Si fumer un joint peut créer un état de détente, il arrive parfois que l’euphorie se transforme en « bad trip », peur, angoisse ou crise de panique. Voici trois éléments d’explication d’une mauvaise expérience.
La nouvelle « Le club des Hachichins » de Théophile Gauthier, parue en 1846, offre une description complète du bad trip ! A l'époque, l'écrivain est invité au club par un médecin, Jacques-Joseph Moreau de Tours, pour étudier les effets de ce produit encore mal connu et consommé alors sous forme de pâte verte. Les amateurs de poésie savent peut-être que Charles Baudelaire fut aussi un membre du club pour un temps. Le poète laisse un autre témoignage des effets de cette drogue dans « Les paradis artificiels».
Quel est exactement le phénomène qu’ils décrivent ? En général, fumer un joint de cannabis engendre un état de détente, de relaxation, d’euphorie associé à une perception intense de l’environnement et spécifiquement de l’univers sonore. Mais certaines fois, l’euphorie se transforme en « bad trip ».
Le « bad trip » est défini par une déconnexion avec la réalité accompagnée de délires ou d’hallucinations, symptômes caractéristiques de la psychose ; cet état est très angoissant. Parfois, on ne ressent qu’inquiétude et anxiété sans autre symptôme mais l’anxiété peut aussi devenir intense et déclencher une attaque de panique (montée rapide de l’angoisse, tremblements, accélération du rythme cardiaque).
Le bad trip est généralement passager et le plus souvent ne laisse pas de séquelles neurologiques. Toutefois dans un petit nombre de cas, le bad trip va révéler une maladie mentale, une psychose, qui était en quelque sorte endormie car le cerveau avait trouvé la parade pour la contrôler ; c’est ce qu’on appelle une décompensation psychotique. Les conséquences seront alors lourdes car il faudra engager un processus de soins psychiatriques à long terme et, en dépit du traitement, le risque de récidive de décompensation , même en l’absence de prise de cannabis, ne peut être exclu. Le voyage aura alors coûté cher.
Environ 20 % des usagers occasionnels décrivent des crises d’angoisse après avoir fumé, les filles y étant plus sujettes que les garçons.
D’un côté le cannabis relaxe et d’un autre il peut angoisser. Comment cela se fait-il ? Trois facteurs interviennent.
La manière dont l’organisme va réagir, positivement ou négativement au produit, est strictement individuelle et on ne dispose d’aucun facteur permettant de le prévoir. Par contre des chercheurs ont montré qu’il vaut mieux éviter de fumer si on est triste, déprimé, anxieux, préoccupé, bref si on est mal. La probabilité de faire un «bad trip» est plus élevée lors de l’initiation au produit ou lorsqu’on fume occasionnellement parce que quand on vit un « bad trip », en général on arrête de fumer, ce qui explique que l’événement est plus rare chez les consommateurs réguliers.
Plusieurs études indiquent que fumer dans des conditions stressantes ou dans un environnement inconnu ou avec des gens inconnus sont des facteurs favorisant le « bad trip ». Fumer du cannabis en consommant d’autres produits, comme l’alcool, pourrait l’être également, mais on ne dispose pas d’informations précises à cet égard.
Le principe actif à l’origine des effets du cannabis est le tetrahydrocannabinol Δ9THC, plus communément appelé THC, dont la teneur varie entre 2 et 30 % selon l’origine et le « coupage » du produit ; les crises d’angoisse surviennent plus volontiers lorsque la dose de THC est forte car le THC active le circuit du stress.
Le circuit du stress relie deux structures du système nerveux - l’hypothalamus et l’hypophyse - à la glande surrénale qui est située au dessus du rein. Cette dernière va alors libérer du cortisol et de l’adrénaline dans le sang. L’augmentation brutale de ces deux hormones est responsable des manifestations physiques du stress, augmentation de la fréquence respiratoire, de la tension artérielle, tensions musculaires, etc...
Une étude menée récemment à Londres a montré que fumer de la skunk (cannabis à très haute teneur en THC) multiplie par 3 la probabilité de survenue d’une décompensation psychotique. La proportion de THC n’est jamais indiquée sur l’étiquette du produit qu’on achète ou qu’on a cultivé ! Mais plus le joint sera roulé gros, plus on y mettra de shit ou d’herbe et plus la quantité de THC sera potentiellement importante.
A côté du THC, le cannabis contient du cannabidiol ou CBD en proportion également variable, jusqu’à 40%.
La formule chimique du CBD est identique à celle du THC mais sa configuration spatiale est différente. Le CBD ne produit aucun des effets psychologiques et comportementaux du THC mais, au contraire, a des propriétés anxiolytiques et antalgiques (le cannabis « thérapeutique » commercialisé dans certains pays contient essentiellement du CBD) qui seraient dues, entre autres, à une augmentation de la sérotonine, un neurotransmetteur impliqué dans la régulation de l’humeur. Toutefois la teneur en CBD du produit n’est pas plus connue par l’utilisateur que celle du THC…..
Le lien entre THC et anxiété chez des sujets en bonne santé et ne présentant pas de syndrome dépressif ou anxieux a été démontré expérimentalement.
Seize volontaires ont participé à un protocole comportant 3 sessions espacées chacune d’un mois. A chacune d’entre elles, ils ont pris par voie orale soit 10 mg de THC soit 600mg de CBD soit un placebo ; ni les volontaires ni les chercheurs ne savaient quel produit était administré. Alors que le placebo et le cannabidiol n’ont eu aucun effet, le THC a provoqué des symptômes d’angoisse 2 heures après l’ingestion !
Fumer régulièrement sans avoir été sujet à un « bad trip » ne signifie pas qu’on en est à l’abri car on ne dispose pas de protection physiologique ! De plus, l’anxiété accompagne la dépendance au produit ; elle est présente chez environ 20 à 30% des consommateurs réguliers et s’exacerbe dès qu’on est en manque.
Théophile Gauthier et Charles Baudelaire sont restés peu longtemps membres du club des hachichins, le dernier considérant que “le vrai littérateur n’a besoin que de ses rêves naturels, et il n’aime pas que sa pensée subisse l’influence d’un agent quelconque.”
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Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm
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