Télévision, ordinateur, smartphone, console... si les équipements se multiplient chez les enfants et les ados, les risques dépendent des usages : résultats des enquêtes et dernières recherches pour les 2 à 19 ans.
Les dernières données disponibles sur le taux d’équipement numérique individuel (smartphone, tablette, ordinateur) des français âgés de 13 - 19 ans révèlent qu’ils possèdent en moyenne 2,9 écrans personnels, et 1,6 dans la classe d’âge 7-12 ans. Plus de 89 % des 13-19 ans et 35 % des 7-12 ans ont un smartphone et 58 % des 7-12 ans et 63 % des plus de 13 ans sont équipés de consoles de jeux personnelles.
La dernière étude de référence sur le temps d’exposition aux écrans des 6-17 ans menée par Santé Publique France en 2015 montre qu’ils passent en moyenne 4h11 par jour avec pour les 15-17 ans jusqu’à 5h24 d’activités numériques journalières. Si les enfants avant 6 ans passent essentiellement du temps à regarder des dessins animés sur la télévision ou une tablette, en grandissant ils diversifient leurs usages.
D’après l’enquête de e-Enfance avec Toluna-Harris Interactive de février 2023, les parents déclarent que leurs enfants utilisent internet de manière autonome à partir de 6 ans et 10 mois pour des usages quasi-exclusivement récréatifs de 6 à 10 ans : 44 % pour regarder des vidéos, 34 % pour utiliser des applications créatives et 33 % pour écouter de la musique. A partir de 13 ans, ils privilégient les réseaux. En 2021, 62 % des garçons et 68 % des filles étaient présents sur les réseaux sociaux dans la tranche des 11-18 ans pour discuter avec des proches (pour 78 % des jeunes de 11 à 18 ans), regarder des vidéos (pour 58 %) et jouer à des jeux vidéo (pour 29 %).
Le jeu vidéo constitue une pratique numérique très répandue chez les adolescents. Dans l’étude « Les Français et le jeu vidéo » réalisée en juin-juillet 2023 , 93 % des 10-17 ans déclarent jouer aux jeux vidéo dont 22 % plusieurs fois par jour, 40 % tous les jours et 30 % une à deux fois par semaine. Cette pratique comporte une forte dimension sociale avec 81 % des adolescents qui jouent à plusieurs en ligne ou hors ligne. Les parents ont des préoccupations sur cette pratique : 69% jouent avec eux occasionnellement, 7% restent systématiquement présent à côté d’eux quand ils jouent et s’ils les laissent en autonomie, ils choisissent les jeux ou en conseillent à leurs enfants.
Si l’effet de l’exposition aux écrans sur le développement de l’enfant et de l’adolescent continue à faire couler beaucoup d’encre dans les médias, et alimente les débats entre chercheurs et professionnels de santé, les données scientifiques restent encore aujourd’hui insuffisantes pour conclure sur son degré de nocivité pour ce qui relève du développement neurocognitif, social, et affectif. Rappelons ici que dans ce domaine il est particulièrement complexe d’établir un lien de causalité car les études existantes ne prennent pas ou que peu en compte le milieu social d’origine des enfants et des adolescents qui impactent fortement leur développement. De plus, peu de ces études suivent les effets des usages du numérique sur plusieurs années (études longitudinales). L’immense majorité des études existantes mettent donc en évidence des associations plus que des liens de causalité, et ces associations sont le plus souvent négatives ou neutres, rarement positives et toujours faibles.
En France, les données des cohortes « EDEN » et « ELFE » sur respectivement 1500 et 14000 jeunes enfants révèlent que plus les enfants de 2 à 5 ans sont exposés pendant les repas à la télévision, moins ils développent leurs capacités langagières et cognitives avec des effets dose-dépendant : plus l’exposition est importante plus l’effet est fort.
Cependant, le temps d’écran à cet âge ne détermine pas le neurodéveloppement à un âge ultérieur sauf pour l’apprentissage de la lecture en CP.
Pour les préadolescents de 9-10 ans et adolescents jusqu’à 17 ans, certaines études suggèrent que le développement cognitif et la réussite scolaire sont impactés négativement par des usages qui dépassent les recommandations actuelles (2 heures par jour). Pour autant, l’analyse des données d’IRM fonctionnelle de la cohorte ABCD n’identifie aucun effet du temps passé sur les écrans sur le développement cérébral des adolescents de 9 à 12 ans.
Au-delà du temps d’écran, une analyse fine des effets des différents usages est nécessaire. Par exemple, sur cette même cohorte ABCD, une étude montre que l’utilisation des jeux vidéo a un effet positif sur le développement de l’intelligence entre 8 et 10 ans alors que l’utilisation des réseaux sociaux a un effet nul.
