Si l’importance des neurones du système digestif lui vaut aujourd’hui l’appellation de deuxième cerveau, les chercheurs s’intéressent en particulier au rôle du microbiote, ces bactéries dont il est l’hôte, dans certains troubles psychiques et l’addiction...
Le système digestif possède son propre système nerveux, appelé système nerveux entérique. Il communique avec le cerveau de manière bilatérale, chacun envoyant des messages à l’autre. La liaison et la régulation entre les deux s’effectuent par voie nerveuse à travers le nerf vague et les ganglions prévertébraux, mais aussi par voie hormonale à travers le système endocrinien et notamment par l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, l’axe du stress. La communication au sein du système entérique et avec le système nerveux central est assurée par des neurotransmetteurs comme l’acétylcholine, l’adrénaline et la sérotonine. Des messages sont aussi transmis jusqu’au cerveau par le sang via des hormones comme la ghréline et la leptine sécrétées par le tube digestif.
Les signaux transmis concernent entre autres la douleur, la proprioception (= perception, consciente ou non, de la position des différentes parties du corps), et la satiété. Ces échanges sont indispensables pour maintenir l’homéostasie, c.-à-d. le fonctionnement harmonieux du corps humain. Toutefois le système entérique peut fonctionner de manière autonome puisque la section du nerf vague n’empêche pas son activité.
Le microbiote est l’ensemble des bactéries présentes la portion du tube digestif allant de l’estomac au colon. Il est constitué d’environ 1014 bactéries, soit 10 fois plus que le nombre de cellules du corps humain. Entre 500 à 1000 variétés de bactéries sont présentes mais deux sont majoritaires et constituent 90% du microbiote : les Bacteroïdetes et les Firmicutes. Le microbiote intestinal se constitue dès la naissance et devient stable à partir de l’âge de 2 ans environ. Sa composition varie en fonction du développement et a une composition spécifique à chaque individu. Il joue un rôle fondamental dans la mobilité intestinale, le métabolisme et le système immunitaire. Il protège contre les éléments pathogènes, participe à la digestion des aliments et des drogues, et influence l’absorption des graisses et leur distribution dans l’organisme.
La présence fréquente de troubles digestifs chez les personnes présentant des troubles psychiatriques comme l’anxiété, la dépression, le stress, mais aussi chez celles ayant des troubles du comportement alimentaire, ou chez les consommateurs de substances psychoactives, fait suspecter un dysfonctionnement de l’axe microbiote-intestin-cerveau. Elle est à l’origine de nombreuses recherches. Pour l’histoire, les liens entre intestin et cerveau ont été suspectés dès le 19ème siècle pour expliquer des problèmes digestifs au niveau de l’estomac, la dyspepsie et la neurasthénie (fatigue) gastrique !
A ce jour, la plupart des études ont été menées sur des modèles animaux et très peu chez l’homme en raison de difficultés techniques.
Les liens entre troubles psychiques et microbiote s’appuient sur un certain nombre de travaux fondamentaux menés chez les rongeurs depuis le début des années 2000. Un travail mené en 2004 a montré que des souris dépourvues de microbiote avaient une réponse à un stress provoqué largement supérieur à celui des autres souris. Dans un autre travail mené chez des rats en 2012, l’administration d’un probiotique de type Lactobacille (genre apparenté aux Firmicutes) atténuait la réponse à un stress. Toujours chez le rongeur, les stress subis en période prénatale ou postnatale modifiaient la composition du microbiote. Une souris témoin devenait anxieuse après avoir reçu par transplantation le microbiote d’une souris présentant un profil anxieux. Par ailleurs, des souris chez qui avait été transplanté le microbiote prélevé chez un patient humain dépressif devenaient elles-mêmes dépressives.
Ces résultats démontrent qu’il existe un lien entre les troubles psychiques et le microbiote mais il reste à déterminer quelle en est la nature et quels en sont les mécanismes.
On dispose encore de peu de travaux dans ce domaine.
Un travail récent publié en 2016 a examiné les effets de la manipulation du microbiote sur la consommation de cocaïne. Les souris étaient traitées ou non avec des antibiotiques qui réduisaient la quantité de microbiote. Après 10 jours de traitement, les souris étaient soumises à un protocole de conditionnement par préférence de place. Il s’agit d’associer un lieu et un produit pour signer le renforcement - la souris préfère le compartiment où elle a reçu le produit - et caractériser l’addiction. A forte dose de cocaïne (10 mg/kg) les 2 groupes de souris se comportaient de façon identique. Par contre, à faible dose (5mg/kg), les souris contrôles ne manifestaient pas de signe d’addiction à la cocaïne contrairement aux souris avec microbiote réduit ; après restauration du microbiote, ces dernières se comportaient à nouveau comme les souris contrôles. Les modifications comportementales étaient associés à des altérations de l’activation neuronale dans le noyau accumbens, zone clef du système de récompense.
Les résultats de cette étude permettent de supposer un lien entre microbiote et addiction, mais d’autres recherches sont nécessaires.
D’autres travaux chez les rongeurs ont montré que la composition du microbiote était altérée par l’alcoolisation excessive chronique : la proportion de Firmicutes était diminuée alors que celle de Bacteroïdetes était augmentée. Dans l’une des rares études menées chez des patients alcoolo-dépendants, un certain nombre d’entre eux présentaient des anomalies de la perméabilité intestinale permettant à des molécules toxiques et inflammatoires provenant du microbiote de passer dans la circulation sanguine. La concentration de ces molécules était corrélée à la quantité d’alcool consommée, à l’intensité de l’envie de boire, et à la sévérité de l’anxiété. Une diminution des molécules inflammatoires et des troubles psychiques était observée après arrêt de l’alcool. Ces résultats obtenus sur un petit nombre de patients doivent être confirmés. Ils ne permettent pas de déterminer si les modifications du microbiote sont la conséquence de l’alcoolisation excessive ou si elles pré-existent et facilitent la survenue de l’alcoolo-dépendance. Enfin on ne dispose pas encore de données concernant l’impact d’une alcoolisation aiguë, type binge-drinking, sur le microbiote.
Une des fonctions du microbiote intestinal est de produire, à partir des fibres alimentaires, des acides gras à chaîne courte dont les principaux sont le butyrate, l’acétate et le propionate. Ces molécules passent dans la circulation sanguine et se lient à des récepteurs ou des transporteurs présents dans de nombreux types de cellules dont les neurones. Elles sont fortement impliquées dans le métabolisme énergétique et la réduction de la production de butyrate est aujourd’hui fortement suspectée de jouer un rôle dans la survenue de l’obésité. Mais des travaux suggèrent qu’elles pourraient aussi avoir un impact, directement ou non, sur les fonctions cognitives en agissant sur la neuro-inflammation, une piste qui pourrait concerner l’addiction. De fait un travail récent a montré que, chez le rat, la méthamphétamine modifie la composition du microbiote et diminue la production d’acétate.
Plusieurs arguments sont en faveur d’un possible lien entre microbiote et addiction, qu’il soit direct ou indirect, via le stress, l’anxiété ou la dépression dont les interactions avec le microbiote sont mieux démontrées. La recherche devra décrypter la nature et la force de ces liens. Il n’est pas exclu que l’administration de probiotiques (bifidus, lactobacille etc.) puisse rentrer un jour dans l’arsenal thérapeutique des troubles psychiques voire des addictions mais cela reste à démontrer.
Pour en savoir plus sur les recherches en cours, voir aussi la vidéo Microbiote et addiction à l'alcool.
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm