Le Fentanyl, du traitement anti-douleur à l’addiction

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Le Fentanyl, du traitement anti-douleur à l’addiction

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Fin 2017, le président des Etats-Unis déclare l’épidémie d’opiacés, en particulier du fentanyl, comme une crise de santé publique. Il souhaite enrayer la distribution illégale de ce médicament dont l’usage est détourné en drogue. Retour sur une addiction qui a déjà emporté plusieurs célébrités...

Publié le: 
05/01/2018

Le fentanyl est un opiacé de synthèse comme l’héroïne. Il est classé comme psycholeptique (du grec « psycho »=  « âme, esprit » et « lepsos » = « mince, faible »), un groupe de substances ayant une action dépressive, c’est-à-dire calmante sur le psychisme, l'activité mentale ou la tension émotionnelle.

Synthétisé vers la fin des années 1950, le fentanyl est un analgésique très puissant, 100 fois plus que la morphine. Il a rapidement été utilisé en pratique médicale comme anesthésique administré en intra-veineux et a détrôné la morphine principalement en raison de sa puissance thérapeutique, sa rapidité, sa durée d’action et ses moindres effets secondaires sur le système vasculaire.

Par la suite, des analogues du Fentanyl ont été créés (sufentanil, alfentanil, lofentanil…) ainsi que de nouvelles modalités d’administration, voie orale, spray, patch transdermique… ont été développées. Des déclinaisons du produit pour usage vétérinaire sont également disponibles.

Comme de nombreux opioïdes, le fentanyl peut être détourné de son usage à des fins récréatives. Il provoque les effets secondaires typiques des opiacés : euphorie, analgésie (réduction de la douleur), anxiolyse (levée de l’anxiété), bien-être, somnolence, et peut conduire à une forte dépendance physique et psychologique. En raison de son potentiel addictif très puissant le Fentanyl a été inscrit sur la liste des stupéfiants dans de très nombreux pays.

Effets du fentanyl

Dans le cerveau le fentanyl et ses dérivés se lient aux récepteurs opiacés. Ces récepteurs très largement distribués dans le cerveau ont pour fonction de recevoir les neurotransmetteurs opioïdes naturellement présents comme les enképhalines, les endorphines, les dynorphines. Efficaces pour des posologies inférieures à 100µg (micro-gramme), le fentanyl et ses dérivés font partie des médicaments les plus puissants qu’il existe. A côté de leurs propriétés analgésiques, ils possèdent comme tous les opiacés des effets anxiolytiques, relaxants et euphoriques mais les effets secondaires potentiels sont nombreux : rigidité musculaire, myosis (diminution du diamètre de la pupille), constipation, rétention urinaire, syncope, prurit (démangeaison), et le plus dangereux, la dépression respiratoire, cause principale de décès en cas d’overdose.  

Le fentanyl et dérivés sont très lipophiles (soluble dans les graisses). Ils traversent très rapidement la barrière hémato-encéphalique (barrière qui protège le cerveau contre l’intrusion de composés nocifs présents dans le sang) ainsi que les membranes cellulaires qui sont riches en lipides et diffusent largement dans les tissus graisseux. En conséquence le fentanyl disparaît rapidement du sang pour être ensuite relargué lentement à partir des tissus, expliquant ainsi les effets prolongés sur la respiration. Après biotransformation par le foie en un métabolite inactif, le fentanyl est éliminé par le rein.

Après administration intraveineuse, les effets subjectifs sont ressentis en une à deux minutes, la dépression respiratoire est maximale en 2 à 5 minutes puis diminue progressivement, pouvant durer jusqu’à 2 à 3 heures. En intra-nasal, la concentration sanguine maximale est atteinte en 10 mn environ et les effets vont durer 1 à 2 heures.

Epidémie d’overdoses

Des utilisations détournées ainsi que des prescriptions inappropriées du Fentanyl ont attiré l’attention de la Food and Drug Administration (l’équivalent en France de l’Agence du Médicament) dès le début des années 2000. Toutefois la préoccupation est devenue mondiale depuis 2013 avec l’arrivée de nombreuses molécules variantes du Fentanyl, et non reconnues à usage médical, tels que l’acétyl-fentanyl, le butyryl-fentanyl et le beta-hydroxy-thio-fentanyl.  Connues sous des noms comme  « China White”, “Apache”, “China Girl”, “Dance Fever”, “Friend”,“Goodfella”, “Jackpot”, “Murder 8”, “TNT”, “Tango and Cash”, “Synthetic Heroin”, “Drop Dead” etc… ces molécules sont le plus souvent mélangées à de l’héroïne. Elles sont souvent moins puissantes que le fentanyl mais présentent néanmoins un risque mortel en cas d’overdose.

Aux Etats-Unis, les overdoses de Fentanyl ont causé 20 100 décès en 2016, ce qui a conduit le président des USA à s’insurger contre le laxisme de sa distribution. Une épidémie d’overdoses s’est produite en Europe du Nord et particulièrement en Estonie avec 170 décès par overdose de dérivés de fentanyl en 2012. Certains consommateurs décédés s’étant injecté le produit ont été retrouvé avec l’aiguille encore plantée dans leur veine, témoignant de la fulgurance de la dépression respiratoire.  

Et c’est une overdose de Fentanyl qui a emporté le chanteur Prince en avril 2016.

Auteur(s): 
Bertrand

Nalpas

MD, PhD, Directeur de recherche émérite - Inserm

MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm

 
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