Fabriqués en laboratoire, consommés en poudre ou comme additif sur des herbes ou avec d'autres substances psychoactives, les cannabinoïdes de synthèse (CS) imitent le cannabis en se fixant aux récepteurs cannabinoïdes dans le cerveau
Avertissement : tous les produits mentionnés dans cet article sont classés comme stupéfiant par les autorités sanitaires.
En Europe, 209 nouveaux cannabinoïdes de synthèse ont été détectés depuis 2008 et 24 signalés pour la première fois en 2022. Les cannabinoïdes de synthèse figurent en tant que groupe sur la liste des stupéfiants adoptée en France en 2017. Découvrez ce qui se cache derrière ces produits...
Les CS ont été détectés sur le marché des drogues au début des années 2000. La plupart sont fabriqués par des entreprises situées en Asie (Chine, Corée du Sud). Ils sont souvent présentés sous forme de mélange à fumer (poudre ou herbe). La préparation consiste à dissoudre quelques dizaines de milligrammes de CS grâce à un solvant industriel comme l’acétone par exemple, puis de les mélanger ou les pulvériser sur des matériaux végétaux. Le mélange est ensuite séché et emballé. Le damiana, la mélisse, la menthe et le thym sont fréquemment utilisés comme base végétale pour la préparation de ces mélanges à fumer. D’autres présentations imitant la résine de cannabis ou incorporées dans des cartouches de liquide pour e-cigarettes, ont aussi été répertoriées.
Les CS se consomment de différentes façons : inhalés dans des joints, des vapes, des banghs, ou vaporisés. Ils peuvent se retrouver sous forme de papiers imprégnés de cannabinoïdes de synthèse, mélangés à du tabac, dans des comprimés ou dans des mélanges de matière végétale à consommer sous forme d’infusion. Plus récemment, les CS sont apparus en ajout à des drogues traditionnelles et retrouvés dans du cannabis (résine ou fleurs) voire dans des échantillons d’héroïne. Ils sont vendus sous forme d’encens, d’herbes naturelles avec la mention “Pas pour la consommation chez l’homme”. Ils sont disponibles sur internet et dans certains magasins spécialisés.
Les CS doivent leurs noms aux initiales des scientifiques les ayant en premier synthétisés, c.a.d. fabriqués par réaction chimique : JWH pour John W. Huffman ; AM pour Alexandros Makriyannis ; CP pour Carl Pfizer. Les composés HU correspondent aux travaux faits dans l’Université Hébraïque de Jérusalem.
Ils sont divisés en 7 groupes structuraux principaux :
Plus récemment les noms ont été dérivés des initiales de leur composition chimique. Par exemple :
En 2016, l'Office européen des drogues et toxicomanies (OEDT) a décidé d'harmoniser ces dénominations en arrangeant la composition des CS désignés : groupe de liaison – liaison – noyau - queue, modifiant ainsi certaines d'entre elles. Par exemple, N-(1-carbamoyl-2-methyl-propyl)-1-[(4-fluorophenyl)methyl] indazole-3-carboxamide, initialement AB-FUBINACA, est devenu MABO-FUBINACA. On peut mentionner aussi QUPIC, QUCHIC, FUBINACA.
Le FUBINACA a été synthétisé et breveté en 2009 par les laboratoires Pfizer. L’utilisation thérapeutique attendue de cette molécule était en particulier le soulagement de la douleur mais aucun essai sur l’être humain n’a été réalisé. Son usage a été vite détourné et elle a été reconnue comme dangereuse aux USA en 2017.
Le plus retrouvé en addictovigilance est MDMB-4EN-PINACA.
Les CS agissent en activant les récepteurs cannabinoïdes CB1 et CB2 (définis dans l'article Neurotransmetteurs et substances psychoactives 6 : Endocannabinoïdes). La majorité des CS se lient très facilement et fortement aux récepteurs CB1 et CB2, bien plus que le Δ9-tetrahydrocannabinol (Δ9-THC), principe actif du cannabis. La molécule PINACA a une liaison plus forte que celle de FUBINACA. Ces molécules ont des structures chimiques variées et pour la plupart ne sont pas structurellement apparentées aux cannabinoïdes classiques. Elles sont également désignées par le terme « agonistes synthétiques des récepteurs cannabinoïdes » car elles sont similaires d’un point de vue fonctionnel au Δ9-THC (voir aussi l'article Quand la recherche sur le cannabis fait progresser les neurosciences).
Les principaux effets obtenus sont comparables à ceux provoqués par le Δ9-THC : euphorie modérée, désinhibition sociale (rire, paroles, …), sédation, hyperesthésie (accentuation de la sensibilité des organes des sens), réduction du stress, augmentation de la créativité, intériorisation des pensées et du ressenti, appréciation des arts. Les signes physiques objectifs sont une hyperhémie conjonctivale, c’est-à-dire les yeux rouges (voir article Du cannabis plein les yeux), un appétit augmenté avec grignotage, une sécheresse buccale, une accélération de la fréquence cardiaque, une insomnie, des troubles de la mémoire à court terme, des distorsions perceptives et temporelles. Une baisse de la température corporelle est également constatée. Ces effets surviennent en 20 à 60 minutes et se résorbent en près de 6 heures. Certaines manifestations peuvent toutefois persister jusqu’à 24 heures.
Les CS sont plus fortement associés que le cannabis au déclenchement de troubles psychologiques ou psychiatriques. Cela est probablement dû au fait que les CS se lient plus puissamment et plus fortement que le Δ9-THC aux récepteurs cannabinoïdes.
La consommation régulière de CS peut altérer les fonctions cognitives avec une altération de la mémoire, l’attention, l’apprentissage et la planification. La survenue d’une addiction caractérisée par le développement d’une tolérance, d’une consommation compulsive, l’abandon d’activités sociales et l’existence d’un craving (= envie irrépressible de consommer) est montrée. Le syndrome de sevrage associe anxiété, humeur instable, crises de larmes, sentiments de vide, désorientation spatiale, hyperacousie, douleurs, essoufflement, hyperventilation, transpiration intense, nausées, vomissements, perte de l’appétit, agitation motrice et intérieure.
D’autres symptômes psychiatriques retrouvés sont l’hyperactivité, l’agitation, l’irritabilité, l’anxiété, des symptômes dépressifs, jusqu’à des problèmes plus graves comme la paranoïa, des idéations suicidaires, des attaques de panique ou le « Zombie outbreak » (état d’absence et de déconnexion intense).
Les sujets les plus sensibles aux effets des CS sont les patients schizophrènes ou bipolaires stabilisés qui risquent d’éprouver une résurgence ou une exacerbation de symptômes délirants psychotiques.
Un autre groupe de personnes sensibles est celle « vulnérable », c’est-à-dire présentant une « prédisposition » (antécédents familiaux de troubles psychotiques, âge jeune de début de consommation, stress important, traits de personnalité schizoïde, troubles de la pensée, modifications du comportement social sans raison identifiable…), sans pour autant la connaître, à développer un épisode psychotique aigu qui peut récidiver si la consommation se poursuit.
Il existe un certain nombre de complications somatiques. Tout syndrome coronarien aigu, qui se manifeste généralement par une douleur à la poitrine, chez un sujet jeune sans antécédent cardiovasculaire particulier, doit faire rechercher la prise de cannabinoïdes de synthèse et de cannabis. Le diagnostic est sévère et associe une tachycardie, une hypertension artérielle, une douleur thoracique et des modifications de l’activité électrique du cœur, voire un arrêt cardiorespiratoire. D’autres complications retrouvées sont la confusion, une désorientation, des vertiges, des crises convulsives, des nausées, des vomissements, des douleurs abdominales, une insuffisance rénale aiguë.
D’autres conséquences graves doivent être signalées, parmi lesquelles des intoxications non mortelles mais aussi un certain nombre de décès notamment en cas d’association à d’autres substances. Les CS potentialiseraient le risque d’overdose : des cas d’overdoses non fatales suite au mélange d’héroïne à 3 cannabinoïdes comme MDMB-4EN-PINACA, MDMB-BUTINACA et ADB-BUTINACA ont été décrits.
Les cannabinoïdes de synthèse sont beaucoup plus puissants que le Δ9-THC extrait de la plante Cannabis sativa. Leurs effets, qu’ils soient psychoactifs ou nocifs, sont fonction de la dose. Comme pour toutes les substances illicites, l’absence d’étiquetage des produits est un risque en soi pour les consommateurs car on ne connaît ni la concentration du produit, ni son degré de pureté, ni s’il est mélangé à d’autres substances.
Karila
Psychiatre, DESC d’addictologie ;
Praticien hospitalier à temps plein, responsable de l’activité ambulatoire et du Centre Référence cocaïne et drogues psychostimulantes, Centre d’enseignement, de recherche et de traitement des addictions – Hôpital Paul Brousse, AP-HP, Villejuif - Université Paris Saclay
Membre de la Fédération Française d’Addictologie
Twitter : @laurentkarila
Bezo
Aurore Bezo est Chef de clinique à l’hôpital Paul Brousse et enseignante à Paris Saclay
Benyamina
Professeur des Universités, Praticien hospitalier.
Centre d’Enseignement, de Recherche et de Traitement des Addictions, Hôpital Universitaire Paul Brousse, Groupe Hospitalier Paris-Sud, AP-HP ; Université Paris Sud ; INSERM U1000