Zoom sur les effets de l’arrêt de la consommation d’alcool pendant un mois, études scientifiques à l’appui
En dépit d’une forte diminution de la consommation d’alcool depuis les années 1960, la France se situe encore dans le peloton de tête de la consommation d’alcool avec 11,7 litres d’alcool pur consommés par an et par habitant âgé de plus de 15 ans, selon les données 2017 de l’OMS. Un travail récent réalisé par Santé Publique France estime que 41 000 décès sont attribuables à l’alcool, dont 30 000 décès chez les hommes et 11 000 décès chez les femmes, soit respectivement 11% et 4% de la mortalité des adultes de 15 ans et plus. Chez les jeunes, la mortalité liée à l’alcool est due principalement aux accidents de la route. En 2017, 1035 personnes ont été victimes d’accidents mortels provoqués par des conducteurs en infraction avec l’alcoolémie routière et 50% de ces conducteurs étaient âgés de 18 à 34 ans.
L’alcool n’est pas un produit nécessaire à l’équilibre vital, ne pas en consommer n’altère pas la santé. Certaines études mettent en avant le bénéfice d’une consommation modérée d’alcool sur la réduction du risque de survenue de maladie cardiovasculaire ou de déficit cognitif chez les seniors. Cependant leurs résultats sont toujours discutés dans la communauté scientifique pour des raisons méthodologiques et par ailleurs cela ne concerne que les adultes et non les jeunes. De plus, la notion de « modération » est particulièrement floue, le point de bascule entre usage a priori sans danger et usage à risque étant propre à chaque personne.
En clair, les « conseils » de consommation et de modération ne sont que des repères.
Ils ne garantissent pas qu’une consommation en-dessous du seuil préconisé n’entraînera pas de dommages, et, d’autre part, ils ne doivent pas être considérés comme une autorisation à boire régulièrement, voire quotidiennement, jusqu’au seuil.
Enfin, ils ne concernent que les adultes, aucun seuil de consommation a priori sans risque n’ayant été établi pour les adolescents.
Les données épidémiologiques montrent que chez les jeunes, la proportion de non-buveurs stricts augmente. En Suède, elle est passée de 23,2% en 2003 à 48,7% en 2015 chez les jeunes de 15 à 16 ans. En France, la proportion de jeunes âgés de 17 ans n’ayant jamais bu d’alcool est passée de 5,4% en 2003 à 14,7% en 2017. La bascule vers la consommation peut toutefois venir vite. En effet, une étude publiée en 2016 a suivi pendant 3 ans plus de 1000 jeunes âgés de 11 à 15 ans et n’ayant jamais bu d’alcool lors de leur inclusion dans l’enquête. Elle a montré que leurs raisons de ne pas boire s’émoussaient rapidement dès qu’ils y avaient goûté, ne serait-ce qu’un peu. L’alcool étant un produit à fort pouvoir renforçant, un verre en appelant facilement un autre, la répétition, même irrégulière, de la consommation peut facilement se mettre en place, devenant une habitude.
L’augmentation de la fréquence de non-consommation est rassurante pour la santé publique. Mais cette observation est ternie par le fait que l’usage régulier d’alcool n’a pas suivi la même pente : diminution de 14,5% en 2003 à 8,9% en 2008, remontée à 12,3% en 2014 pour diminuer à nouveau (8,4%) en 2017.
