Si les effets du CBD sur la santé sont de mieux en mieux connus, les études expliquent aussi comment il réduit les effets psychotropes du THC - une raison de le faire disparaître de certaines variétés cultivées ?
Le delta9-tetrahydrocannabinol, plus connu par son acronyme THC, et le cannabidiol (CBD) sont les deux principaux cannabinoïdes contenus dans la plante Cannabis Sativa. Le THC est la molécule responsable des effets psychotropes, hallucinogènes, euphorisants et délirants alors que le CBD réduirait l’intensité de ces effets.
Des résultats sur ce sujet ont déjà été rapportés dans MAAD Digital (voir article Cannabidiol (CBD), une molécule qui fait parler d’elle), mais de nouveaux travaux sont venues les enrichir. Il s’agit de deux études comparant les effets du THC, du CBD et du mélange THC/CBD menées en « double aveugle », c’est-à-dire que ni les sujets participants ni les chercheurs responsables des études ne savaient quel produit était administré.
La première étude portait sur trente-six sujets, 18 fumeurs réguliers de cannabis et 18 fumeurs occasionnels. Cinq sessions d’administration de drogues par vaporisation étaient organisées : placebo, THC 8 mg, CBD 400mg, mélange THC 8mg + CBD à faible dose 4mg, mélange THC 12mg + CBD à forte dose 400mg.
Les critères de jugement étaient des scores sur les effets psychoactifs perçus, basés sur des questionnaires validés, attribués d’une part par un observateur et, d’autre part, par le sujet lui-même. Le CBD seul à haute dose provoquait des effets modérés. L’addition au THC d’une faible dose de CBD les augmentait, particulièrement chez les fumeurs occasionnels, alors qu’une forte dose les atténuait.
La deuxième étude qui a inclus 14 sujets, simples expérimentateurs de cannabis, vient ternir les résultats précédents. Ils ont participé à 3 sessions d’administration de 125 mg cannabis sous forme vaporisée : THC majoritaire 11% (soit 13,75mg) + CBD<1% ; mélange THC 11% + CBD 11% ; placebo (THC <1% + CBD <1%).
Les critères de jugement étaient un exercice de conduite sur un simulateur et des tests mesurant l’attention. Contrairement au protocole précédent, l’addition de CBD n’avait aucun retentissement sur les résultats du THC. Selon les auteurs de l’étude, cela pourrait être dû au fait qu’on avait autant de THC et de CBD.
En dépit de ce dernier résultat, la majorité des études montrent que Cannabis Sativa est une plante qui contient des molécules dont les effets sont opposés. Tentons d’éclaircir ce mystère.
Le THC et le CBD proviennent d’une même molécule, l’acide cannabinergolique. Cette dernière est transformée soit en THC soit en CBD sous l’action de 2 enzymes différentes. C’est le rapport entre ces 2 enzymes qui déterminera les proportions respectives de THC et de CBD dans la plante. La sélection génétique permet d’obtenir des variétés très riches en THC et pauvres en CBD, ou l’inverse, ou bien des teneurs respectives équilibrées.
Les effets psychoactifs du THC sont la conséquence d'une liaison de cette molécule au récepteur cannabinoïde CB1. En effet, le THC est un agoniste du récepteur cannabinoïde CB1, c’est à dire qu’il se substitue à l’endocannabinoïde, le neuromédiateur qui s’y lie habituellement (Voir article Quand le cannabis fait progresser les neurosciences). Il déclenche une perturbation du fonctionnement de la neurotransmission des systèmes GABA (inhibiteur) et glutamate (excitateur). Cette même perturbation est également la cause d'une plus grande libération de dopamine.
Le CBD a été isolé dans les années 1940. Initialement il a été proposé que le CBD agirait comme un antagoniste du récepteur CB1, contrecarrant ainsi l’effet du THC. Mais des travaux récents suggèrent qu’il ne possède guère d’affinité pour ce récepteur, donc a peu de chances de s’y lier. Par contre il augmenterait l’activité de l’anandamide, un endocannabinoïde naturellement présent dans le cerveau, qui viendrait alors en compétition avec le THC. Par ailleurs des travaux récents suggèrent que le CBD interagirait avec les récepteurs à la sérotonine et avec ceux aux opioïdes. Le CBD n’interagit donc pas avec le métabolisme du THC et ne semble pas modifier la concentration de THC dans l’organisme mais il en atténue les effets secondaires.
Le CBD a aussi des effets cliniques potentiels sur la psychose, l’épilepsie, les mouvements anormaux, l’anxiété ; il possède aussi des propriétés anti-oxydantes. Les effets « bénéfiques » du CBD sur le THC semblent fortement liés à la quantité absolue de CBD mais aussi au rapport entre CBD et THC. Augmenter largement la quantité absolue de CBD n’aurait guère d’intérêt puisque de nombreux travaux ont montré que l’impact du CBD suit une courbe en cloche inversée. Par exemple chez l’homme, une dose de 300mg de CBD était plus efficace que celles de 150 et de 900 mg pour réduire l’anxiété. Le dosage « idéal » entre THC et CBD n’a toutefois pas encore été déterminé et il est bien évident qu’il peut varier selon l’usage, médical ou récréatif, auquel est destiné la substance.
Le cannabis proposé à la vente par les réseaux se présente sous la forme de résine, le hashich, ou bien d’herbe séchée. L’herbe est présentée sous deux formes. L’une, la marijuana ou forme traditionnelle, contient les fleurs, les feuilles et les graines de plantes femelles pollinisées cultivées à l’extérieur dans des régions chaudes. L’autre, souvent appelée « sinsemilla » (= sans graines), ne contient que des fleurs provenant de plantes femelles non pollinisées, le plus souvent cultivées en intérieur en l’absence de plants mâles. Cette dernière variété a une teneur en THC en général plus élevée que la marijuana. La résine, quant à elle, est constituée par les trichomes, c’est-à-dire les « poils » présents sur la surface des feuilles et des calices de la plante.
En 2015 les teneurs en THC et en CBD de multiples échantillons de résine ou d’herbe saisis par la police en Angleterre ou achetés dans des coffee-shop néerlandais ont été mesurées. En Angleterre, la teneur en THC de la sinsemilla variait de 2 à 24% pour une médiane de 14%, la médiane de CBD étant de 0,24%. Dans l’herbe traditionnelle la médiane de THC était de 3,5% et le CBD était indétectable. Enfin, la teneur en THC dans la résine était extrêmement variable allant de moins de 1% à 29%, selon que la résine était extraite d’herbe traditionnelle ou de sinsemilla, la teneur en CBD étant inférieure à 6%.
Dans les Pays Bas, l’herbe, qui est légalement cultivée, a été l’objet d’une sélection génétique rigoureuse. La teneur moyenne en THC variait entre 15 et 17% alors que celle de l’herbe « importée » était de 4,5%. La résine produite localement contenait deux fois plus de THC que la résine importée (30,2 contre 16,5%). Quant au CBD, il était quasiment absent dans l’herbe cultivée et la résine préparée en Hollande alors que la résine importée en contenait 7,5% (valeur médiane).
Globalement, les substances proposées aujourd’hui par les réseaux ont un rapport THC/CBD supérieur à 1.
L’analyse des substances en fonction du temps a d’ailleurs montré que ce rapport qui était en moyenne de 0,8 en 2005 était maintenant de 2,7.
Si on connaît mieux les effets du CBD aujourd’hui, cette molécule tend à être moins présente dans les produits, peut-être une stratégie pour augmenter la puissance de leurs effets psychotropes.
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm