La e-cigarette en pleine controverse

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La e-cigarette en pleine controverse

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Pour certains, la e-cigarette est la meilleure façon d’arrêter de fumer, pour d’autres, c’est une façon d’encourager les jeunes à commencer : alors qu’en disent les études ?

Publié le: 
05/07/2019

Alors que Santé Publique France annonce que près de 700 000 personnes ont arrêté de fumer du tabac en l’espace de 7 ans grâce à l’aide de la cigarette électronique (bulletin épidémiologique du 28 mai 2019), la ville de San Francisco a voté le 18 Juin l’interdiction des e-cigarettes dans la ville et prohibé la présence de magasins dévolus à son commerce ainsi que toute forme de livraison de ces produits. Le motif avancé est la protection des mineurs de cette nouvelle forme de tabagisme.

Comment expliquer un tel paradoxe ?

Une augmentation nette de l’usage

En effet les données épidémiologiques provenant des USA montrent un accroissement net de l’utilisation de la e-cig chez les jeunes, passant de 11% en 2017 à 21% en 2018 chez les élèves de terminale et de 3,5 à 6,1% chez ceux de quatrième. Cet engouement est en partie lié à la commercialisation de nouveaux types de e-cig discrets et élégants même si les e-cigarettes sont interdites à la vente aux mineurs. Parallèlement à l’augmentation d’usage, trois études américaines portant au total sur près de 1400 jeunes suivis pendant 12 mois ont montré que le risque de devenir fumeur de tabac était multiplié par un facteur d’environ 6 chez ceux qui expérimentaient la vapoteuse. 

En France, la situation est très différente, la pénétration de la e-cig chez les jeunes étant pour l’instant plus modeste. De fait, selon l’édition 2017 de l’enquête ESCAPAD (réalisée lors de la journée d’appel à la défense) 52% des jeunes de 17 ans ont expérimenté la e-cig, 18,6% l’utilisant au moins une fois par mois et 1,9% quotidiennement. Ces derniers sont également fumeurs dans 60 % des cas. La vente aux mineurs de l’e-cigarette et des recharges est interdite depuis mars 2014.

Les interrogations quant au e-liquide

Les interrogations sanitaires proviennent du fait que le e-liquide contient d’une part de la nicotine et d’autre part des arômes.

La nicotine

La nicotine présente dans le e-liquide est identique à celle du tabac. Une étude menée sur 16 sujets n’ayant jamais vapoté ni fumé auparavant a montré que le taux de nicotine dans le sang augmente dès les premières bouffées de e-cigarette et est fonction de la teneur en nicotine du e-liquide. Après 10 bouffées d’un liquide contenant 36 mg de nicotine par ml, la nicotinémie atteignait celle obtenue en fumant une cigarette. Les taux atteints étaient légèrement moindres pour le e-liquide titré à 18 mg/ml. Les dispositifs évoluent rapidement et toujours vers plus de puissance, les e-cigarettes les plus récentes délivrent la nicotine de 1,2 à 2,7 fois plus vite que celles des générations précédentes. 

La nicotine délivrée par la e-cigarette entretient donc la dépendance à cette substance présente chez le fumeur et pourrait provoquer la dépendance chez le non-fumeur. Cette hypothèse est renforcée par les données épidémiologiques montrant une bascule de la e-cigarette vers la cigarette standard dans une proportion non négligeable de cas ; cela pourrait être dû au développement d’une accoutumance à la nicotine, le besoin d’augmenter les doses ne pouvant être satisfait par le e-liquide dont la teneur en nicotine est limitée. Ce d’autant qu’un travail récent portant sur 16 sujets fumeurs a montré que la perception de la nicotine dans le e-liquide échappait à 6 d’entre eux lorsque celle-ci était inférieure à 12 mg/l. En France, la teneur maximale de nicotine dans un e-liquide libre à la vente est fixée à 20 mg/ml.

Les arômes et les agents de saveur

Le tabac a un goût amer et irritant. L’industrie du tabac s’est rapidement penchée sur la question et dès les années 1920 des agents de saveur ont été mélangés au tabac. Aujourd’hui les e-liquide sont déclinés avec plusieurs centaines de goût différents. Toutefois les agents de saveur les plus courants dans la e-cigarette sont le menthol, le diacétyl et le 2-3 pentanedione. Les saveurs des e-liquide sont un des facteurs majeurs d’attraction des jeunes vers la e-cigarette. 

Le menthol

C’est le premier additif qui a été utilisé. L’objectif était de diminuer l’irritation de la gorge et ainsi élargir le champ des consommateurs et favoriser la consommation occasionnelle. Le menthol facilite l’inspiration profonde donc augmente l’impact de la nicotine. De plus il ralentit l’oxydation de la nicotine en cotinine ce qui augmente encore l’exposition à la nicotine. De nombreux travaux ont montré que chez les adolescents l’expérimentation de cigarettes mentholées favorisait le passage au tabagisme régulier. En Europe les cigarettes mentholées devraient être interdites à partir de 2022.

Le diacétyle

C'est un additif à usage alimentaire. Cette molécule sert notamment à donner un goût proche du beurre. On en trouve par exemple dans le beurre, le caramel, le chocolat, les produits laitiers et même dans des boissons alcoolisées. Dans une série de 158 e-liquides testés, le diacétyle était présent dans 75% des échantillons. Le diacétyle est a priori sans danger lorsqu’il est absorbé par voie orale. Par contre son inhalation est dangereuse, pouvant provoquer une maladie grave, irréversible, des poumons : la bronchiolite oblitérante. Cette pathologie a été observée chez des travailleurs de l’industrie du pop-corn aux Etats-Unis après exposition de longue durée au diacétyle présent dans l’air ambiant et, dans certains cas, à dose relativement faible.

Une équipe a calculé que vapoter 3 ml de e-liquide par jour conduisait à respirer en moyenne une quantité de diacétyle égale à 57 microgrammes soit juste à la limite inférieure des normes admises d’exposition. Les auteurs précisaient qu’avec certains e-liquides particulièrement chargés en diacétyle, la dose inhalée par jour dépassait de plus de 5 fois les normes. 

2-3 pentanedione

Le 2-3 pentanedione ou acétyle propionyl appartient à la même famille des dicarbonyles que le diacétyle. Il en possède grossièrement les mêmes propriétés. Il est trouvé dans les e-liquides à une moindre fréquence que celle du diacétyle.

De nombreux travaux portant sur la toxicité pulmonaire des agents de saveur continuent d’être menés. La plupart utilisent des modèles de culture de diverses cellules sur lesquelles sont ajoutés des agents de saveur à des concentrations variées. La viabilité des cellules ne semble pas affectée, par contre ces agents déclenchent une inflammation qui fragilise la barrière épithéliale pulmonaire (= surface protectrice), ce qui facilite le passage de microparticules vers le sang. D’autres travaux ont montré que la viscosité du mucus pulmonaire était augmentée, entravant le bon fonctionnement des cils bronchiques qui permettent l’évacuation des sécrétions et des particules polluantes. Ces résultats obtenus in vitro et, pour la plupart d’entre eux, par ajout direct de l’agent, doivent être confirmés par d’autres manipulations administrant le produit sous forme d’aérosol.

Le vapotage passif, cela existe

Un travail a évalué les concentrations de nicotine et de nanoparticules dans 7 voitures dans lesquelles un occupant était en train de vapoter. Vapoter à l’intérieur de la voiture augmentait la concentration de particules ultra-fines (< 300 nm de diamètre), celles qui ont la capacité d’atteindre les alvéoles pulmonaires. Le taux de propylène glycol, un agent de saveur contenu dans le e-liquide potentiellement nocif après chauffage, s’élevait dans 5 véhicules sur 7 et dans dans 3 au-delà du seuil légal admissible. Enfin, dans 4 voitures le taux de nicotine ambiant passait de zéro à 4 à 10 microg/m3.

Même si les conséquences de son utilisation à long terme ne sont pas encore connues, les données actuelles montrent que la e-cig est moins nocive que le tabac du fait entre autres de l’absence de goudrons, ce qui réduit considérablement le risque de pathologie des bronches et de cancer du poumon. La démonstration définitive de l’efficacité de la e-cigarette comme outil de sevrage tabagique est encore en attente mais les premières enquêtes montrent qu’elle aide de nombreux fumeurs à arrêter le tabac. Du point de vue addictologique, la question qui se pose est celle du maintien de la dépendance à la nicotine avec la e-cigarette, et les données à cet égard sont manquantes. 

En revanche, chez les non-fumeurs et plus encore chez les jeunes, les études épidémiologiques disponibles soulignent que l’utilisation de la e-cig augmente le risque de bascule vers la consommation de tabac et il ne peut être exclu que le vapotage, même exclusif, puisse générer une dépendance problématique à la nicotine.

Auteur(s): 
Bertrand

Nalpas

MD, PhD, Directeur de recherche émérite - Inserm

MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm

 
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