La neuro-inflammation liée à la consommation de drogues - 2e partie

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La neuro-inflammation liée à la consommation de drogues - 2e partie

Dossiers

Selon les études en neurosciences, les drogues déclenchent une inflammation dans le cerveau et le système nerveux - 2e partie : intérêt des traitements anti-inflammatoires

Publié le: 
05/04/2024

En raison de l'importance de la neuro-inflammation dans les conséquences de la consommation des produits psychoactifs - voir 1ere partie de cet article La neuro-inflammation liée à la consommation de drogues - 1ere partie, les chercheurs se sont demandé si les traitements anti-inflammatoires pourraient être bénéfiques. Les connaissances actuelles proviennent essentiellement d’expériences sur les modèles animaux. De rares essais ont été réalisés chez l’être humain, de courte durée et incluant peu de sujets.

Antibiotique

La minocycline est un antibiotique de la famille des tétracyclines. Elle est indiquée principalement dans le traitement des maladies sexuellement transmissibles et de l’acné. Possédant aussi des propriétés anti-inflammatoires et antioxydantes, elle a fait l’objet de multiples travaux, essentiellement sur l’alcool. Les résultats sont contradictoires. Dans certaines études, la minocycline diminue la consommation d’alcool chez les rongeurs ainsi que la reprise de consommation après sevrage et atténue les effets négatifs sur la cognition. Dans d’autres, l’effet anti-inflammatoire est confirmé mais n’a pas de répercussion sur l’alcoolisation.
Un essai clinique publié en 2020 a porté sur 49 sujets buveurs excessifs divisés en 3 groupes : 12 sujets ont reçu 100 mg/j de minocycline, 17 une dose de 200 mg/j et 20 un placebo pendant 10 jours. Aux jours 8 et 10, chaque participant recevait par voie intraveineuse soit une dose d’alcool soit un placebo, et l’inverse à J10. Dix minutes après l’injection, puis à intervalles réguliers, les participants étaient interrogés sur leur sensation d’intoxication et l’intensité de leur désir de boire (= craving). Les résultats ont montré chez tous les participants une différence d’état entre l’injection d’alcool et celui du placebo mais les effets ressentis étaient strictement identiques chez ceux ayant reçu la minocycline, quelle que soit la dose, et ceux ayant reçu le placebo.

Anti-inflammatoire

L’idubilast est une molécule anti-inflammatoire qui supprime la production de plusieurs molécules pro-inflammatoires et diminue l'activation des astrocytes et des microglies. Il est actuellement utilisé au Japon pour l'asthme et les troubles cérébrovasculaires. 
Les premiers travaux, datant de 2013, sur les rats alcoolisés ont montré que l’idubilast réduisait modestement mais significativement la consommation d’alcool. En 2017, 24 sujets consommateurs excessifs, dont 6 avaient une dépendance sévère, ont participé à un essai thérapeutique durant lequel ils recevaient une dose d’idubilast, ou de placebo, pendant une semaine. Au jour 6, ils recevaient une dose d’alcool par voie intraveineuse ; leur ressenti de l’intoxication, le désir de boire et les troubles de l’humeur étaient ensuite mesurés toutes les 20 mn pendant 1 heure. Après 1 semaine de repos, les sujets participaient à une deuxième session identique à la première mais ceux qui avaient initialement reçu l’idubilast prenaient alors le placebo. Aucun effet de l’idubilast sur le ressenti de l’intoxication ou sur le craving n’a été observé. Toutefois une diminution des troubles de l’humeur était notée.
Un essai publié en 2021 a porté sur 52 sujets consommateurs excessifs d’alcool, dont 24 recevaient l’idubilast et 28 un placebo pendant 2 semaines. Pendant ces 2 semaines, les participants remplissaient quotidiennement des questionnaires adaptés évaluant leur consommation d’alcool, leur désir de boire, leur humeur. Au 8ème jour de l’essai, une IRM fonctionnelle était réalisée. Pendant celle-ci des images soit neutre soit évoquant le plaisir de boire étaient montrées dans le but d’évaluer les modifications d’activation de certaines zones cérébrales. La probabilité de survenue de jours avec alcoolisation forte (>=5 verres/j pour les hommes et >=4 pour les femmes) était fortement diminuée par l’idubilast et il en était de même pour l’activité du striatum selon les résultats de l’IRM. Cette réduction d’activité était statistiquement associée à une diminution du nombre de verres consommés. Toutefois cet impact était modeste puisque la prise d’idubilast ne modifiait ni la consommation totale d’alcool ni le craving ni les troubles de l’humeur.

N-acétylcystéine (NAC)

La NAC est un précurseur du glutathion, molécule fondamentale pour la détoxification et l'élimination des composés toxiques. Ces propriétés confèrent à la NAC la capacité d’éliminer les excès de glutamate dans le noyau accumbens et de réduire l’activité inflammatoire de la microglie (voir article Neurotransmetteurs et substances psychoactives 3 : Glutamate). Elle a été étudiée dans le traitement de plusieurs troubles psychiatriques et neurologiques associés à un dysfonctionnement du stress oxydatif, de la neuroinflammation, ainsi que de la dysrégulation du glutamate et de la dopamine. Cette molécule a également été testée dans le cadre de l’aide au sevrage de la cocaïne (voir article Comment soigner l'addiction à la cocaïne ? 1ere partie)

Circuit de la récompenseLes travaux de laboratoire sur des modèles animaux s’accordent sur l’effet positif de la NAC sur la réduction des symptômes de sevrage et la reprise de consommation. Certains observent même une réduction de la consommation d’alcool. Chez l’être humain, la situation semble différente. Un essai clinique portant sur 42 sujets en difficulté avec l’alcool a été publié en 2023. La moitié des participants a reçu 2400 mg de NAC et l’autre moitié un placebo, pendant 28 jours. Aucune modification, ni du nombre de verres consommés, ni du craving pour l’alcool, n’a été observée chez ceux recevant la NAC. Selon un travail de 2021 portant sur 45 sujets qui avaient volontairement consommé de l’alcool jusqu’à atteindre une alcoolémie de 1 g/l, l’administration de NAC ne modifiait pas les symptômes de la « gueule de bois ».
Une revue publiée en 2022 a compilé les résultats de 8 essais thérapeutiques de la NAC chez des sujets consommateurs de cannabis. La dose administrée était de 2400 mg/j pendant 8 à 12 semaines pour la moitié des sujets participants, le reste recevant un placebo. Les résultats sont mitigés. Quatre études n’ont montré aucun bénéfice de la NAC sur la consommation, l’arrêt ou le craving. Toutefois, dans l’une d’elles, les sujets qui étaient abstinents lors de leur inclusion dans l’essai avaient avec le traitement NAC des scores de craving diminués et une durée plus longue avant rechute. Deux études, menées chez des adolescents, a rapporté que le nombre d’échantillons d’urine négatif pour le THC était plus élevé chez les sujets traités par NAC (le choix de ce critère d’efficacité est curieux en raison de longue durée d’élimination du THC, 3 à 5 j en cas de prise unique, jusqu’à 30 jours en cas de consommation régulière). Les deux dernières montraient l’une, une réduction modérée mais significative du craving chez les femmes, l’autre un effet positif sur l’abstinence en cas dépression associée. 
En conclusion, l’hypothèse d’un bénéfice de traitement par anti-inflammatoire en cas de sevrage d'une substance psychoactive a du sens mais, à ce jour, leur efficacité reste à démontrer.

Auteur(s): 
Bertrand

Nalpas

MD, PhD, Directeur de recherche émérite - Inserm

MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm

 
Le glutathion est une molécule qui permet la détoxification et l'élimination des composés toxiques des cellules
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