Une étude longitudinale sur un échantillon de plus de 2500 adolescents sur une période de 2 ans entre 15 et 16 ans met en évidence que ceux qui rapportent une fréquence plus élevée de consultation et d’usage des réseaux sociaux notamment, présentent plus de difficulté attentionnelle que ceux qui en ont un usage moins fréquent. A contrario, l’une des dernières méta-analyses sur les jeux vidéo révèle des effets positifs, faibles à modérés, de leur pratique sur les capacités attentionnelles des joueurs y compris dans des études qui permettent d’établir des liens de cause à effet. Enfin, les effets de l’usage des outils numériques sont, en particulier à l’adolescence, dépendants de certaines vulnérabilités neuropsychologiques préexistantes.
Les relations entre les écrans et le développement cognitif et émotionnel des adolescents sont donc complexes et usages-dépendants.
Pour ce qui relève des effets somatiques des écrans, les effets sont plus clairs et font consensus. Plusieurs rapports d’expertise de l’ANSES et de HCSP indiquent que l’exposition aux écrans altère la qualité du sommeil notamment en cas d’exposition dans l’heure précédant l’endormissement et augmente la sédentarité et donc potentiellement les risques de maladie cardio-vasculaire.
Outre la question de l’exposition aux écrans dont nous avons vu que les effets sont plus complexes que le laisse penser le discours médiatique, la notion d’addiction aux écrans est elle-aussi source de polémiques. Commençons donc par rappeler qu’aujourd’hui l’addiction aux écrans n’est pas un diagnostic médical reconnu. Cela ne préjuge pas du fait qu’une telle addiction puisse exister mais simplement qu’en l’état actuel des connaissances scientifiques, elle reste à établir sur la base d’études rigoureuses.
Pour ce qui relève des outils numériques, les troubles d’usage du jeu vidéo ont fait leur entrée dans la version révisée du DSM-5, le manuel américain de référence sur les diagnostiques et statistiques des troubles mentaux, publiée en 2022 (voir aussi article Pourquoi l'usage excessif des jeux vidéo va-t-il être classé comme une addiction ?). Depuis le 25 mai 2019, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) reconnaît elle aussi l'existence de cette pathologie et l’intègre dans sa classification internationale des maladies, la CIM-11. Selon l’OMS, le trouble d’usage du jeu vidéo se définit comme « un comportement (…) qui se caractérise par une perte de contrôle sur le jeu, une priorité accrue accordée au jeu, au point que celui-ci prenne le pas sur d’autres centres d’intérêt et activités quotidiennes, et par la poursuite ou la pratique croissante du jeu en dépit de répercussions dommageables ». L’OMS précise néanmoins que ce trouble « ne touche qu’une petite partie des personnes qui utilisent des jeux numériques ou des jeux vidéo ». Il semble que certains jeux soient plus propices que d’autres pour faire émerger ce type de troubles et notamment les jeux de rôle massivement multi-joueurs (MMORPG). Dans ces jeux vidéo tout est fait pour maximiser le temps passé sur la plateforme car le jeu ne s’arrête jamais y compris quand le joueur se déconnecte, un des éléments de conception de ce type de jeu potentiellement addictogène.
Récemment, une équipe de chercheurs français en adaptant ces critères du DSM-5 à l’utilisation des écrans, a montré que 1,7% des 300 adultes de leur échantillon répondaient à au moins 5 des 9 critères au cours des 12 derniers mois, seuil à partir duquel le diagnostic de trouble de l’utilisation des écrans serait établi (voir l'interview du chercheur Mathieu Boudard Etes-vous addict aux écrans ?). Cette étude révèle aussi que plus de 40% des personnes interrogées présenteraient au moins l’un de ces neufs critères suggérant qu’une part non négligeable de la population pourrait avoir des difficultés de régulation de l’utilisation des écrans. Enfin, une autre étude rapporte une prévalence des troubles des usages des écrans qui pourraient être deux à trois fois supérieurs chez les adolescents (4 à 5 %) bien que ces résultats restent à confirmer.
En l’état actuel de nos connaissances, il semble donc prématuré de parler d’addiction aux écrans même si un trouble comparable au trouble d’utilisation des jeux vidéo en ligne pourrait progressivement s’imposer dans les nomenclatures internationales. Précisons néanmoins qu’au même titre que le temps d’écran cache des effets parfois diamétralement opposés quand les usages des outils sont pris en compte, le trouble d’utilisation des écrans n’a sans doute pas beaucoup de sens, le matériel en lui-même n’ayant aucun caractère addictogène.
Borst
Grégoire Borst est Professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation à l’Université Paris Cité, Directeur du Laboratoire de Psychologie du Développement et de l’Education de l’Enfant (LaPsyDÉ - CNRS)