Les recherches en génétique et en épigénétique sur l'addiction tentent de faire la part des choses entre ce qui est codé dans nos gènes et ce qui est exprimé dans notre corps tout au long de la vie.
1ère partie : la génétique
“Luke, I am your father”. La plus célèbre et terrifiante réplique de Star Wars pose la question du rôle de l’hérédité dans certains de nos comportements. Pour l’addiction, les recherches en génétique évaluent si l'addiction est codée dans nos gènes et dans quelle mesure ce codage détermine notre comportement.
Lors de la fécondation, le futur être humain n’est constitué que d’une seule cellule. C’est elle qui porte sur ses chromosomes l’ensemble des informations relatives à l’architecture future de la personne. Les chromosomes sont constitués d’ADN (acide désoxyribonucléique) segmenté en gènes, chaque gène portant une information spécifique. Lors de la croissance et de la multiplication des cellules, l’information est délivrée par la lecture des gènes, lecture qui est régulée par des signaux portés par l’ADN. La science des gènes est la génétique, celle portant sur les signaux de régulation est l’épigénétique.
Une maladie est dite génétique quand sa survenue est provoquée uniquement par la mutation d’un ou plusieurs gènes. C’est le cas par exemple de la mucoviscidose, ce n’est pas le cas de l’addiction.
L’addiction est une maladie multifactorielle. Elle est due à la fois à des facteurs génétiques et environnementaux.
C’est le cas de la plupart des pathologies courantes, associant dans leur étiologie(=cause de la maladie) le terrain héréditaire et l’histoire de vie du sujet.
On naît donc en portant dans nos gènes un risque plus ou moins élevé de développer une addiction mais la survenue de l’addiction va dépendre au moins autant sinon plus de facteurs liés à l’environnement social et familial que de facteurs génétiques. Il n’y a pas de déterminisme à devenir « addict » mais il y a des facteurs de vulnérabilité. De nombreux chercheurs ont tenté d’évaluer la part du risque portée respectivement par les facteurs génétiques, familiaux et environnementaux.
L’identification d’une part génétique dans la survenue d’une addiction provient d’études menées sur des familles ou des paires de jumeaux dans lesquels un membre est atteint. Les travaux les plus nombreux concernent l’addiction à l’alcool mais des études ont également été menées sur d’autres drogues. Alors que la fréquence de l’alcoolisme dans la population générale est d’environ 2 à 5 %, elle a été estimée être entre 10 et 50% dans la fratrie d’un malade alcoolique. Les études de jumeaux ont montré que le taux moyen de concordance (le pourcentage de jumeaux qui présentent une addiction si l’autre jumeau en souffre) pour l’alcoolisme était de 50 % chez les jumeaux monozygotes (« vrais » jumeaux car l’ovule fécondée s’est divisée en 2) et de 35 % chez les dizygotes (faux jumeaux car 2 ovules ont été fécondées).
La synthèse des études menées sur les jumeaux a permis d’établir que la part génétique dans la vulnérabilité à devenir “addict” serait d’environ 70% pour la dépendance à la nicotine, 48-66 % pour la dépendance à l’alcool, 51-59 % pour la dépendance au cannabis, 42-79 % pour la dépendance à la cocaïne, 23-54 % pour la dépendance aux opiacés. Ces taux sont toutefois à lire avec prudence dans la mesure où la définition de la « dépendance » n’était pas toujours identique d’une étude à l’autre.
Au total, si on hérite de gènes de vulnérabilité sur lesquels on ne peut guère agir, ceux-ci représenteront environ la moitié de la probabilité de devenir « addict ».
L’essentiel de la recherche génétique appliquée aux addictions repose sur deux types d’études, les études de liaison d’une part, et les études d’association d’autre part.
Les études génétiques de liaison servent à cartographier les différents gènes ou régions du génome prédisposant à un trouble. L’approche liaison se base sur des familles dans lesquelles au moins un parent et un enfant sont addicts et on recherche si le gène suspecté est présent chez le parent et l’enfant atteints.
Les études d’association, quant à elles, ont pour but de détecter l’association entre un trait de caractère (ici l’addiction) et la structure exacte (polymorphisme) d’un gène. Elles se fondent sur la comparaison entre des cas (ici des sujets addicts) et des témoins (des sujets non addicts). Ces études, dites « cas-témoins » sont les plus nombreuses. Dans celles-ci, on axe les recherches le plus souvent sur des gènes « candidats », c’est-à-dire qui pourraient logiquement avoir un rôle à jouer dans la survenue de la pathologie. Toutefois l’amélioration spectaculaire des techniques de séquençage et d’identification des gènes a permis de réaliser des études dites GWAS (Genome-Wide Association Study) où plus d’un million de marqueurs génétiques peuvent être analysés en même temps.
De très nombreux gènes ont été identifiés comme étant probablement impliqués dans les addictions aux substances psychoactives sans pour autant pouvoir expliquer l’ensemble du phénomène. Ils interviennent par exemple dans :
l’action ou le métabolisme de la substance (ainsi les récepteurs nicotiniques CHRNA3, CHRNA5 et CHRNB4 pour le tabac ; les enzymes de dégradation de l’alcool ADH1B, ADH1C et ALDH2),
la régulation de la consommation (β-Klotho/KLB pour l’alcool),
la sensibilité aux effets plaisants/récompensants (par exemple les gènes de la voie dopaminergique dont le récepteur DRD2 ou le gène COMT codant pour l’enzyme dégradant la dopamine),
ou encore la sévérité de l’addiction.
D’autres gènes sont impliqués dans des comportements ou des traits de caractère comme la désinhibition, l’attention, la réponse au stress, la recherche de sensations ou l’impulsivité. Les énumérer tous prendrait beaucoup trop de place !
Aucun gène identifié à ce jour ne possède un effet majeur à devenir addict, aucun d’entre eux n’explique à lui seul la survenue de l’addiction.
L’addiction apparaît être multi-génique, c’est-à-dire reposant sur une combinaison de modifications de plusieurs gènes, et pas toujours les mêmes d’un sujet à l’autre.
Enfin, notion importante, ces gènes de vulnérabilité sont loin d’être toujours présents chez les personnes addictes. Cela signifie que l’absence de ces gènes ne protège en aucun cas du risque de devenir addict.
L’hérédité de Luke ne le condamne donc pas à passer du côté obscur de la force… Mais y-a-t-il d’autres facteurs qui pourraient expliquer qu’il ne marche pas dans les pas de son père Dark Vador ?
A lire ensuite : L’addiction est-elle une maladie génétique ? 2/2
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm
Ramoz
Inserm U U894 CENTRE DE PSYCHIATRIE ET NEUROSCIENCES