Peut-on comparer les drogues ?

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Peut-on comparer les drogues ?

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Si on raffole des Top 10 sur Internet, il est difficile d’en proposer un sur les effets des substances psychoactives sur le plan scientifique : le point sur les différents classements de produits.

Publié le: 
20/07/2018
Modifié le: 
12/05/2021

De très nombreux produits psychoactifs sont disponibles dans le monde. Certains sont libres d’accès comme l’alcool et le tabac, d’autres sont détournés de leur usage médical (codéine, kétamine…) et d’autres sont strictement illégaux. Tous agissent sur le cerveau et nombre d’entre nous se demandent lequel d’entre eux est le moins ou le plus puissant, agréable ou dangereux. Comment les départager ?

Nature et puissance de l’effet psychoactif

Les effets psychoactifs des drogues dépendent de facteurs liés au produit lui-même et de ceux liés à la personne qui consomme.
Le consommateur est à la recherche des sensations procurées par le produit, les principaux facteurs qui interviennent sont alors vitesse et durée d’action, intensité et type d’effet. Ces paramètres seront modulés par le phénomène de tolérance qui se développe très vite en cas de prise répétée et, d’autre part, par la sensibilité individuelle aux produits qui repose largement sur des facteurs d’ordre génétique ou épigénétique non encore parfaitement identifiés.
La vitesse d’action dépend de la voie d’administration, celle-ci conditionnant le temps mis au produit à atteindre le cerveau. L’effet débutera en l’espace d’une poignée de secondes en cas d’administration intraveineuse, 1 à 2 minutes par inhalation nasale ou par voie pulmonaire, 5 à 6 minutes par voie orale. La durée d’action est fonction de la rapidité d’élimination du produit par l’organisme. L’intensité dépend de la puissance du produit et de la dose prise. Déterminer la puissance psychoactive d’un produit et effectuer une comparaison est une entreprise difficile. Une première approche peut être de comparer les doses moyennes habituellement consommées lors d’une prise occasionnelle : LSD 0,20 mg, héroïne 20mg, kétamine 15 à 20 mg, cocaïne 50 à 100mg, MDMA 100 à 150 mg, cannabis 300mg, alcool 10g (1 verre). Le rapport entre le plus (LSD) et le moins (alcool) puissant est de 1 pour 50000 ! 
Toutes les drogues ont pour point commun d’agir sur le système de récompense, stimulant le désir et procurant une sensation de plaisir via la libération de dopamine, aussi une autre approche est de comparer l’augmentation de libération de dopamine, par les différents produits. Les données disponibles sont peu nombreuses et proviennent d’expériences chez le rongeur. Les doses utilisées correspondaient à celles qui provoquent une auto-administration spontanée chez le rongeur et ne sont pas facilement extrapolables à l’être humain. La libération de dopamine, par rapport à l’état basal, était multipliée par 1,25 par la nicotine, 1,5 par le cannabis, 1,75 par l’héroïne et par 2 par la cocaïne et l’amphétamine ; l’alcool n’avait pas été testé.

Types d’effets

Les actions des drogues s’exercent aussi sur d’autres circuits neuronaux que celui de la récompense et leurs impacts sur le fonctionnement cérébral, et donc l’effet ressenti par le consommateur, sont variables. Plusieurs tentatives de classification des drogues en fonction de leurs effets ont été proposées, la première datant de 1924. Aujourd’hui on distingue schématiquement trois classes dans lesquelles les produits sont rangés en fonction de leur effet principal :

  • les dépresseurs qui ralentissent le fonctionnement du système nerveux. On y trouve les opiacés (morphine, héroïne) et aussi l’alcool. 
  • les stimulants qui activent le fonctionnement du système nerveux. Le café et le tabac font partie des stimulants mineurs alors que les majeurs sont les amphétamines, la cocaïne et la MDMA ou ecstasy.
  • les hallucinogènes qui perturbent le fonctionnement du système nerveux et modifient la perception de la réalité. On y range le cannabis, le LSD, la kétamine, les solvants…

Les effets procurés par une drogue doivent être confrontés aux risques qu’elle présente pour l’organisme, et spécifiquement sa toxicité et sa capacité à engendrer une dépendance.

 

Toxicité

Certaines drogues peuvent être mortelles par overdose, même lors de la première prise. Les substances les plus concernées sont les dépresseurs parce qu’ils réduisent la fréquence respiratoire et cardiaque. Leur risque de décès est majoré du fait qu’ils sont souvent administrés par voie intraveineuse : la drogue arrivant brutalement de façon massive au cerveau peut provoquer une paralysie immédiate des centres respiratoires. Les décès suite à la prise de stimulants, principalement dus à la constriction des artères coronaires (infarctus provoqué par la cocaïne), sont beaucoup moins fréquents. Quant aux hallucinogènes, le risque de décès du fait de leur toxicité est minime.
La toxicité peut être mesurée par le rapport entre la dose moyenne pour une consommation récréative et la dose létale. Plus le rapport est grand moins les conséquences d’une erreur de dose ou d’un surdosage sont graves. Des estimations du rapport ont été réalisées à partir de données médico-légales d’autopsie et de doses létales extrapolées de celles observées chez l’animal. Les produits les plus à risque seraient l’héroïne (rapport = 6) et le GHB (8), l’alcool étant à 10, la cocaïne à 15, et le cannabis à plus de 1000. 
La toxicité non létale concerne essentiellement les « bad-trip » qui peuvent conduire à une déstabilisation psychique profonde de l’individu. Les travaux de recherche disponibles ne permettent pas de préciser les facteurs spécifiquement associés à la survenue d’un bad trip toutefois on incrimine souvent une dose excessive, ce qui est fortement suspecté pour le cannabis, ainsi qu’un état fragilisé de l’usager au moment de la prise. 

Dépendance

Devenir dépendant d’un produit psychoactif n’est pas l’objectif des usagers, ceux-ci souhaitant garder le contrôle de leur consommation. La survenue d’une dépendance dépend de trois facteurs solidement intriqués : l’usager par sa sensibilité au produit, l’environnement par la permissivité et la disponibilité du produit, et le produit lui-même par ses propriétés psychoactives.
Mesurer la puissance addictive d’une substance est donc extrêmement complexe. Dans un travail désormais ancien, publié en 1994, des chercheurs américains ont interrogé un échantillon représentatif de 8000 personnes sur leur consommation de produits psychoactifs et ont évalué leur degré de dépendance selon les critères médicaux en vigueur à l’époque. Ils ont ensuite calculé la proportion d’usagers répondant aux critères de dépendance. Selon cette approche le tabac était la substance la plus addictive (32% de dépendants), suivi par l’héroïne (23%), la cocaïne (17%), l’alcool (16%) et le cannabis (9%). Les estimations plus récentes réalisées en France par l’OFDT (Office Français des Drogues et Toxicomanies) sont fondées sur des questionnaires simplifiés mais validés qui donnent une indication quant à la probabilité d’un usage à type d’abus ou de dépendance. Selon les données recueillies en 2014, la proportion de dépendants était mesurée à 35% chez les fumeurs et à 8% chez les buveurs. Quant au cannabis chez les adolescents, 21% des usagers présentaient un risque élevé de dépendance.

Le point de vue de la société

Pour la société, le caractère dangereux ou non d’une drogue va être évalué principalement sur le critère de toxicité auquel s’ajoutent les éventuels désordres sociaux que la consommation peut générer.
La toxicité comprend l’ensemble des atteintes directes et indirectes, immédiates ou différées liées à la consommation du produit. Les effets immédiats sont principalement les décès par overdose et les effets différés sont, par exemple, les infections virales dues au partage du matériel d’injection, les cancers du poumon liés au tabac, les cirrhoses dues à l’alcool, les troubles psychiatriques engendrées par les consommations chroniques.... Ces pathologies qui se développent sur le long terme ont un coût social très lourd. Quant aux désordres sociaux ils incluent les infractions commises pour se procurer la drogue, l’accidentologie, les violences, les conséquences conjugales, familiales et professionnelles….

Classification générale

Comme chaque drogue a des conséquences variables en termes de toxicité, pouvoir addictif, conséquences sociales, des chercheurs ont proposé de créer un index composite de dangerosité prenant en compte ces différents facteurs.
La première classification de ce type a été élaborée en 1998 par le Pr. B. Roques. Elle rangeait les produits en trois groupes de dangerosité. Le premier, le plus dangereux, comprenait l'héroïne et les opioïdes, la cocaïne et l'alcool ; le second, les psychostimulants, les hallucinogènes, le tabac et les benzodiazépines, et le troisième, le cannabis. 
Des auteurs anglais ont procédé à un travail similaire une dizaine d’années plus tard en prenant en compte un éventail plus large de produits psychoactifs classés en A, B ou C selon leur dangerosité. Leurs conclusions ont été globalement les mêmes que celles de 1998. 
Ces nouvelles classifications n’ont pas eu d’influence sur la liste des produits inscrits dans la Convention sur les substances psychotropes définies en 1971. Par contre, en France, suite à la publication du rapport Roques, le champ d’action de la Mission Interministérielle de la Lutte contre les Drogues et Toxicomanies (MILDT devenue MILDECA) a été élargi à la lutte contre l’abus des produits licites que sont l’alcool et le tabac.
Au final, certains produits sont manifestement plus dangereux que d’autres, mais les effets restent difficiles à classer : certains stimulent, d’autres détendent, d’autres entraînent vers des mondes inconnus mais aucune substance n’est sans risque.

Auteur(s): 
Bertrand

Nalpas

MD, PhD, Directeur de recherche émérite - Inserm

MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm

 
Il existe 3 catégories de drogues, les dépresseurs, les stimulants et les hallucinogènes
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