Selon l’enquête ESCAPAD 2017, 44% des jeunes de 17 ans disent avoir connu un épisode de binge-drinking dans le mois précédant l’enquête et 16,4% au moins trois. De nombreuses recherches ont montré que la répétition des « binges » peut entraîner des altérations de la mémoire, de l’attention, de l’apprentissage qui peuvent s’accompagner de modifications anatomiques de certaines structures comme l’hippocampe. Ces altérations sont souvent peu perçues car ce qu’on retient d’un excès est la gueule de bois qui peut s’en suivre et, une fois celle-ci disparue, on estime que tout est rentré dans l’ordre. Mais ce n’est pas forcément le cas. Les désordres provoqués par l’alcool aux niveaux moléculaire et cellulaire peuvent s’exprimer bien après que le taux d’alcool dans le sang soit revenu à zéro (l’élimination de l’alcool dans le sang s’effectue à la vitesse d’environ 0,10 à 0,15 g/l et par heure, soit au moins 10 heures pour une alcoolémie à 1,5 g/l - voir infographie Que devient l'alcool dans l'organisme ?). Cela a bien été démontré sur les rongeurs chez qui la transmission entre les neurones était altérée 48h après deux épisodes de binge-drinking (voir article Mieux comprendre les déficits mnésiques après quelques épisodes seulement de binge-drinking). De plus les études menées chez des jeunes sujets binge drinker montrent des déficits cognitifs toujours présents alors qu’ils sont à jeûn d’alcool depuis plusieurs jours.
Le mois de janvier sans alcool (« Dry January » en anglais) a été instauré en Angleterre en 2013 par une organisation visant à réduire les dommages liés à l’alcool. L’action est soutenue par l’office national de Santé publique depuis 2015. Le nombre d’inscrits est passé de 4000 en 2013 à 60 000 en 2016. Une enquête portant sur 857 participants a montré qu’au terme de ce mois « sec » le sommeil s’était amélioré chez 71% d’entre elles, que 58% avaient perdu du poids et que 72 % avaient moins d’épisodes d’excès d’alcool 6 mois après. Les personnes interrogées étaient toutes des adultes, d’âge moyen d’environ 45 ans, consommant presque tous les jours, à raison de 4 à 5 verres. Mais l’intérêt d’une telle pause chez les jeunes mérite d’être posée.
S’abstenir de boire pendant 1 mois peut notablement améliorer les désordres provoqués par les excès. Une étude menée aux USA en 2014 a porté sur 39 jeunes âgés de 16 à 18 ans, ayant plus de 50 épisodes de binge-drinking à leur actif, dont au moins un au cours du mois précédent. Ils ont été comparés à 26 jeunes de même âge, consommateurs irréguliers d’alcool sans aucun excès. De nombreux tests neuropsychologiques ont été effectués au début de l’étude, puis après 2 et 4 semaines sans aucune consommation d’alcool. Les « bingers » avaient à l’entrée dans l’étude des performances moindres que les non-buveurs dans l’ensemble des tests (mémoire, précision du geste, interruption d’une tâche…) mais les différences avaient disparu au bout d’un mois. Ces résultats sont corroborés par ceux obtenus chez les adultes, plusieurs études ayant montré que les troubles cognitifs, fréquents chez les malades de l’alcool, s’atténuent fortement, voire disparaissent, après 4 à 6 semaines sans alcool.
La même équipe américaine de chercheurs a montré, sur un autre groupe d’adolescents, que les bingers avaient plus de frustration et d’irritabilité émotionnelles et moins de sentiment de bonheur que les non-buveurs. Mais là encore, les différences s’amenuisaient fortement au terme d’un mois sans alcool.
Cette hyper-réactivité due à l’alcool a été étudiée en imagerie fonctionnelle par une autre équipe américaine en 2015. Vingt-deux bingers et 16 sujets témoins non-bingers ont eu une IRM (imagerie par résonance magnétique) au cours de laquelle ils visualisaient pendant des temps brefs des images évoquant l’alcool ou des images témoins. L’appareil mesurait un signal reflétant les variations locales de l’activité du cerveau. Les bingers avaient une activité neuronale plus élevée que celle des témoins lorsqu’ils visualisaient les images alcool. Après un mois sans alcool, la différence avait disparu.
Au total, arrêter de consommer pendant 1 mois peut apporter du bénéfice à chacun, quel que soit l’âge. Cela permet de rompre avec des habitudes ainsi que d’évaluer comment on peut s’en passer, sachant que des précautions sont à prendre en cas de symptômes de sevrage (voir article Addictions : sevrage mode d’emploi). Cette pause permet au cerveau de se reconfigurer et d’être plus performant.
Crédit : Silver Illustration - images extraites de la VIDEO : Le Binge Drinking et la mémoire
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm