Les recherches en génétique et en épigénétique tentent de déterminer les facteurs de risque de l’addiction : ce qui est codé dans nos gènes, mais aussi l’environnement qui en favorise l’expression dans notre corps.
2ème partie : épigénétique, le rôle de l’environnement.
“Patience. Pour le Jedi, c'est aussi le moment de manger. Bonne nourriture !“ Les premiers mots de Yoda à Luke lorsqu'il arrive sur le système Dagoba pour devenir un Jedi sont loin de ce qu'il attend. L'entraînement avec Maître Yoda apparaît comme un passage déterminant pour permettre à Luke d'affronter son père et en quelque sorte son hérédité.
L’épigénétique (du grec « épi » au-dessus de, au-dessus des gènes donc) correspond à l’étude des changements dans l’activité des gènes n’impliquant pas de modification de la séquence d’ADN et pouvant être transmis lors des divisions cellulaires. Par contre, contrairement aux mutations qui affectent la séquence d’ADN, les modifications épigénétiques peuvent être réversibles.
Les gènes sont portés par les chromosomes ; ceux-ci sont constitués d’une longue molécule d'ADN enroulée de façon très serrée (si on déroulait les 23 paires de chromosomes d’une seule cellule, le filament obtenu mesurerait 2 mètres !) autour de protéines appelées histones. Celles-ci gèrent le déroulement des sections d’ADN qui doivent être lues, et leur ré-enroulement après lecture.
Les gènes constituent les sections dites « codantes » de l’ADN, dont la lecture va déclencher la synthèse d’une protéine spécifique (un gène code pour une seule protéine), mais ces sections ne constituent qu’une petite partie des chromosomes. Le reste est constitué de sections « non-codantes » dont le rôle à ce jour n’est pas encore bien connu. Les sections codantes sont encadrées par des sortes de balises qui signalent le début et la fin de la zone de lecture. L’ADN c’est un peu comme un livre dont certaines pages seraient écrites et d’autres laissées blanches.
Le bon fonctionnement des histones et des balises des sections codantes dépend de leur composition chimique. Par exemple à l’état normal la balise de début de section autorise la lecture mais elle l’interdit lorsque lui a été greffé un groupement d’atomes appelé « radical méthyl (formule chimique = CH3) » ; le phénomène est dénommé « méthylation ». Les histones peuvent elles aussi être méthylées, acétylées (C2H3O) ou phosphorylées (PO32-), ce qui retentira sur le compactage et l’accessibilité de l’ADN.
Pour déclencher la fabrication des protéines qui nous constituent, la section du chromosome qui doit être lue à un instant donné doit donc être déroulée et le signal d’autorisation de lecture doit être au vert.
De nombreux facteurs dits environnementaux, parmi lesquels l’alimentation et le stress, sont susceptibles de modifier la lecture de nos gènes, cela aboutit à la production de protéines de piètre qualité et/ou en moindre quantité. Certaines de ces modifications vont perdurer dans le temps et peuvent même être transmises à la descendance.
Des résultats obtenus chez l’animal montrent que le stress conduit à des modifications épigénétiques et que, à l’inverse, l’existence de certaines modifications épigénétiques sont fortement associées au caractère « animal stressé ». Chez les humains, y compris les adolescents, des événements de vie traumatisants ou stressants, troubles affectifs, conflits intra-familiaux, agression physique ou sexuelle, harcèlement, pressions sociales ou familiales etc. sont des facteurs augmentant la probabilité de consommer des produits psychoactifs car ces derniers sont capables de réduire temporairement l’anxiété, du moins lorsqu’ils sont pris occasionnellement et à petite dose.
Mais ces produits psycho-actifs, pris ici dans un but d’être « moins mal », provoquent par eux-mêmes des modifications épigénétiques. Des études menées chez l’animal ont mis en évidence que l’administration de drogues telles que l’alcool, le cannabis ou, la cocaïne, augmente le degré de méthylation des histones et des balises de lecture. Ces transformations chimiques ont été associées, toujours sur le modèle animal, au développement de la tolérance, à la survenue de la dépendance et aux effets provoqués par le manque. Mais comme les altérations provoquées par la consommation régulière semblent ne pas être les mêmes que ceux provoqués par les prises occasionnelles, tous ces résultats doivent être confirmés ! L’épigénétique des addictions est une science encore jeune.
Ces altérations épigénétiques induites par les drogues contribuent directement à des modifications comportementales, comme par exemple la sensibilité aux effets récompensants, aux effets stimulants. Si la consommation de drogues intervient à une période active du développement cérébral comme l’adolescence, cela pourrait expliquer la subsistance de « traces » épigénétiques à long terme pouvant avoir des répercussions sur le fonctionnement cérébral et le comportement.
A l’inverse, des résultats, toujours obtenus chez l’animal, démontrent qu’un environnement social dit « enrichi », caractérisé par une vie en groupe, des jeux et des nouveautés qui stimulent les fonctions cognitives, motrices et sensorielles permet d’atténuer les prises de produit, ce phénomène étant en lien avec la mise en jeu de mécanismes épigénétiques.
Ces expériences confirment ce qui a été observé dans des essais thérapeutiques pour la dépendance au cannabis chez l’homme : un environnement attractif et varié, ainsi que la pratique du sport, permettent de détourner l’attention des drogues.
Pour résumer, en élevant Luke dans un environnement équilibré et en l’envoyant en entrainement intensif avec Maître Yoda, Obi-wan Kenobi et l’Ordre Jedi lui permettent de résister au côté obscur de la force et de sauver la galaxie ;)
A lire aussi - 1ère partie de cet article : L’addiction est-elle une maladie génétique ? 1/2
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm
Ramoz
Inserm U U894 CENTRE DE PSYCHIATRIE ET NEUROSCIENCES
Maëline