Si les effets ressentis en combinant des drogues dépendent des quantités et des moments de consommation, les études scientifiques permettent d'y voir plus clair sur leurs conséquences neurobiologiques à moyen terme
La MDMA, appelée aussi Ecstasy ou MD est une petite molécule purement synthétique, le 3,4-méthylène-dioxy-méthylamphétamine, qui pénètre dans le cerveau en franchissant facilement la barrière hémato-méningée, notamment du fait de sa nature hydrophobique (=repoussée par l’eau). Sa structure chimique comporte un noyau central de phényléthylamine, qui est également présent dans de nombreux autres psychostimulants comme la méthamphétamine ou le méthylphénidate (RitalineⓇ). La mescaline et le LSD ont une structure proche de celle de la MDMA, ce qui explique que celle-ci puisse produire des effets stimulants mais aussi hallucinogènes. Ces propriétés sont dues en particulier à l’augmentation massive de sérotonine, et à un moindre degré de dopamine, dans le cerveau.
La particularité de la structure chimique de la MDMA est qu’un des atomes de carbone du noyau est asymétrique, d’où l’existence de 2 formes en miroir, R et S (pour les chimistes, ce sont des énantiomères comme le THC et le CBD, voir article Cannabis et Bad Trip). Présentant une disposition différente des atomes, les 2 formes peuvent avoir des propriétés différentes. De fait, des travaux menés sur des modèles animaux ont montré que la forme R engendrerait les effets hallucinogènes, alors que la S serait responsable des effets stimulants.
En général, la MDMA contenue dans les comprimés comporte les 2 formes R et S en proportion similaire. Cela peut toutefois varier, ce qui pourrait expliquer les différences d’effets ressenties par les consommateurs.
Selon les données de l’OFDT, la teneur en MDMA par comprimé a beaucoup augmenté ces dernières années, passant de 44 mg en moyenne en 2009 à 128 mg en 2017. Des quantités supérieures à 300 mg ont également été observées.
La dose toxique au-delà de laquelle peuvent survenir des effets indésirables graves comme une hyperthermie est évaluée, en moyenne, à 120 mg.
Les décès par overdose de MDMA sont peu fréquents mais la dose susceptible de provoquer le décès est difficile à déterminer pour au moins 3 raisons : l’historique des prises (nombre de comprimés) avant le décès est rarement précisément connue ; la MDMA est souvent consommée avec d’autres substances ayant leur toxicité propre ; des différences de métabolisme de la MDMA existent d’un individu à l’autre. De fait, les concentrations sanguines de MDMA mesurées chez des sujets décédés sont très variables, de 0,1 à 10 mg/l. Pour comparaison, la correspondance entre dose ingérée et concentration sanguine a été évaluée dans une étude menée sur 8 sujets volontaires. L’administration de 1,5 mg/kg de MDMA (soit 120 mg pour 80kg) aboutissait à une concentration de 0,33 mg/l deux heures après la prise.
La consommation de MDMA est peu répandue par rapport à celle d’autres substances comme le cannabis. Les enquêtes épidémiologiques de l’OFDT ont évalué à 3,4% l’expérimentation de MDMA par les jeunes de 17 ans en 2017 ; elle est toutefois plus élevée chez les 18-25 (7,0%) et les 25-34 ans (8,5%).
La MDMA est une substance assez spécifique aux événements festifs où elle circule largement. Dans ces événements, de nombreuses autres substances psychoactives sont également présentes : tabac, alcool, cocaïne, cannabis… et les mélanges sont fréquents. Une enquête récente a été menée en France chez plus d’une centaine d’étudiants ayant consommé de la MDMA au cours d’un festival. La fréquence de l’association était de :
Le lendemain de la fête, 29% fumaient du cannabis, 22% buvaient de l’alcool, 1,6% prenaient de la cocaïne et 5,5% des médicaments anxiolytiques de type benzodiazépine.
Les conséquences des mélanges entre produits sont le plus souvent vues sous l’angle des effets comportementaux. Les chercheurs quant à eux s’intéressent davantage aux aspects neurobiologiques et métaboliques. Les protocoles d’administration volontaire de MDMA et autres substances étant rarement autorisés pour des raisons éthiques, le modèle animal est le plus souvent mis à contribution, même si les résultats ne peuvent pas être transposés automatiquement chez l’être humain.
Les effets de l’alcool en combinaison avec la prise de MDMA dépendent de nombreux facteurs dont l’intervalle entre les prises, la dose d’alcool consommée et la température ambiante.
Un protocole de recherche sur les effets de la combinaison alcool-MDMA a été mené au début des années 2000 chez des volontaires sains, en comparaison avec ceux de l’alcool ou de la MDMA pris isolément. Il a été montré que deux heures après l’administration du mélange d’alcool (0,8 g/kg, soit 1,5 canettes de bière à 8°6 pour 70kg) et de 100 mg d’ecstasy, la concentration d’ecstasy dans le sang était augmentée de 13%, en comparaison avec la prise de MDMA seule, et celle de l’alcool était diminuée de 10%. L’alcool prolongeait les effets euphoriques de la MDMA. La MDMA entraînait une levée de la sédation provoquée par l’alcool mais n’atténuait pas la sensation d’ivresse ni la désorganisation psychomotrice.
Les travaux sur les modèles animaux ont permis de mieux comprendre l’impact du mélange. Chez les rongeurs l’alcool renforce l'activité locomotrice et atténue l’augmentation de température corporelle provoquée par la MDMA. Toutefois cet effet, réel lorsque la température ambiante du laboratoire était de 23°, disparaissait lorsque la température était élevée à 32°.
Les conséquences à moyen terme de l’administration du mélange d’alcool (1g/kg, répétée 10 fois toutes les 6 heures) et de MDMA (10 mg/kg à 2 reprises, soit une forte dose), par rapport aux produits pris isolément, ont été étudiées chez les rats adolescents. Quinze jours après, seuls les rats exposés à la combinaison alcool-MDMA présentaient des troubles de la mémorisation.
Enfin, la prise d’alcool augmente l’effet récompense de la MDMA, ce qui accroît potentiellement la probabilité d’augmenter la consommation de MDMA et donc de développer une addiction et d’aggraver les atteintes neurologiques que la MDMA provoque.
Selon des enquêtes menées au début des années 2000 auprès d'utilisateurs de MDMA, fumer du cannabis permettrait d’alléger les effets désagréables survenant à la disparition de ceux de la MDMA comme l’anhédonie (incapacité à ressentir des émotions positives), la dysphorie (troubles de l’humeur) ou la dépression.
Les interactions entre la MDMA et le Δ9 tetra-hydrocannabinol (THC) sont complexes. L’effet le plus saillant est la réduction par le THC de l’hyperthermie engendrée par la MDMA. Les travaux chez les primates ont montré que l’intensité et la durée de l’effet est fonction de la dose de THC. Toutefois au bout de 5 à 6h, l’effet disparaît et la température corporelle chute, l’effet hypothermisant du THC reprenant le dessus.
Chez le rongeur, la MDMA et le cannabis ont des effets opposés sur le stress oxydatif, phénomène à l’origine de nombreuses anomalies cellulaires telles que mutations de l’ADN, l'altération des protéines, et l'oxydation des membranes des cellules. Une administration aiguë de MDMA est neurotoxique, notamment parce qu’elle augmente le stress oxydatif. A l’inverse, le cannabis l’atténuerait du fait de ses propriétés antioxydantes. Ce phénomène reste à démontrer chez l’être humain.
L’impact du mélange MDMA-THC sur la cognition et la mémoire est complexe. Chez le rongeur, cette combinaison engendre une réduction de la mémoire de travail plus importante que celle provoquée par les produits pris séparément. Toutefois après sevrage, les rats ayant reçu le mélange MDMA-THC récupèrent mieux la mémoire de travail que ceux soumis à la MDMA seule, ce qui n'est pas le cas pour leur capacité de décision.
Chez l'être humain, les tests de cognition effectués sur les usagers de MDMA+cannabis montrent que ceux-ci ont des performances moindres que les usagers prenant chacune des substances isolément. La fluence verbale, la rapidité d’exécution et la mémorisation de mots sont particulièrement touchées.
L’activation des récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine (nAChr), très nombreux dans le cerveau, conduit à la libération d’acétylcholine mais aussi d’autres neurotransmetteurs tels que la dopamine, sérotonine, noradrénaline et GABA (voir dossier Neurotransmetteurs et substances psychoactives 1). Les récepteurs nAChr interviennent dans de nombreux processus comme le contrôle des mouvements, le cycle sommeil/éveil, l’anxiété, la douleur, l’attention et la mémoire.
La MDMA a la capacité de se lier à ces récepteurs. Chez la souris l’administration unique conjointe de nicotine (0,05 mg/kg soit l’équivalent de 3,5 cigarettes pour une personne de 70kg) et de MDMA (1 mg/kg, soit 70 mg pour 70 kg), entraîne une amélioration significative de la mémoire, évaluée 24 h après.
Chez l’être humain, ce résultat reste à vérifier, cependant une étude montre que la prise répétée de MDMA aboutit à des troubles de mémoire et de planification des actions.
La MDMA est métabolisée dans le foie par plusieurs enzymes, dont il existe plusieurs variants génétiques. La nicotine interfère avec un de ces variants, conduisant à une transformation accrue de MDMA en MDA, dérivé amphétaminique possédant des propriétés hallucinogènes. Pour autant, il n’y a pas d’étude permettant de vérifier les effets ressentis du mélange.
Ces deux substances ont des propriétés similaires. Elles augmentent la libération de dopamine, de sérotonine et de noradrénaline, mais par des mécanismes différents.
Chez le rat, l’administration conjointe de MDMA et de cocaïne engendre une activation locomotrice bien supérieure à celle de chacune des drogues prises séparément. Des effets anxiolytiques transitoires ont également été rapportés.
L’impact de la cocaïne sur l’effet récompense de la MDMA n’est pas clair. Entre augmentation ou réduction, les résultats des études sont contradictoires. Cela pourrait être dû à des différences méthodologiques : doses respectives des substances, administration différée ou simultanée, type de rongeur…
Concernant l’attractivité croisée d’une drogue vers une autre, l’ensemble des travaux à cet égard s’accordent sur le fait que, chez le rat, l’administration préalable de MDMA augmente l’auto-administration de cocaïne par l’animal.
Le GHB a pour rôle de moduler l’activité des neurones inhibiteurs, c’est un dépresseur du système nerveux central qui ralentit les fonctions cérébrales. A faible dose, ses effets sont semblables à ceux de la MDMA. La prise de GHB majore les effets de la MDMA et permet d’atténuer le mal-être ressenti après sa disparition.
Chez le rat sous MDMA, le GHB peut provoquer une augmentation de l’hyperthermie. De même, l’activité locomotrice est exacerbée après une prise aiguë. En cas de prise répétée de GHB, l’hypermotricité se réduit, probablement en rapport avec le développement d’une accoutumance neurobiologique.
Des analyses de l’hippocampe, structure fondamentale de la mémoire, ont été réalisées chez le rat 8 semaines après administration conjointe de MDMA et de GHB pendant 10 jours. Des modifications nettes de l’expression des protéines impliquées dans la neuroplasticité, la neuroprotection et la signalisation cellulaire ont été observées.
La prise concomitante de substances psychoactives est le plus souvent motivée par l'augmentation des effets ; la prise différée l’est par l'atténuation des troubles générés par le sevrage d’un premier produit. Ces combinaisons ont des résultats, parfois ou souvent, avérés sur les effets ressentis. Cependant sur le plan neurobiologique, chaque substance psychoactive a une action propre, toujours perturbatrice du fonctionnement du cerveau, avec sa propre toxicité.
D’une manière générale, les travaux sur l’impact des mélanges sur le système nerveux s’accordent pour conclure que la combinaison de deux substances est plus délétère que chacune prise isolément.
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm