aller voir son médecin pour obtenir une prescription.  

L’origine de cette restriction d’accès provient de la survenue de cas d’intoxication sévère chez des jeunes (5 cas signalés depuis début 2017 dont deux décès) par des boissons appelées « Purple drank », « Lean », « Codé », « Codé sprite », « Cocktail bleu », produites en mélangeant des sirops à base de codéine ou apparenté, de la prométhazine et du soda.

Ce n’est pas en jouant à Harry Potter et le Prince de Sang-Mêlé que les adeptes de ces boissons ont trouvé la recette de ce qui ressemble au liquide violet utilisé dans la préparation du philtre de Mort Vivante. Consommée dans les années 1960 à Houston dans le milieu de la musique, c’est un rapper, DJ Screw, qui aurait été le premier à la rendre populaire : inspiré, il crée une technique de remix “chopped and screwed”, qui consiste à ralentir le tempo entre 60 et 70 battements par minute, combiner du scratch et hacher une partie de la chanson.

Les molécules impliquées dans ces mélanges

La codéine est un alcaloïde contenu dans le pavot somnifère (Papaver somniferum). Sa structure est très proche de celle de la morphine. Elle est utilisée comme analgésique (anti-douleur) soit seule soit associée à du paracétamol ou de l’ibuprofène et comme antitussif (contre la toux). Elle induit également des effets euphorisants modérés, responsables de son potentiel d’abus. La codéine se lie à des récepteurs opioïdes mais son action est environ 30 fois moins puissante que la morphine.

Environ 10 % de la dose de codéine administrée est transformée en morphine. Cette transformation est sous la dépendance d’enzymes du foie (le CYP2D6) dont il existe de nombreux sous-types. Selon le sous-type dont on est doté, on sera un métaboliseur lent, ce qui rend la codéine peu efficace, ou rapide voire ultra-rapide, ce qui entraîne un risque de surdose de morphine même pour une dose faible de codéine. On estime que 80% de la population est métaboliseur rapide et 2% ultra-rapide. A ce jour, on ne dispose pas de moyen simple commercialisé pour connaître son profil de métaboliseur.

Le dextrométhorphane a une structure moléculaire proche de celle de la morphine. On le trouve dans un médicament contre la toux. Il n’agit pas sur les récepteurs opioïdes et n’a donc pas d’effets analgésiques. Il agit sur d’autres récepteurs et provoque, à fortes doses, des effets hallucinatoires.

Ethylmorphine et noscapine sont des alcaloïdes apparentés à la morphine qui peuvent aussi entrer dans la composition des médicaments antitussifs.

La prométhazine est une molécule utilisée dans le traitement de l'allergie et de l'insomnie passagère. Sa présence dans les cocktails n’est pas liée à ses effets psychoactifs, mais elle permet de lutter contre les démangeaisons provoquées par la codéine. Les médicaments en contenant ne font pas l’objet de restriction de vente à ce jour.

A ces molécules s’ajoute le paracétamol car il est présent dans de nombreux médicaments à base de codéine. Le paracétamol est un antalgique (anti-douleur) très répandu. Sa transformation par le foie conduit à la production de métabolites toxiques qui peuvent, en cas d’accumulation, provoquer une hépatite médicamenteuse pouvant devenir fatale. Aussi la consommation régulière de spécialités contenant codéïne + paracétamol augmente ce risque.

Les effets ressentis

Nous ne disposons pas de résultats d’étude expérimentale en laboratoire pour la consommation de ces mélanges, mais d'informations provenant des enquêtes de terrain menées par l’OFDT (Office Français des Drogues et Toxicomanies).

Le cocktail produit des effets planants, proches de ceux du cannabis mais encore plus détendant.  La sensation d’ivresse s’approche de celle provoquée par l’alcool.

Des effets hallucinogènes dissociatifs peuvent également survenir en cas de cocktail contenant du dextrométhorphane. Les effets durent environ 3h.

Les effets secondaires

Dans la plupart des cas, la consommation du cocktail ne conduit pas à des dommages graves immédiats, toutefois le consommateur peut ressentir une somnolence, des vertiges, des nausées, une hypersudation, une diminution du rythme respiratoire.

Le risque de dépression respiratoire augmente si le mélange est consommé avec de l’alcool.

Dans les heures qui suivent, des troubles comme une altération du sommeil, une constipation, des démangeaisons peuvent survenir.

Les complications peuvent se produire même après une consommation unique.

Leur gravité est fonction de la dose, les effets secondaires de la codéine s’ajoutant à ceux de la prométhazine. Des troubles plus importants entraînant une hospitalisation d’urgence ont été observés : troubles de la conscience et/ou du comportement avec agitation, confusion, délire, ainsi que des crises convulsives généralisées.

Dans trois cas d’hospitalisation récemment rapportées en Ile de France, les jeunes concernés avaient absorbé un cocktail à base de 300 mg de codéine soit l’équivalent d’une bouteille de sirop, additionné de 250 à 750 mg de prométhazine, 10 à 30 comprimés dans la forme habituelle. Pour deux d’entre eux, ils n’avaient jamais consommé ce cocktail auparavant.

À plus long terme, l’usage régulier de codéïne ou de molécules apparentées peut entraîner une accoutumance qui impose d’augmenter les doses, voire une addiction.

DJ Screw décède d’une overdose de codéine mélangée à d’autres médicaments une dizaine d’années après avoir imposé son style.

Auteur(s): 
Bertrand

Nalpas

MD, PhD, Directeur de recherche émérite - Inserm

MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm

 
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