Quand les œstrogènes modifient les effets de l'alcool sur la mémoire

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Quand les œstrogènes modifient les effets de l'alcool sur la mémoire

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En direct du labo : les chercheurs étudient le rôle des hormones féminines pour expliquer les différences d'effets de l'alcool sur les hommes et les femmes

Publié le: 
18/03/2021

Qui n’a jamais entendu qu’« une femme, ça ne tient pas l’alcool », ou encore « quelques gorgées d’alcool et je suis complètement pompette », imprimant dans l’imagerie populaire que le cerveau des femmes est plus sensible à l’alcool que celui des hommes ? (voir article Tenir bien l’alcool du point de vue scientifique).
La question d’une différence d’effet de l’alcool en fonction du sexe reste d’actualité si l’on considère d’une part, les pratiques de consommation d’alcool sous forme d’épisodes de binge drinking chez les jeunes de 17 ans et, d’autre part, que l’alcoolisation des jeunes filles rattrape celle des garçons au même âge (Voir article Le binge drinking du point de vue scientifique). En effet, à cet âge, selon le rapport 2019 de l'OFDT, 90% des jeunes déclarent avoir déjà bu de l’alcool et presque 10% indiquent boire de l’alcool une fois tous les trois jours. L'enquête ESCAPAD 2017 auprès des jeunes de 17 ans précise qu'une forte proportion de jeunes consomment en mode binge avec 50% des garçons et 38% des filles qui déclarent au moins une alcoolisation ponctuelle importante dans le mois. De plus, le binge drinking chez les jeunes filles a augmenté de 44% entre 2008 et 2014 alors que celle des garçons, sur la même période, est restée stable.

La piste hormonale

Certains aspects de la biologie et de la physiologie relèvent du sexe (voir article Hommes et femmes à égalité devant l’alcool ?). Par exemple, le cycle hormonal qui assure la reproduction chez les mammifères n’existe que chez la femelle. Et, ces hormones « féminines » ont des effets qui leurs sont propres.
Des données suggèrent que la pratique du binge drinking sur le long terme entraînerait des conséquences plus graves chez les filles que chez les garçons. Par exemple, il est reconnu que l’évolution de la dépendance à l’alcool chez la femme est plus rapide que chez l’homme. D’autre part, des études montrent que le binge drinking affecte de manière plus importante la structure du cerveau, la répartition substance blanche-substance grise, des jeunes femmes par rapport aux jeunes hommes. L’alcool induit des pertes de mémoire chez les garçons comme chez les filles, mais des différences pourraient exister dans le mode d’action de l’alcool dans le cerveau des filles par rapport à celui des garçons. De telles différences pourraient être liées à la présence d’hormones sexuelles féminines, telle que l’œstrogène.

Les expériences sur la mémoire

L’alcool a des effets connus sur la mémoire. Il altère le fonctionnement de la région cérébrale de l’hippocampe, structure clé de l’apprentissage et de la mémoire. Une équipe de chercheurs à Amiens s'est alors donnée pour but de mesurer si l’œstrogène avait un impact sur cet effet amnésiant de l’alcool. 
Pour ce faire, ils ont utilisé un modèle animal : des rattes adolescentes post-pubères, c.a.d. cyclées sur le plan hormonal, ont reçu deux doses d’alcool importantes (atteignant un taux d’alcool dans le sang, l’alcoolémie, de 2 g/L) à 9h d'intervalle. Puis, l'activité des neurones liés à la mémoire dans l’hippocampe a été enregistrée 24h et 48h plus tard. Ces mesures ont été effectuées après que l’alcool ait été administré dans chacune des phases du cycle ovulatoire (= équivalent du cycle menstruel chez la femme), dont une, appelée proestrus, se caractérise par un fort taux d’œstrogène circulant, et donc susceptible d’interagir avec la présence d’alcool. 
Les résultats ont montré que l'activité des neurones de l'hippocampe liés à la mémoire s'arrêtait précocement, 24h après les deux alcoolisations, et seulement lorsque l’alcool était administré pendant la phase de proestrus. Ceci indique donc une interaction entre la présence forte d’œstrogène et la présence forte d’alcool. Cette suppression d'activité était encore présente 48h après les alcoolisations. Ces résultats ont été comparés à ceux obtenus chez le rat mâle adolescent recevant les mêmes doses d’alcool. Dans ce cas, le signal s'arrêtait également mais seulement après un délai de 48h contre 24h chez la femelle.
La comparaison indique donc que la présence d’œstrogène en même temps que l’alcool perturbe les mécanismes de la mémoire plus rapidement chez la femelle que chez le mâle mais aussi de manière plus longue.
Une autre expérience a permis de démontrer que l’oestrogène était en cause dans la précocité des effets de l’alcool. Des rattes ont été traitées avec de l’alcool, comme précédemment, et avec un bloquant des récepteurs à l’œstrogène sur les neurones de l’hippocampe. Dans ces conditions, le signal neuronal dans l’hippocampe n’était plus supprimé. Cette expérience démontre que les effets précoces et négatifs de l'alcool pendant le pic d'œstrogène passe bien par les récepteurs à l’œstrogène. Cette protection par blocage des récepteurs à l’œstrogène n’était plus effective à 48h puisqu’à ce moment-là l'activité neuronale s'arrêtait. Ceci suggère qu'un autre mécanisme est impliqué à ce stade. 

Même si chez le mâle le signal du blocage à 24h n’a jamais été observé, on ne peut pas affirmer que le cerveau des rattes est plus sensible aux effets de l’alcool car l’étude ne révèle d’effets chez la femelle que dans une situation très particulière, lorsque celle-ci est en phase de proestrus. 
Peut-être alors serait-il plus raisonnable de retenir de ces études que sur le plan des mécanismes d’action de l’alcool sur la mémoire, l’oestrogène ne fait pas bon ménage avec l’alcool. 
Cette observation reste à confirmer chez l'être humain.

BONUS VIDEO : Le binge drinking et la mémoire

Auteur(s): 
Kevin

Rabiant

Docteur en neurosciences

Kevin Rabiant, Docteur en neurosciences - UMR INSERM 1247 GRAP Amiens

Olivier

Pierrefiche

Enseignant Chercheur en neurosciences, PhD

Olivier Pierrefiche est Enseignant Chercheur dans le Groupe de Recherche sur l'Alcool et les Pharmacodépendances de l'Université de Picardie Jules Verne - UMR Inserm 1247 GRAP, Amiens, France

 
Le binge drinking altère de manière plus importante la structure du cerveau chez les jeunes femmes que chez les jeunes hommes
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