1ère partie du dossier dédié aux recherches sur l'addiction aux écrans : identifier nos usages numériques problématiques
Le seul écran disponible pour les particuliers a longtemps été la télévision. Pendant une cinquantaine d’années l’écran des téléviseurs était un tube cathodique, inventé par Ferdinand Braun en 1897. Il s’agit d’un tube à vide disposant d’un canon à électrons à une de ses extrémités. Le faisceau d’électrons guidé par un champ magnétique balaye l’écran situé à l’extrémité opposée. Ce dernier est recouvert d’une couche de phosphore qui émet de la lumière après avoir été frappé par les électrons. Les premiers téléviseurs, qui étaient en noir et blanc, ont été commercialisés au début des années 1940 aux USA et quelques années plus tard en Europe. Il faudra 10 ans supplémentaires pour qu’apparaissent les écrans en couleur.
Le saut technologique viendra avec la mise au point des écrans plats grâce aux cristaux liquides. Cette technologie, dite LCD (Liquid Crystal Device), mise au point par la société Thompson en 1984, s’appuie sur la propriété qu’ont les cristaux liquides de faire varier la lumière qu’ils reçoivent ; l’inconvénient est que cela impose d’intégrer un rétro-éclairage dans l’écran. Par rapport à l’écran cathodique, ses avantages sont surtout l’encombrement réduit et le poids diminué. La commercialisation débutera dès 1990 pour les versions noir et blanc et 2000 pour celles en couleur.
La possibilité de disposer d’appareils mobiles, transportables, vient du développement des écrans Oled (Organic Light Emitting Diode, ou diode électroluminescente organique) par la société Kodak en 1987. Les diodes composant ces écrans produisent de la lumière sous l’impulsion d’un courant électrique. Elles n’ont donc pas besoin de rétro-éclairage, d’où un écran plus fin et plus léger et une consommation d’énergie moindre. D’abord utilisés dans les appareils photos numériques en début 2000, ces écrans vont permettre l’avènement du smartphone, téléphone mobile connectable à internet, en 2007.
Les bénéfices liés à internet et ses multiples applications, dont les réseaux sociaux, sont nombreux. L’accès à l’information, à la culture sont amplifiés ; la sociabilité est intensifiée ; le développement personnel, psychique et physique, est facilité ; la santé est mieux gérée etc. La précision du geste semble améliorée par la pratique des jeux vidéo. De fait, un travail mené en 2007 aux USA a montré que les chirurgiens pratiquant les jeux vidéos plus de 3 heures par semaine faisaient moins d’erreurs et étaient plus rapides dans leur pratique opératoire que ceux non adeptes des jeux vidéos. Chez les plus âgés, de nombreuses applications permettent de stimuler la cognition ; leur impact sur l’attention, la mémoire de travail, la capacité à apprendre est réel quoique très modéré selon l’analyse de 17 essais cliniques dans ce domaine.
Mais ces bénéfices améliorent–ils le bien-être ? La réponse est mitigée. Aux USA, 31% des adolescents considèrent que la révolution digitale procure des effets positifs, 45% que cela ne change rien et 24% que les effets sont négatifs. En France, sur une courte série de jeunes, 47% avaient un avis positif sur leur smartphone et 34% négatif. On ne peut donc guère tirer de conclusion générale.
Le développement des dispositifs mobiles permettant d’accéder à internet ainsi que l’explosion des applications a profondément modifié les usages initiaux d’internet qui consistaient à la transmission de messages ou de documents. Les outils mobiles, dont le smartphone, ont, grâce à leur portabilité, offert la possibilité de se connecter en tout lieu et à tout moment. La permanence de cette disponibilité qui autorise un accès quasi-immédiat et sans limite à l’information, la culture, l’entourage etc… a conduit les chercheurs à s’interroger sur les troubles du comportement que cela pourrait engendrer et sur l’existence d’une addiction. La première question concerne l’objet de l’éventuelle addiction : est-ce globalement à internet c’est-à-dire un besoin frénétique de surfer en permanence sur le réseau en passant d’une application à une autre ? est-ce à une application ou un domaine spécifique accessible en ligne comme jouer, acheter, boursicoter, communiquer via une messagerie ou un réseau social etc… ? est-ce à l’objet smartphone dont le contact dans la main est indispensable à la sécurité personnelle tout comme le paquet de cigarette dans la poche du fumeur ?
Des travaux ont montré que certains comportements activent le circuit de la récompense et produisent des symptômes similaires à ceux provoqués par les substances psychoactives. C’est le cas des jeux d’argent (voir article Addiction et jeux d’argent) et des jeux vidéo en ligne dont l’excès de pratique est désormais répertorié comme un trouble du comportement dans le manuel de référence des pathologies psychiatriques, le DSM (voir article Pourquoi l'usage excessif des jeux vidéo va-t-il être classé comme une addiction ?). Dans sa dernière version, la n°5 datant de 2013, le terme « addiction » à une substance ou un comportement n’est plus utilisé. Il a été remplacé par « trouble d’usage » ce qui permet d’y ranger plusieurs formes cliniques, de modérée à sévère. Le mot addiction est toutefois encore largement employé dans le langage courant.
En ce qui concerne internet, le smartphone et les réseaux sociaux, de nombreuses études décrivent des usages excessifs. Toutefois les données validées aujourd’hui par la communauté scientifique sont insuffisantes pour établir les critères diagnostiques de « trouble d’usage » permettant de classer ces comportements dans les maladies mentales.
Certains comportements comme jouer de l’argent sont des troubles par eux-mêmes, ils ne dépendent pas d’internet et sont qualifiés par certains chercheurs comme une addiction SUR internet.
Par contre distinguer un trouble d’utilisation d’internet (ou d’une application uniquement disponible sur internet) qualifiée alors d’addiction À internet, de celui d’un smartphone est plus complexe, sachant que, selon les données disponibles, en 2020 près des ¾ (73%) des connexions internet se sont effectuées à partir d’un smartphone.
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Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm