Hommes et femmes à égalité devant l’alcool ?

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Hommes et femmes à égalité devant l’alcool ?

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Si la consommation d’alcool des femmes tend à rejoindre celle des hommes, il n’en va pas de même pour les effets de l’alcool sur leur corps...

Publié le: 
02/03/2018
Modifié le: 
05/03/2018
Les niveaux de consommations d’alcool sont-ils les mêmes ?

Pendant très longtemps la consommation d’alcool des hommes a été bien supérieure à celles des femmes. Cependant, l’écart de consommation entre hommes et femmes  s’est fortement réduit, notamment chez les jeunes adultes. Des chercheurs ont ré-analysé 68 études internationales sur ce sujet, effectuées en Europe ou en Amérique du Nord et deux tiers de ces études mettent en évidence une réduction d’écart. Chez les personnes nées autour de 1900 les hommes étaient 2 à 3,6 fois plus susceptibles que les femmes de consommer de l’alcool. Par contre, chez celles nées autour de 2000 et qui ont entre 16 et 25 ans aujourd’hui, ces ratios sont de 1,1 fois à 1,3, suggérant un quasi équilibre entre les sexes. Le binge-drinking régulier (5 verres et plus en une occasion, au moins 10 fois par mois) chez les moins de 17 ans est relativement stable chez les garçons depuis 2008 alors que chez les filles il a augmenté de 44,4%. Ici aussi les enquêtes de l’Institut National de Prévention et d’Education en Santé le confirment : en France, entre 2010 et 2014 le taux d’ivresses régulières chez les femmes a doublé alors qu’il est resté stable chez les hommes. Ainsi l’écart de consommation se réduit entre les jeunes hommes et les jeunes femmes tant pour la consommation régulière que pour la consommation excessive. Ceci serait dû à l’augmentation de la consommation féminine, et non à une diminution de celle des hommes.

Les femmes plus sensibles aux effets de l’alcool

Les femmes ressentent les mêmes effets que les hommes lorsqu’elles boivent de l’alcool : changement de l’humeur (on rit, on pleure..), langage affecté, titubations, perte d’équilibre… et finalement coma éthylique lorsque les doses sont trop importantes. Là n’est pas la différence. Celle-ci réside davantage sur la dose d’alcool à laquelle ces effets se manifesteront chez la femme par rapport à l’homme. Cette différence est purement physiologique, elle tient au fait que le corps d’une femme contient moins d’eau que celui d’un homme. Or, l’alcool se dilue dans l’eau contenue dans le corps.

Pour une même dose d’alcool ingérée par un homme et une femme, le taux d’alcool dans le sang sera toujours plus élevé chez la femme.

Un autre facteur majorant l’alcoolémie chez la femme provient d’une dégradation moins efficace de l’alcool dans l’estomac, particulièrement lorsque la teneur en alcool de la boisson est élevée : en conséquence plus d’alcool passera dans la circulation sanguine chez la femme que chez l’homme.

Une fois absorbé, l’alcool est éliminé par le foie par le biais d’une enzyme appelée ADH (alcool déshydrogénase). Chez les rongeurs l’activité de l’ADH est plus élevée chez les femelles que chez les mâles, ce qui est corroboré avec l’accumulation plus importante d’acétaldéhyde, le produit de dégradation de l’alcool, chez les femelles. Les différences observées chez les animaux proviendraient du fait que l’efficacité des enzymes hépatiques de dégradation de l’alcool dépend en partie des hormones sexuelles. De plus, une expérience en laboratoire a montré que, chez les femmes par comparaison aux hommes, et pour une dose identique d’alcool, la montée de l’alcoolémie était plus rapide. Et même si la dégradation de l’alcool par le foie était également plus rapide chez les femmes, cela n’empêchait pas qu’au total, l’alcool restait plus longtemps présent dans l’organisme féminin que masculin.

Ainsi, pour les femmes, boire de l’alcool se traduit par des effets qui apparaissent plus rapidement et qui seront plus forts parce que le niveau d’alcool sera plus haut à nombre de verres équivalent.

Les modifications hormonales survenant au cours de la puberté influent sur le développement du cerveau. Or la puberté est plus précoce chez les filles et les profils hormonaux diffèrent selon le sexe. Ces différences dans le développement neurobiologique participeraient, au moins en partie, au risque de devenir binge-drinker. Chez les garçons, la libération de dopamine dans le noyau accumbens suite à stimulus, est plus élevée que chez les filles, ce qui expliquerait leur sensibilité aux effets récompensants de l’alcool ; d’autre part, le cortex-préfrontal, siège du contrôle comportemental, se développe moins vite que chez les filles, ce qui favoriserait les conduites de recherche de sensations, dont le binge-drinking fait partie.

Le développement de l’amygdale, siège de la gestion des émotions, et de ses connections avec le cortex-préfrontal, varie également selon le sexe, ce qui pourrait expliquer les différences de modalités de réponse aux émotions. De fait de nombreux travaux montrent que les filles sont plus sensibles au stress que les garçons, qu’elles ont deux fois plus de risques de développer un syndrome anxieux ou une dépression et qu’elles répondent au stress par un comportement de binge-drinking plus facilement que les garçons.

Des conséquences différentes sur la santé

De nombreuses études ont montré que l’organisme des femmes est plus vulnérable que celui des hommes aux méfaits de l’alcoolisation excessive, particulièrement au niveau du foie ou du cerveau.  

Au niveau hépatique (du foie donc), les femmes présentent des cirrhoses à des âges plus jeunes et à des valeurs cumulées de consommation d’alcool plus basses que chez les hommes, peut-être du fait d’une réaction inflammatoire hépatique plus importante chez les sujets de sexe féminin.

Des travaux récents suggèrent que le binge drinking, pratique courante dans les deux sexes, cause, même lorsqu’il est occasionnel, plus de dommages que la consommation modérée et régulière. Par exemple, pour mimer chez l’animal de laboratoire une cirrhose du foie, il est plus efficace de l’exposer à des binge répétés qu’à une même quantité d’alcool  prise de manière régulière. De plus, des études chez l’animal rapportent que la même quantité modérée d’alcool ingérée en binge drinking induit un stress des cellules plus important et une réponse du système immunitaire différente par rapport à la prise de la même dose de manière régulière. Très certainement, la prise d’alcool régulière et faible induit des mécanismes d’adaptation ou de compensation de l’organisme qui réduit finalement sa réponse au stress « alcool » telle qu’on la mesure lors d’un binge.

Sur le plan cérébral, de nombreuses études révèlent que la consommation d’alcool chez les jeunes, hommes ou femmes, ralentit le fonctionnement cérébral, même au repos et à jeun. Ainsi, les activités électriques du cerveau sont modifiées chez les jeunes binge drinkers suggérant des difficultés dans leur capacité à traiter des informations.

Mais il a été également montré que les filles “binge drinker” faisaient plus d’erreurs que les garçons dans des tâches mobilisant la mémoire de travail et l’attention et présentaient plus d’atteintes de la substance grise que les garçons.

Les raisons expliquant cette différence ne sont pas décryptées à ce jour. Certains auteurs ont suggéré qu’il pourrait s’agir d’une réduction par l’alcool du flux sanguin cérébral chez les filles mais pas chez les garçons cependant ces résultats n’ont pas été retrouvés par d’autres. Les recherches dans ce domaine continuent…

Auteur(s): 
Olivier

Pierrefiche

Enseignant Chercheur en neurosciences, PhD

Olivier Pierrefiche est Enseignant Chercheur dans le Groupe de Recherche sur l'Alcool et les Pharmacodépendances de l'Université de Picardie Jules Verne - UMR Inserm 1247 GRAP, Amiens, France

 
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