Des produits pour stimuler les capacités cognitives ?

9 mins

Des produits pour stimuler les capacités cognitives ?

Articles

De la caféine aux médicaments détournés de leur prescription comme les amphétamines, les effets stimulants des substances psychoactives évalués scientifiquement

Publié le: 
21/09/2023

Au cours des études, plus spécifiquement à l’approche des examens, le cerveau est en ébullition. On ressasse les connaissances nécessaires pour valider les épreuves, on fait plusieurs tours de révision, on sature et on a l’impression de ne plus rien savoir. On voudrait augmenter ses capacités cérébrales pour maintenir ou mieux booster les performances. 
Il en est de même pour de nombreuses personnes plongées dans la vie active. La pression du milieu professionnel, la nécessité d’atteindre des objectifs, la compétition entre collègues sont autant d'incitations à doper ses capacités mentales. 
Un recours peut alors être de prendre un stimulant. De nombreux stimulants sont disponibles, certains sont parfaitement légaux comme le café et la nicotine (voir article Fumer rend-il plus attentif ?), d'autres interdits à la vente comme la cocaïne (voir article Impact de la cocaïne sur les performances du cerveau), d’autres encore comme les amphétamines ou le méthylphénidate sont des médicaments détournés de leur indication médicale. 

Une étude recensant la prise de stimulants médicamenteux chez les étudiants en médecine de 10 pays différents a rapporté des fréquences allant de 5,2 à 47,4%. En ce qui concerne la prise dans les milieux professionnels, on ne dispose pas à ce jour de données statistiques fiables.

Mais prendre un stimulant du système nerveux central alors qu’on est en bonne santé améliore-t-il vraiment les performances cérébrales ?

La caféine

La caféine est un stimulant du système nerveux central. Les auteurs s’accordent sur le fait qu’elle active l’éveil, atténue la fatigue et la somnolence, par contre son impact positif sur la mémoire est discuté, les études sur volontaires donnant des résultats discordants.

Les extraits de café ou café vert

Ces extraits sont riches en acide chlorogénique, molécule qui interagit avec les systèmes biologiques cérébraux. Une étude de 2013 portant sur 20 sujets a montré que l’administration d’une dose (100 mg) d’extrait de café augmentait significativement le taux de BDNF (Brain-derived neurotrophic factor), une molécule impliquée dans le développement et la synthèse de nouveaux neurones ainsi que dans la régulation du sommeil et de l’humeur. Ces résultats ont suggéré un intérêt potentiel de ces extraits dans la stimulation cérébrale.
Une équipe a procédé à deux essais visant à évaluer l’effet de l’acide chlorogénique. La première, datant de 2020, a inclus 32 personnes, âgées en moyenne de 22 ans.
La dose d’acide chlorogénique était de 440 mg.
Les tests cognitifs incluaient différentes épreuves :

  • soustraction,
  • attention visuelle,
  • reconnaissance de mots,
  • et rappel de liste de mots.

La fatigue était également évaluée.
Ces tests étaient réalisés avant la prise du produit puis, 1h, 3h et 6h après. Une amélioration significative mais modeste (+8%) des scores des tests était observée à 1h et 3h mais disparaissait à 6h. 
Le deuxième essai datant de 2023 a comparé l’effet de boissons contenant 40mg et 120 mg d’acide chlorogénique à une boisson contenant 75 mg de caféine. Soixante-douze personnes, âgées de 18 à 49 ans, ont participé. Les mêmes tests cognitifs ont été utilisés. Ils étaient administrés avant la prise puis 1h et 2h après. Aucun effet notable des boissons testées n’a été détecté.
L’effet stimulant semble donc dépendre de la dose ingérée mais il reste de toute façon modeste.

 

BDNF - définition

Le guarana

Le guarana est une plante d’Amazonie possédant de nombreuses propriétés médicinales et stimulantes. Son usage a été décrit pour la première fois en 1669 par un missionnaire durant une expédition d’évangélisation dans l'État de Maranhao au Brésil. Les indiens l’utilisaient comme diurétique, comme aphrodisiaque, et pour calmer la fièvre, les maux de tête et les crampes. 
Les propriétés stimulantes du guarana sont attribuées à la forte concentration de caféine présente dans les graines. 

  • Un espresso contient environ 0,21% de caféine, 
  • un thé noir contient 0,02% de caféine, 
  • le guarana contient jusqu’à 5,3% de caféine. 

Aujourd’hui de nombreuses boissons énergisantes ainsi que des produits de phytothérapie contiennent du guarana.
De nombreux essais évaluant l’effet du guarana sur la cognition ont été réalisés. Le dernier en date, publié en 2023, a inclus 25 sujets sains âgés en moyenne de 21 ans. Lors de 3 sessions distantes d’une semaine, ils ont bu 250 ml d’une solution contenant soit de la caféine à la dose de 5 mg par kilo de poids corporel, soit du guarana à la dose de 125 mg par kilo de poids soit un placebo. 
Les tests cognitifs incluaient :

  • le temps de réaction simple, c’est-à-dire la rapidité avec laquelle le sujet appuyait sur la barre d’espace du clavier après affichage d’un stimulus sur l’écran de l’ordinateur,
  • le temps de réaction face à un choix : appuyer sur Z si la flèche apparaissant à l’écran pointait vers la gauche ou M si c’était vers la droite, 
  • le test de rappel des mots. 

Les tests étaient effectués 30 mn après absorption de la boisson. 
La guarana diminuait de 20% le temps moyen de réaction face à un choix (407 ms (millisecondes)) en comparaison du placebo (421 ms), mais était similaire à celui de la caféine (417 ms). Des résultats identiques étaient observés pour le temps de réaction. Aucun effet, ni de la guarana, ni de la caféine n’était observé sur le test de rappel des mots.
Une méta-analyse combinant les résultats de 8 essais réalisés entre 1994 et 2019 a été réalisée début 2023. Le nombre total de participants était de 328. Les doses administrées de guarana allaient de 32 à 500 mg pour une médiane à 222 mg. Les tests cognitifs étaient le plus souvent effectués 60 min après ingestion. La principale conclusion de cette étude est que la prise de guarana améliore le temps de réaction mais cet effet est de faible ampleur. Aucun effet positif sur la mémoire n’a été observé.
tests cognitifs

Médicaments détournés de leur usage thérapeutique

Les médicaments utilisés de façon détournée par des personnes en bonne santé pour augmenter leurs performances prennent le nom de « smart drugs ». Les principales molécules concernées sont indiquées pour traiter le trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité (TDAH) et la narcolepsie.
Les amphétamines sont indiquées principalement dans le trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité (TDAH). Cela est dû majoritairement à l’augmentation de la dopamine dans le striatum et le noyau accumbens. 
Le modafinil est un puissant stimulant qui permet aux personnes souffrant de narcolepsie (fatigue extrême, besoin de beaucoup de sommeil, endormissement brutal) de rester éveillées. Cette molécule stimule le système noradrénergique du thalamus, du cortex frontal et de l'hypothalamus ainsi que les récepteurs dopaminergiques de l'accumbens, du striatum et du cortex frontal. Cela conduit à une augmentation de concentration de noradrénaline et de dopamine.
Le méthylphénidate est indiqué dans le traitement des troubles du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), et accessoirement pour traiter la narcolepsie résistante au modafinil. Cette molécule est apparentée aux amphétamines. Elle agit en inhibant la recapture de la dopamine et de la noradrénaline.

Les essais cliniques
Une étude parue en 2012 a comparé une dose de 20 mg d’un médicament contenant des sels d’amphétamine à un placebo. Les 46 participants, volontaires sains, étaient âgés de 21 ans en moyenne. 
Les tests cognitifs exploraient plusieurs domaines :

  • la mémoire épisodique (la mémoire épisodique est un système mnésique chargé de l’encodage, du stockage à long terme, et de la récupération des événements personnellement vécus ),
  • la mémoire de travail (la mémoire de travail, antérieurement nommée mémoire à court-terme, est un système responsable du traitement et du maintien temporaire des informations nécessaires à la réalisation d’activités aussi diverses que la compréhension, l’apprentissage et le raisonnement),
  • le contrôle inhibiteur.

Ils étaient effectués avant la prise du médicament ou du placebo et 75 min après. Les résultats sur l’ensemble des participants n’ont pas montré de différence de performance entre placebo et amphétamine dans les différents tests. L’analyse du sous-groupe constitué par les participants ayant les performances basales les plus basses a toutefois montré une amélioration modeste mais significative du test de rappel des mots. 
En 2019, 43 sujets volontaires sains âgés de 20 ans en moyenne ont reçu une dose de 20 mg de d'amphétamine à libération immédiate.
Les variables analysées étaient :

  • les tests d'attention 75 minutes et 12 heures après l'ingestion du médicament,
  • la qualité du sommeil la nuit suivant les tests.

La répétition des tests entraînait une diminution significative des performances après prise du placebo mais pas après prise d’amphétamine. De plus l’amphétamine avait un effet bénéfique sur le traitement attentionnel 75 minutes après l'administration du médicament, mais cet effet ne persistait pas à 12 heures. Enfin, l'administration de stimulants a entraîné de fortes perturbations du sommeil nocturne.
Un total de 48 sujets en bonne santé âgés de 26 ans en moyenne a participé en 2021 à un essai comparant l’effet sur la cognition du méthylphénidate (20 mg), du modafinil (200 mg), de la caféine (200 mg) et d’un placebo. Trois groupes de 16 sujets ont été constitués. Lors de la première session, la moitié de chaque groupe recevait une molécule active et l’autre le placebo et c’était l’inverse lors de la session 2 une semaine plus tard. 
Les tests exploraient :

  • le raisonnement logique,
  • la vitesse de traitement de l'information,
  • la mémoire de travail,
  • la créativité,
  • l’attention soutenue,
  • la motivation.

Ils étaient réalisés avant la prise du produit et 90 min après. Le lendemain de l’épreuve les participants étaient contactés par téléphone, leur qualité de sommeil était évaluée et deux tests de rappel des mots appris la veille étaient effectués.
Les participants rapportaient des troubles du sommeil. Les effets bénéfiques de la prise de méthylphénidate étaient une amélioration significative quoique modérée du rappel des mots à 24h ainsi qu‘une diminution subjective de la fatigue. Aucun effet du modafinil n’a été observé que ce soit par rapport au placebo ou au méthylphénidate. Quant à la caféine, elle améliorait l’attention et le temps de réaction par rapport au placebo.
En 2023, 40 participants en bonne santé ont été inclus dans un essai comparant le méthylphénidate (30 mg), la dextroamphétamine (15 mg), et le modafinil (200 mg) à un placebo. Chaque participant recevait dans un ordre aléatoire une des molécules, y compris le placebo, lors de 4 sessions séparées d’une semaine. Un test évaluant la cognition était réalisé 90 min après la prise, il s’agissait du test dit du sac à dos : l’épreuve sur ordinateur, d’une durée maximale de 4 mn, consiste à remplir un sac avec des objets ayant un poids et une valeur monétaire donnés jusqu’à un poids imposé en maximisant la valeur monétaire finale du contenu. Le test était répété à huit reprises avec à chaque fois un poids final du sac différent.
Les résultats ont montré que, par rapport au placebo, les 3 médicaments :

  • ne modifiaient pas la probabilité de trouver la bonne solution ;
  • diminuaient la valeur monétaire atteinte ;
  • augmentaient, hormis le modafinil, le temps passé à trouver la solution ainsi que le nombre de mouvements effectués, traduisant donc une diminution de productivité.

Au total, les études réalisées suggèrent que la caféine et certains médicaments améliorent l'attention et le temps de réaction. Cet effet est temporaire et modéré, et est associé à des troubles du sommeil. De façon générale, la prise, en dose unique, de produits stimulants n’augmente pas ou peu les performances cognitives. Par ailleurs, on ne dispose pas de données concernant les effets, ni les conséquences de prises répétées, à moyen et long terme.

 

Auteur(s): 
Bertrand

Nalpas

MD, PhD, Directeur de recherche émérite - Inserm

MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm

 
Certaines substances psychoactives considérées comme stimulantes sont légales (ex : café, guarana), d'autres sont des médicaments détournés de leur usage médical (ex : amphétamine)
Total de 4 votes
Article(s) associé(s):