Si la consommation de stéroïdes anabolisants à forte dose améliore la performance musculaire, elle entraîne aussi de nombreux effets indésirables et un risque d'addiction
Dans une bande dessinée ancienne, le héros, un marin nommé Popeye, voyait la taille de ses biceps décupler après ingestion d’une boîte d’épinards. Ce personnage chétif disposait alors d’une force insoupçonnée et pavanait avec ses gros muscles. Les épinards ne possèdent pas le pouvoir de gonfler les muscles mais d’autres substances s’en chargent, ce sont les stéroïdes androgéniques anabolisants (SAA).
Le développement des SAA a débuté dans les années 1930 après l’isolement et l’identification de l’hormone androstérone. Jusque vers les années 1990 ces molécules étaient utilisées en usage médical ou vétérinaire. Ultérieurement des précurseurs des androgènes ont été commercialisés comme supplément nutritionnel. Ce sont soit des précurseurs naturels, soit des précurseurs synthétiques que l’organisme convertit en molécule active. Facilement disponibles via le commerce en ligne, la plupart de ces substances n’ont pas été soumises à des tests validés de toxicité et de sécurité ni chez l’animal ni chez l’homme.
La testostérone est le chef de file des stéroïdes anabolisants. Elle est administrée le plus souvent par voie veineuse car, en cas de prise orale, elle est très rapidement métabolisée (= dégradée) par le foie. Certains stéroïdes (turinabol, stanozolol, méthandienone...) ont une longue durée d’action par voie orale, mais c’est au prix d’une toxicité hépatique. Un des plus utilisés est la nandrolone.
Les principales indications médicales de la testostérone sont : chez l’homme l’hypogonadisme, insuffisance de fabrication de testostérone par les testicules, pathologie génétique ou acquise, après les oreillons par exemple ; chez la femme les troubles de la libido après ablation de l’utérus ou des ovaires. Les doses de testostérone administrées sont variables, de l’ordre de 5 à 15 mg/j selon la pathologie et le mode d’administration, voie orale, intramusculaire ou cutanée.
En France, la proportion de consommateurs de SAA dans la population générale n’est pas connue avec précision. Les médecins généralistes, selon une enquête récente, estiment que 1 à 10% de leur patientèle est concernée. Le rapport 2019 de l’Agence Française de Lutte contre le Dopage indique une présence de substances interdites dans 1,1% des échantillons collectés, le tiers de ces substances étant des SAA. Les deux sports les plus concernés étaient le bodybuilding (avec 24 % de cas positifs), suivi par le kick-boxing (12 %). Un travail mené en Italie en 2018 sur 120 adolescents fréquentant un gymnase a montré que 24% d’entre eux prenaient des SAA.
Dans un travail paru en 2020, des chercheurs hollandais ont analysé un groupe de 100 sujets abusant de stéroïdes. Tous, sauf un, étaient de sexe masculin avec un âge allant de 20 à 40 ans. La plupart pratiquait le body-building ou des arts martiaux en amateur. Une étude plus ancienne, réalisée en 2002 aux USA sur près de 5000 jeunes, collégiens ou lycéens montrait que la prise de stéroïdes concernait davantage les sujets ayant une faible estime de soi et un tempérament dépressif, pratiquant des sports où haute taille et poids procuraient des atouts, et consommant par ailleurs des substances psychoactives.
Les stéroïdes anabolisants augmentent la synthèse des protéines. Pris en dose supra-pharmacologique, la masse, la force, la vitesse de contraction des muscles s’améliorent nettement ainsi que la récupération après un effort intense.
Les SAA diffusent de façon passive dans de nombreux tissus dont les muscles, les testicules et le cerveau. Ils se lient aux récepteurs intracellulaires des androgènes. Une fois activé, le récepteur migre vers le noyau où il se fixe sur des gènes cibles, ce qui déclenche la synthèse des protéines musculaires. De plus, les SAA diminuent la dégradation de ces mêmes protéines en bloquant les effets du cortisol sur le tissu musculaire, ce qui permet une récupération plus rapide.
Selon les données recueillies auprès des usagers, la prise de SAA s’effectue habituellement par cycles durant de 6 à 12 semaines, suivie d’une pause de même durée. Cette stratégie répondrait au besoin de laisser le corps se reposer après l’augmentation de la masse musculaire. Toutefois, comme cette dernière régresse rapidement après l’arrêt, la reprise de SAA intervient le plus souvent rapidement. La dose absorbée est variable, de l’ordre de 1000 mg par semaine dans une enquête récente, alors que la production naturelle de testostérone est d’environ 50 mg par semaine.
Initialement la prise de SAA était restreinte au monde du culturisme mais il s’est vite étendu à l’ensemble des milieux sportifs dans le but d’amélioration des performances. Aujourd’hui les SAA sont aussi utilisés dans un but esthétique, les hommes étant maintenant aussi concernés que les femmes par le culte du corps parfait.
La prise de SAA à des doses supra-thérapeutiques présente des risques de très nombreux effets indésirables. On relève surtout le risque d’hypertension artérielle, d’augmentation du cholestérol, de maladies cardio-vasculaires ou coronariennes. Des modifications de la structure du muscle cardiaque ont également été décrites. Une enquête ayant suivi pendant 10 ans un groupe d’abuseurs de SA a montré que la mortalité était multipliée par 3 par rapport à un groupe contrôle.
L'acné est fréquente en raison de la stimulation des glandes sébacées. Le risque de rupture tendineuse est majoré, l’hypertrophie musculaire n’étant pas associée à un accroissement de la solidité des tendons.
Chez les adolescents, les SAA peuvent arrêter la croissance osseuse, entraînant une réduction définitive de la taille adulte.
Les SAA ont des effets anabolisants mais aussi des effets sexuels.
L’effet le plus marquant est la réduction du volume des testicules, l’altération des spermatozoïdes et la diminution voire l’arrêt de la production de sperme. L’intensité et la durée de ces symptômes dépendent de plusieurs facteurs dont la durée d’utilisation, la quantité de substances et le type de SAA. En général ces effets sont réversibles spontanément dans un délai de 4 à 12 mois.
Par ailleurs, la testostérone peut être transformée en oestradiol (un oestrogène) par une réaction enzymatique. L’augmentation de concentration d’oestradiol va favoriser le développement de la gynécomastie (= augmentation du volume des seins), l’hyperpilosité corporelle et la chute des cheveux. D’autres effets virilisants sont observés, comme l’augmentation de la taille du clitoris chez la femme ou du pénis chez les enfants mâles, le changement de tonalité vocale par épaississement des cordes vocales.
Diverses substances ont été synthétisées pour tenter de dissocier l’effet sexuel de l’effet anabolisant en ne conservant que ce dernier mais à ce jour cela n’a pas encore été possible d’obtenir des stéroïdes anabolisants dénués d’effet hormonal.
Les récepteurs aux androgènes sont largement présents dans de nombreuses régions du cerveau, dont l’amygdale, l’hippocampe, l’hypothalamus et le cortex cérébral. Les SAA traversent facilement la barrière hémato-méningée et pénètrent dans le cerveau.
Si aucun cas de dépendance aux SAA pris à dose médicale n’a été décrit, il n’en est pas de même chez les usagers de forte dose. Une enquête menée en 2009 au Pays-Bas, portant sur 500 sujets, âgés de 25 ans en moyenne, pratiquant le fitness ou le bodybuilding et tous usagers de SAA a montré que 24% d’entre eux présentaient des signes de dépendance : consommation plus élevée, pause d’une durée moindre et persistance de la consommation malgré des effets négatifs. Parmi les signes de dépendance, le mieux décrit est le syndrome de sevrage à l’arrêt du produit, caractérisé par une humeur dépressive, une fatigue, un craving pour les SAA, un manque d’appétit, des troubles du sommeil et une absence quasi-complète de libido.
Plusieurs travaux de recherche suggèrent que le pouvoir addictif des SAA proviendrait d’une augmentation de l’activité du système opioïde. Chez l’homme, il a été fréquemment rapporté que les utilisateurs de SAA sont particulièrement à risque de développer une dépendance aux opiacés. Chez l’animal, l’administration chronique de SAA augmente, via l’activation des récepteurs opioïdes de type µ, la concentration de β-endorphine dans plusieurs régions du cerveau et dans le système dopaminergique de l’aire tegmentale ventrale, zone particulièrement impliquée dans le système de récompense et l’addiction. Toujours chez l’animal, l’administration de naltrexone, un inhibiteur des récepteurs µ, bloque l’auto-administration de testostérone. L’action des SAA sur les opioïdes semble scientifiquement solide, toutefois le mécanisme exact reste à préciser.
L'abus des SAA a été associé à la survenue de dépression, d'anxiété, de paranoïa. Le lien popularisé entre SAA et potentiel agressif est ambigu. Autant la testostérone induit un comportement agressif chez l’animal et un accroissement de l’impulsivité chez l’homme, autant cet effet est mitigé avec les autres SAA. Il semble que ces troubles apparaissent plus pendant le sevrage que pendant la prise des SAA.
En France la détention, sans raison médicale dûment justifiée, d'une ou des substances ou méthodes interdites fixées par arrêté du ministre chargé des sports est punie d'un an d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende. La liste des substances interdites est longue…
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm