Alors que les données statistiques montrent que les substances psychoactives sont souvent impliquées dans les faits de violence, les recherches en neurosciences étudient quels sont leurs effets directs sur le comportement
En 1651 Thomas Hobbes écrivit dans son ouvrage Léviathan « L’homme est un loup pour l’homme », abordant ainsi le concept de l’existence d’un instinct de violence dans tout être humain. Mais cet instinct, si tant est qu’il existe vraiment, en général ne se manifeste pas spontanément. Il est aujourd’hui admis que le déchaînement de la violence d’une personne ou d’une foule répond à des facteurs déclenchants comme l’éducation, la culture, les idéologies, la pauvreté. A cette liste non-exhaustive doit être ajoutée la prise de substances psychoactives (hors tabac) et particulièrement l’alcool.
Aujourd’hui dans notre pays la violence survient essentiellement en milieu familial, conjugal et routier. Selon l’enquête « Cadre de vie et sécurité » menée chaque année par le ministère de l’intérieur, sur les 143 morts violentes au sein du couple en 2021, 24% des auteurs et 18% des victimes étaient sous l’emprise de l’alcool au moment des faits, 10% des auteurs avaient consommé d'autres substances psychoactives. 43% des femmes ayant subi un viol ou une tentative de viol estimaient que l’auteur était sous influence de l’alcool ou d’une autre drogue. En 2019, l’alcool était impliqué dans 31% des accidents mortels sur la route. Une large étude datant de 2013 a montré que la dépendance à l’alcool ou à une autre drogue multipliait par 3 le risque d’agression envers un intime. Enfin un travail mené aux USA en 2005, portant sur 1867 jeunes d’âge moyen 16 ans suivis pendant 5 ans, a montré que la consommation de drogues était significativement associée à la survenue de comportements violents.
Toutes les personnes alcoolisées et/ou sous l’emprise de substances psychoactives ne deviennent pas violentes. Aussi l’interaction entre violence et prise de drogues a été l’objet de nombreux travaux pour tenter de déterminer les facteurs déclenchant la violence. Le concept explicatif le plus reconnu aujourd’hui a été proposé en 1985. Il comporte trois modèles distincts :
- le modèle psychopharmacologique où la violence émerge en raison des effets du produit sur la neurobiologie du cerveau et la cognition.
- le modèle économique où se procurer sa drogue implique des actions violentes comme le vol, le cambriolage, les coups voire le meurtre.
- le modèle systémique qui s’adresse au milieu traditionnellement très violent s’occupant du marché et du trafic de drogue.
La violence due aux modèles économique et systémique est plus rare que celle due au modèle psychopharmacologique qui seul sera abordé ici. Il repose sur le fait que les drogues stimulent le circuit de la récompense, circuit composé de structures responsables non seulement du désir et du plaisir mais aussi des émotions comme la colère et l’agressivité. Les mécanismes biologiques et cellulaires de la bascule vers ces émotions négatives n’est pas aujourd’hui correctement décrypté. Néanmoins les données disponibles montrent que certains traits de personnalité d’une part, la nature de la substance ainsi que le mode de consommation d’autre part, semblent jouer un rôle important.
La personnalité d’un individu dépend autant de son bagage génétique que du milieu dans lequel se déroule son enfance et son adolescence jusqu’à l’âge adulte, la maturation complète du cerveau étant achevée autour de l’âge de 25 ans. Certains facteurs environnementaux ont été clairement identifiés comme facilitant les comportements violents. Ce sont particulièrement vivre dans un milieu hostile, subir une discipline très sévère, une atmosphère familiale agressive et violente, un manque de supervision parentale. Avoir une personnalité dite anti-sociale, caractérisée par des comportements de délinquance, l’incapacité à tenir ses engagements, le manque de scrupules envers les autres et le mépris du danger est aussi un facteur facilitant le recours à la violence. Ces personnes sont volontiers agressives et prêtes à se battre à tout instant.
La consommation des substances classées comme stimulantes est la plus à même de favoriser les comportements violents (voir article Peut-on comparer les drogues ?). Ce sont particulièrement la cocaïne, l’amphétamine et la méthamphétamine. L’alcool, bien que classé comme dépresseur, en fait également partie en raison de la désinhibition qu’il provoque et qui favorise un comportement violent en cas de provocation et chez les individus à tempérament bagarreur (voir article L’alcool est-il la cause des bastons ?). Le cannabis/marijuana est rarement impliqué hormis en cas de survenue de bad trip.
Des expériences sur des modèles animaux en laboratoire suggèrent que les modalités de consommation influent aussi sur le déclenchement de la violence. De la méthamphétamine ou du sérum physiologique a été administré à des souris dont l’agressivité était évaluée par la survenue d’attaques de morsure. La méthamphétamine était administrée deux fois par jour pendant 3 jours à une dose totale - jour 1 : 3 mg/kg, jour 2 : 7 mg/kg, et jour 3 : 11 mg/kg. Les deux semaines suivantes, elles recevaient 12 mg/kg/j toujours pendant 3 jours. Ce protocole d’administration avait pour but de mimer ce qui se passe chez l’être humain qui expérimente une drogue, augmente progressivement les doses en raison du développement de la tolérance et en devient dépendant.
Résultats :
De nombreux travaux en neuropsychologie ont montré que les sujets consommateurs réguliers de cocaïne ont d’une part une diminution de l’empathie et, d’autre part, des altérations des fonctions dites exécutives comme la flexibilité mentale, la planification, la prise de décisions et la capacité à inhiber des actions. La baisse de l’empathie, souvent associée à la personnalité antisociale, serait reliée à des difficultés de régulation émotionnelle. Ces troubles de l’émotion conduiraient à des interprétations erronées des comportements des autres, ce qui, associé aux troubles des fonctions exécutives, faciliterait le passage vers la violence.
Le sevrage brutal d’un produit, particulièrement l’alcool et l’héroïne, peut entraîner des troubles physiques et psychiques qui peuvent par eux-mêmes rendre agressif le consommateur en manque. La recherche désespérée du produit dont le consommateur sait qu’une dose fera disparaître les troubles peut, elle aussi, induire un comportement violent.
Certaines drogues sont utilisées à des fins d'agression. Les substances les plus couramment utilisées sont les benzodiazépines, le gamma-hydroxybutyrate (GHB), la kétamine mais aussi la codéine et le tramadol (voir aussi l'infographie Que devient le GHB dans l'organisme ?). Ces produits donnés à une dose faible mais suffisante pour abuser de la personne disparaissent rapidement de l’organisme. Aussi les tests sanguins et/ou urinaires permettant la détection de la drogue doivent être effectués le plus rapidement possible.
Être sous l'emprise de drogues augmente aussi le risque d'être victime de violences. En effet la drogue désinhibe, réduit la vigilance, affaiblit la résistance, voire fait perdre conscience, phénomène dont un agresseur peut profiter.
En conclusion, la prise de substances psychoactives peut augmenter la violence chez un individu, elle peut aussi être un facteur de risque d'en être victime.
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm