Le craving est un terme importé des États-Unis, venant du verbe « to crave » qui signifie « avoir terriblement besoin », « avoir très envie », « être avide de ». Le craving convoque donc le désir, la pulsion, le besoin, l’envie, toujours doublé d’un caractère irrépressible et irrésistible.
Dans l’édition la plus récente de la classification Internationale des Maladies (la CIM 10), le craving est défini comme un « désir puissant ou compulsif d’utiliser une substance psychoactive » alors qu’on ne le veut pas à ce moment-là.
Contrairement au manque aigu survenant lors du sevrage, le craving peut persister des semaines voire des mois après l’arrêt de la substance. Ce symptôme fait partie des critères de la dépendance à une substance mais n’est pas pour autant obligatoire pour qualifier l’existence d’une addiction.
Le craving peut survenir à n’importe quel moment. Il peut être induit par des stimuli associés à l’usage de la substance, par exemple passer devant le rayon « alcool » d’un supermarché peut déclencher un épisode de craving, mais aussi par le stress et les émotions négatives. La plupart des chercheurs considèrent que le craving est un puissant facteur prédictif d’une reprise de consommation.
Chez certaines personnes, le craving peut se manifester par de l’angoisse, une hypersalivation, des signes proches des troubles obsessionnels compulsifs comme ceux que l’on observe chez Gollum, ce personnage du Seigneur des Anneaux pris de panique à la simple vue de l’anneau.
Très bien décrit dans la littérature par des auteurs dépendants à l’alcool comme Jack London dans « John Barleycorn » ou Malcolm Lowry dans « Au-dessous du volcan », le craving a fait et fait toujours l’objet de multiples recherches pour tenter de démonter son mécanisme. De très nombreux modèles théoriques ont été élaborés. Les plus anciens reposent sur la notion de conditionnement, le craving serait une réponse automatique et inconsciente face à certains stimuli que les auteurs ont déclinés de plusieurs façons : on consomme pour éviter le manque (modèle de sevrage), pour lutter contre l’accoutumance (modèle compensatoire), pour faire disparaître la sensation de manque (modèle opposant), pour bénéficier du côté agréable de la drogue (modèle incitatif). Ces modèles, apparentés aux réflexes, n’ont pas résisté à l’avancée des connaissances en neurosciences et en neuropsychologie.
Le modèle cognitif suppose que le craving naît d’une instrumentalisation des fonctions cognitives qui vont prendre en compte les attentes du sujet à l’instant donné, l’efficacité personnelle, le besoin d’imitation, l’analyse de l’information, la mémoire et la capacité de décision. Ce modèle est proche de celui dénommé psychobiologique qui fait intervenir directement les circuits neurobiologiques impliqués dans la récompense, le contrôle de soi, la gestion des émotions, la prise de décision.
Enfin, le modèle motivationnel met l’accent sur l’incitation à consommer ou non, la décision finale résultant d’une analyse entre les bénéfices procurés par chacune des attitudes.
Aucun des modèles proposés jusqu’alors ne répond complètement à la définition du craving. Toutefois les chercheurs s’accordent sur un certain nombre de points :
Des études de neuroimagerie ont permis d’analyser les régions cérébrales activées pendant le craving. Pour ce faire, des sujets dépendant à une substance sont positionnés dans un scanner ou une IRM et des images évocatrices (bouteille d’alcool, ligne de cocaïne, ambiance de fête etc.) ou des images neutres leur sont projetées. L’appareil identifie les régions activées. Parmi celles-ci, on a relevé le thalamus, le cortex orbital, le cortex préfrontal, l’amygdale, le noyau accumbens. Au niveau moléculaire, les travaux les plus pointus ont porté sur le craving à la cocaïne. Plusieurs protéines jouant un rôle dans la plasticité synaptique, phénomène dont dépendent largement la capacité d’apprentissage et la mémoire, ont été identifiées comme impliquées dans le craving. D’autre part, il a été montré une altération du récepteur AMPA, récepteur-canal activé par le glutamate, neurotransmetteur excitateur, se traduisant par une sensibilité accrue à la stimulation. Toutefois, de nombreux progrès restent à faire pour décrypter les mécanismes spécifiques du craving.
Plusieurs travaux ont étudié le devenir du craving après arrêt de la consommation du produit. Les données obtenues chez l’homme ont été confirmées sur des modèles animaux. Chez l’homme, le craving était provoqué par la présentation d’images évocatrices du produit ou de situations de consommation du produit ou bien par l’exposition à un stress. Son intensité était mesurée par une échelle analogique cotée de 0 à 10. Les sujets testés étaient dépendants à l’alcool, au tabac ou à la MDMA, et leur durée d’abstinence variait de 1 semaine à plusieurs mois.
Quel que soit le produit en cause, les résultats montraient que l’intensité du craving augmentait pendant les premières semaines suivant le sevrage. Toutefois, la seule étude qui a analysé le craving à long terme a montré que son intensité diminuait notablement à partir du 3ème mois, ce qui se vérifie en pratique clinique.
Et si le symptôme ne semble pas s’atténuer chez les personnages du Seigneur des Anneaux, c’est bien qu’il est question de sorcellerie et du pouvoir maléfique de l’anneau plutôt que d’addiction...
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm
Louise
Thibault