Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle “Hug Drug”* en anglais : les chercheurs en neurosciences ont testé les effets de la MDMA sur le toucher. (*traduction : drogue du câlin)
La 3,4-méthylènedioxymétamphétamine, plus connue sous le nom de MDMA ou encore ecstasy, est réputée être « empathogène », c’est-à-dire qu’elle augmente les sentiments d’empathie, de proximité et de plaisir d’être avec les autres. Ces effets, rapportés par les usagers du produit, ont été confirmés par les études sur les modèles animaux. L’administration de MDMA augmente la durée et la fréquence des contacts physiques chez les rats. Et les primates sous MDMA se blottissent les uns contre les autres et deviennent calmes.
Ces effets sont spécifiques à la MDMA car peu ou pas observés après administration de drogues psychostimulantes de la même famille comme l’amphétamine ou la métamphétamine (MDA), aussi connue sous les noms de Speed, Meth, Cristal, etc.
Les effets produits par la prise de MDMA sont principalement expliqués par la stimulation dans le cerveau des récepteurs à la sérotonine de type 5-HT2A (voir infographie Que devient la MDMA dans l’organisme). Cela entraîne une libération rapide et très importante de sérotonine, neurotransmetteur fortement impliqué dans la gestion de l’humeur (on en parle aussi dans l'article Impact des drogues sur la sérotonine, neurostransmetteur de la bonne humeur). Cette libération massive est associée à un état de bien-être mais rapidement, la réduction des stocks de sérotonine favorise un état dépressif.
La communication avec les autres, lorsque proximité et affection sont des sentiments dominants, peut passer par des gestes qui procurent du plaisir. Ce toucher dit « affectif », déclenchant une émotion positive, est différent du simple toucher de détection, par exemple sentir un objet qui entre en contact avec la peau.
Le toucher affectif provient de l’activation de capteurs localisés sur la peau non-glabre, c.-à-d. la peau avec des poils. Il s’agit par exemple du dos de la main par opposition à la paume. Ces mécano-récepteurs sont appelés récepteurs corpuscules-tactiles (CT). Ils ont la particularité d’avoir une fibre nerveuse ne comportant pas de gaine de myéline jusqu’au cerveau, ce qui transmet l’information moins rapidement que les fibres avec myéline impliquées dans le contrôle moteur, comme pour les réflexes par exemple. La stimulation des récepteurs corpuscules-tactiles va activer l’insula, partie du cortex cérébral ayant un rôle majeur dans la gestion des émotions et des sensations.
Une méthode d’étude de l’activité de ces récepteurs consiste à effleurer une portion de peau avec un pinceau soyeux à différentes vitesses. Les résultats ont montré que l’activation électrique était maximale pour des vitesses de passage lentes, de 1 à 10 cm par seconde, les vitesses inférieures ou supérieures conduisant à des décharges électriques de moindre intensité. De plus, le frottement aux vitesses d’activité électrique optimales était celui qui procurait le plus de sensations plaisantes.
Des chercheurs ont voulu étudier l’impact de la MDMA sur l’activité des récepteurs corpuscules-tactiles et donc sur le toucher “affectif” chez l’homme. Trente-six volontaires, usagers irréguliers de MDMA, d’âge moyen 25 ans ont été recrutés.
Le protocole consistait notamment à évaluer chez chaque participant le ressenti direct provoqué par l’effleurement de sa peau. L’effleurement était réalisé par un pinceau en poil de chèvre balayant la peau aux vitesses de 3 cm/s ou de 30 cm/s ; le pinceau était actionné par un robot pour contrôler exactement la force de l’effleurement et sa vitesse. Les réactions des participants étaient mesurées par une auto-évaluation du plaisir sur une échelle graduée de 1 à 7 et par électromyographie faciale. Cette technique, qui reflète l’état émotionnel (du plaisir à la tristesse), consiste à mesurer l’activité du muscle sourcilier (celui qui fronce le sourcil traduisant un ressenti négatif) et du zygoma (muscle de la joue participant au sourire, traduisant un ressenti positif). Toutes les expériences étaient réalisées après administration soit de MDMA à deux doses différents (0,75 et 1,5 mg/kg), soit de métamphétamine (MDA), soit de placebo. Tous les sujets ont reçu consécutivement les 3 produits, sans être informés de ce qui leur avait été administré.
Les résultats de l’auto-évaluation ont montré que le ressenti plaisant le plus puissant était obtenu par l’effleurement à vitesse lente après administration de 1,5 mg/kg de MDMA. Il était moindre à la dose de 0,75 mg/kg de MDMA. La MDA et le placebo, par contre, ne procuraient aucun effet.
À haute vitesse d’effleurement, l’activité du muscle sourcilier s’élevait après administration de placebo et de MDMA à forte dose, témoignant d’une sensation désagréable alors que la MDA et la MDMA à faible dose étaient sans effet. Quant au zygoma, son activité s’élevait le plus sous MDMA à forte dose après effleurement lent, en rapport avec une émotion positive, mais augmentait aussi, quoique de façon moindre, lorsque l’effleurement était rapide. Cela suggère que l’effet procuré par la MDMA était suffisamment puissant pour atténuer le côté désagréable d’un effleurement rapide. Ici encore la MDA était sans effet.
Le mécanisme par lequel la stimulation des récepteurs corpuscule-tactiles engendre une sensation agréable n’est pas encore identifié. Toutefois, de nombreux résultats convergent vers le fait qu’il pourrait s’agir d’une augmentation de libération d’ocytocine, molécule synthétisée dans l’hypothalamus. L’ocytocine peut être libérée dans la circulation sanguine en réponse à des stimuli comme l’accouchement, l’allaitement ou l’orgasme, ou agir en intracérébral où elle est un neuromédiateur impliqué dans la régulation des émotions et des comportements. Les récepteurs à l’ocytocine sont nombreux dans le système de récompense et dans l’amygdale.
Plusieurs travaux ont montré que la stimulation cutanée des récepteurs corpuscule-tactiles augmentait le taux d’ocytocine circulant. C’est le cas chez le rat ou chez le chien après leur avoir caressé le dos. Chez l’homme, 15 minutes de massage « suédois » (un massage de bien-être) augmentent significativement l’ocytocine circulante et un résultat identique a été démontré chez la femme après 10 mn de câlin rapproché avec son partenaire.
La sécrétion d’ocytocine est augmentée par l’administration de MDMA par un effet indirect : la MDMA augmente la sécrétion de sérotonine, la sérotonine libérée par la MDMA va activer les récepteurs 5-HT2A de l’hypothalamus. C’est cette stimulation qui augmente la libération de diverses molécules dont l’ocytocine et viendrait s’ajouter aux effets du toucher affectif.
Si les neurosciences permettent de mieux comprendre certains effets de la MDMA et confirment qu’elle mérite son appellation de drogue du câlin (“Hug Drug” en anglais), elles montrent aussi les bénéfices du toucher affectif, dans les massages par exemple, une autre façon de ressentir du bien-être sans risquer la descente, comme Boule dans son aventure avec Steve… (Vous-souvenez-vous des aventures de Boule et Steve ?)
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm