Pour faire le tri parmi toutes les méthodes de sevrage tabagique, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) s'est appuyée sur les études scientifiques pour publier ses dernières recommandations
L'épidémie de tabagisme est l'une des plus grandes menaces pour la santé publique. En effet, dans le monde environ 1,25 milliard de personnes consomment du tabac et le tabagisme tue plus de 8 millions d'individus par an.
En raison du poids du tabagisme sur la santé, de nombreux pays ont édicté des directives nationales sur le sevrage tabagique en se basant sur les rapports de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) dont le dernier date de 2019. Une mise à jour comportant des recommandations actualisées a été publiée en juillet 2024 et fait l’objet de cet article.
Le document de l’OMS fournit des recommandations pour aider les adultes à arrêter de consommer tous les types de produits contenant du tabac, y compris : les cigarettes, le tabac pour pipe à eau (narguilé, shisha), divers produits du tabac sans fumée, les cigares, les cigarillos, le tabac à rouler, le tabac pour pipe, les bidis, les kreteks et les produits du tabac chauffés. Les e-cigarettes ne sont pas concernées, car les avantages et les inconvénients potentiels de l'utilisation de ces produits sont encore en discussion.
Ces interventions ont pour objectif d'aider à l'arrêt du tabac et la réduction des symptômes du sevrage (voir article Le sevrage de la nicotine).
Un groupe de 13 experts reflétant l'équilibre géographique et entre les sexes, ainsi que les perspectives communautaires, cliniques, méthodologiques, de santé publique et des patients a élaboré les lignes directrices et les questions à traiter. . Deux experts provenaient de l’Union Européenne (Irlande, Roumanie).
Un groupe externe composé de 14 évaluateurs indépendants ont fourni un retour d'information sur les preuves scientifiques, leur interprétation et leur contenu.
Enfin un méthodologiste a supervisé les travaux d’analyse des données scientifiques.
Les recommandations sont fondées sur des revues de la littérature scientifique effectuées par l’organisation Cochrane, une organisation internationale, indépendante et à but non lucratif fondée en 1993 dont la mission est de favoriser la prise de décisions de santé. Les 11 revues prises en compte pour ce rapport ont été publiées entre 2017 et 2023. Elles traitaient toutes du tabagisme et de son traitement. Le critère d’efficacité est le sevrage de tabac à long terme, c’est-à-dire à au moins 6 mois.
L’efficacité des thérapies analysées est basée sur le risque relatif (RR) qui est le rapport entre la probabilité de succès d’une thérapie chez les participants en bénéficiant et chez ceux n’en bénéficiant pas.
Plus le RR est élevé, plus la probabilité que la thérapie testée soit efficace est grande. Seules les valeurs des RR statistiquement significatives sont rapportées dans cet article.
Les experts proposent deux types de recommandations :
Ces recommandations sont assorties d'un critère de certitude d'efficacité allant de Très faible (=1) à Fort (=4). La certitude globale des preuves a été évaluée en tenant compte principalement du risque de biais, de l'incohérence, de l'imprécision, du caractère direct ou indirect des preuves et de la fréquence des effets secondaires. Le degré de certitude varie aussi selon que les recherches ultérieures sont susceptibles de modifier l'estimation de l'effet.
Les résultats des différents types d'intervention pour arrêter de fumer sont détaillés ci-dessous.
Intervention très brève
L’efficacité de l’intervention très brève, qui consiste à aborder le sujet entre 30 sec et 3 mn, a été évaluée par rapport à aucune intervention sur des travaux ayant inclus au total près de 25000 participants. L’effet sur le sevrage à long terme était considéré comme modeste, (RR = 1,17).
Soutien comportemental individuel en face à face
La recommandation est basée sur une revue parue en 2017 de 49 essais cliniques ayant inclus environ 19000 patients. Dans ces essais le protocole testé consistait en au moins une intervention durant en général plus de 10 mn. Le critère d’efficacité était l’abstinence 6 mois après le début du traitement. Le RR était égal à 1,57 (27 essais, 11100 participants) donc la probabilité de succès était plus élevée que celle d’une intervention brève ou de l’absence d’intervention chez les participants ne bénéficiant pas de traitement pharmacologique. Lorsqu’un médicament était associé, le RR était un peu plus faible, 1,24 (6 essais, 2662 participants). De même le gain procuré par un soutien intensif comparant plus ou moins de 4 séances, et la durée de plus ou moins de 10 mn, était modeste avec un RR égal à 1,29 (11 essais, 2920 participants).
Soutien comportemental en groupe
Soixante-six essais cliniques ont été analysés dans une revue publiée en 2017. Le soutien en groupe augmentait la probabilité de sevrage à long terme de 50 à 80% avec un RR de 1,88 (4395 participants) par rapport à un programme d’auto-assistance, et avec un RR de 1,22 par rapport à une intervention brève (7286 participants).
Aucune différence en terme de succès n’a été détectée en comparant soutien en groupe et soutien individuel (6 essais; 980 participants).
L'ajout de sessions destinées à améliorer les compétences cognitives ou comportementales n’augmentait pas leur efficacité.
Soutien téléphonique
Une revue publiée en 2019 a analysé 104 essais cliniques ayant porté sur un total de 111653 participants. La plupart de ces essais concernaient l’intérêt d’un soutien proactif prodigué par un conseiller ; le nombre d’appels téléphoniques variait de 1 à 12, leur durée allant généralement de 10 à 20 minutes.
Lorsque le soutien était mis en place après un contact initié par le fumeur, la probabilité de sevrage était augmentée avec un RR= 1,38 (14 essais ; 32484 participants)
Une différence d’efficacité en fonction du nombre d’appels proactifs n’a pas pu être mise en évidence en raison de la diversité méthodologique des essais.
Des analyses plus fines ont montré que le soutien téléphonique augmentait d’efficacité lorsque les personnes étaient motivées pour arrêter de fumer ainsi que lorsqu’il accompagnait une intervention très brève.
Recommandations de l'OMS
Le groupe d’experts s’est basé sur deux revues générales, l’une publiée en 2019 et l’autre en 2023.
SMS
Par rapport à un support minimal (par exemple fourniture d’un document papier incitant à arrêter de fumer), l’envoi de SMS augmentait la probabilité de sevrage avec un RR à 1,54 (13 essais; 14 133 participants). De plus l’envoi de SMS améliorait la réussite lorsqu’il était associé à un programme de soutien régulier avec un RR de 1,59 (4 essais; 997 participants). L’envoi de plusieurs SMS par jour par rapport à 1 par semaine n’apportait pas de gain significatif (3 essais; 12 985 participants).
Internet
Comparés à une intervention minimale ou à l’absence d’intervention, le soutien via internet sur un ordinateur fixe n’apportait aucun gain en termes de sevrage à long terme.
Applications sur Smartphone
Les applications sur smartphone, lorsqu’elles présentent de nombreuses fonctionnalités, entraînaient plus d’envies d’arrêter le tabac que les applications simplistes avec un RR: à 1,33 (8 essais; 10 235 participants). L’adjonction d’un soutien par une application à un traitement pharmacologique augmentait modérément le succès de sevrage avec un RR de 1.28 (5 essais; 1798 participants).
Enfin le soutien conversationnel prodigué via l’intelligence artificielle augmentait le taux d’abstinence à long terme par rapport au traitement standard avec un RR de 1.29 (3 essais; 1486 participants).
Recommandations OMS
Substituts nicotiniques
Une revue de 133 essais cliniques comparant les substituts nicotiniques, quelles qu’en soient leurs formes, à un placebo, ayant porté sur un total de 64640 participants a montré que le RR de sevrage à long terme était égal à 1,55.
Les RR en fonction de la forme du substitut étaient :
Bupropion
Le bupropion est un médicament de la classe des antidépresseurs utilisé aussi pour le sevrage tabagique. L’analyse s’appuie sur une revue de 124 essais cliniques ayant inclus un total de 48832 participants.
Le bupropion, comparé à un placebo ou à l’absence de traitement pharmaceutique, augmente la probabilité de sevrage à 6 mois (RR=1,60; 50 essais; 18 577 participants).
Le bupropion apparaît moins efficace que la varénicline (RR: 0,73; 9 essais; 7564 participants) ou qu’une combinaison de substituts nicotiniques, patch avec une autre forme (RR: 0,74; 2 essais; 720 participants).
Ajouter un substitut nicotinique à du bupropion ne procure pas de gain d’efficacité par rapport au bupropion seul (RR: 1,03; 10 essais; 7613 participants).
Globalement la survenue d’effets secondaires graves suite à la prise de bupropion n’était pas formellement démontrée statistiquement, par contre le pourcentage d’abandon de traitement en cours d’essai était plus important que chez les participants ne recevant pas de bupropion.
Varénicline
La varénicline est une molécule de synthèse qui se lie aux récepteurs nicotiniques.
Une revue publiée en 2023 a analysé 75 essais cliniques ayant inclus un total de 45 049 participants. La varénicline était plus efficace qu’un placebo (RR: 2,32; 41 essais; 17 395 participants), que le bupropion (RR: 1,36; 9 essais; 7560 participants) et qu’un seul substitut nicotinique (RR: 1,25; 11 essais; 7572 participants).
La probabilité de survenue d’effets secondaires liés au traitement par varénicline était supérieure à celle observée chez les participants prenant un placebo, ou une combinaison de substituts nicotiniques ou de la cytisine. Elle était similaire à celle rapportée par des sujets sous bupropion.
Cytisine
La cytisine est un extrait de plante non commercialié en France (pour plus de détails, voir article La cytisine, une molécule qui aide à arrêter de fumer)
L’analyse a porté sur une revue de 14 essais cliniques. Par rapport à un placebo ou l’absence d’intervention, la cytisine augmentait la probabilité de sevrage à long terme (RR: 2,61; 6 essais ; 5194 participants). Il en était de même en comparaison avec les substituts nicotiniques (RR: 1,36; 2 essais ; 1511 participants). Un traitement long (12 semaines) par cytisine était plus efficace qu’un traitement de 6 semaines (RR: 1,29; 2 essais; 1009 participants). Il n’y avait pas de différence d’efficacité entre la cytisine et la varénicline (RR: 0,96; 3 essais ; 2127 participants).
Combinaison de médicaments
Des analyses ont pu être menées sur les effets de la combinaison de certains médicaments.
Deux substituts nicotiniques (un d’action rapide, gomme, pastille…. + un patch) vs un seul substitut augmentaient la probabilité de sevrage à long terme (RR: 1.25; 14 essais; 11 356 participants).
L’association varénicline + bupropion semblait entraîner plus d’abandon de traitement que la varénicline prise isolément mais la différence n’était pas statistiquement significative (3 essais; 1057 participants)
Il n’y avait pas de preuves que l’association bupropion + substitut nicotinique entraîne plus d’abandon de traitement que la prise de substitut nicotinique seul (15 essais; 4117 participants).
Recommandations OMS
Adolescence
Bien que la population ciblée par le rapport de l’OMS soit celle des adultes, les experts n’ont trouvé aucune preuve permettant de recommander la prescription de médicaments d’aide au sevrage du tabac chez les adolescents.
Pour rappel, le risque d'addiction au tabac est d'autant plus élevé que la première consommation est précoce (voir VIDEO : Les effets de la nicotine sur le cerveau).
Grossesse
En cas de grossesse, la prescription systématique de médicaments, y compris les substituts nicotiniques, n’est pas recommandée. Un soutien comportemental actif doit être privilégié. Si l’arrêt du tabac est impératif en raison par exemple d’une grossesse à risque, la prescription de substitut nicotinique peut être envisagée en l’absence d’efficacité d’une thérapie comportementale intensive
Dépendance d’intensité modérée
Les données concernant les fumeurs peu dépendants, par exemple ceux fumant 5 à 10 cigarettes par jour ou ceux ne fumant pas quotidiennement, sont rares. Une intervention comportementale est préconisée, la prescription de médicaments étant décidée au cas par cas.
Sevrage du tabac non fumé
Le soutien comportemental en face à face et par téléphone était plus efficace pour obtenir un sevrage à long terme que le support minimal (RR: 1,76; 20 essais; 8252 participants).
La varénicline était plus efficace que le placebo mais le degré de confiance dans le résultat était modéré en raison du petit nombre de participants aux essais (RR: 1,35; 2 essais; 508 participants).
L’intérêt de la prise de substituts nicotiniques, en comparaison d’un placebo, était faible (RR: 1,18; 11 essais; 2562 participants). Aucune efficacité du bupropion n’a pu être mise en évidence (2 essais; 293 participants).
Recommandations OMS
Une revue systématique de 83 essais ayant porté sur un total de 29536 participants a été publiée en 2019. Elle montrait que l’association soutien comportemental plus médicament, par rapport à médicament seul, augmentait la probabilité de sevrage à long terme (RR: 1.15; 65 essais; 23 331 participants). Cet effet se maintenait quel que soit le médicament administré
Cette association était également plus efficace que l’intervention très brève et le traitement standard (RR: 1,83 ; 53 essais; 25000 participants).
Recommandations OMS
Une revue a analysé 71 études portant sur l’efficacité de certaines thérapies traditionnelles et alternatives, notamment l'acupuncture dont les effets dans le traitement de l'addiction sont détaillés dans l'article Arrêter sans stresser grâce à l'acupuncture.
Les résultats pour le sevrage tabagique à court terme étaient les suivants:
Recommandations OMS
Il n'existe pas de données suffisantes pour recommander ou prohiber : intérêt au cas par cas en complément d’un traitement validé de l’arrêt du tabac.
Conclusion
Les grandes lignes directrices de ce rapport permettent d’élaborer une stratégie pertinente d’aide au sevrage tabagique. Toutefois le gain apporté par les interventions thérapeutiques, et même celles les plus recommandées, est relativement modéré. Les efforts de recherche doivent donc continuer pour mettre au point des traitements dont l’efficacité serait, entre autres, indépendante de la détermination à arrêter et des capacités de mobilisation des sujets concernés à cet égard.
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm
Andreani
Isabelle Andreani est autrice réalisatrice de projets de création numérique et immersive.
Consultante spécialisée dans les nouveaux médias, elle a construit sa carrière autour d'Internet et du numérique.
Elle a une double formation d'ingénieur-chercheur en Physique - INPG / UJF de Grenoble - et de management en nouvelles technologies - Master HEC / Telecom Paristech.