La cocaïne est un stimulant : les recherches montrent qu'elle altère la qualité du sommeil ce qui a aussi des conséquences en cas d'arrêt de la consommation.
La cocaïne est une substance psychoactive classée parmi les stimulants du système nerveux central car elle entraîne entre autres une excitation psychique et physique. Celle-ci est provoquée par la libération de nombreux neurotransmetteurs et en particulier la dopamine (voir vidéo Quels sont les effets de la cocaïne sur le cerveau ?). La sur-stimulation est un des moteurs qui poussent à consommer la cocaïne mais comment le cerveau encaisse-t-il cet accroissement d’activité ? Le sommeil est l’état dans lequel le corps, y compris le cerveau, récupère. Le bon sens voudrait qu’après la prise de cocaïne, le sommeil soit plus long, plus profond, plus récupérateur du fait de l’hyperactivité. Examinons néanmoins ce que nous disent les recherches.
L'effet de la consommation de cocaïne ou du sevrage de cocaïne sur le comportement veille-sommeil chez l'homme est étudié depuis des décennies. La méthodologie des expériences est très variable, le nombre de personnes étudiées est réduit, la consommation d’autres produits pas toujours prise en compte, aussi cela empêche de tirer des conclusions fiables. La majorité des études ont toutefois mis en évidence une perturbation du sommeil, bien que la nature de cette perturbation varie.
Le sommeil se décompose en phases qui s’enchaînent au cours d’un cycle dont la durée moyenne est de 90 min. La première phase est le sommeil lent léger pendant laquelle l’activité du cerveau ralentit. Après une durée variable, de l’ordre de quelques dizaines de minutes, le sommeil devient profond, l’activité cérébrale est au plus bas. C’est pendant cette période, d’une durée d’environ 1 heure, que l’organisme récupère. Suit alors un épisode de sommeil dit paradoxal durant entre 10 et 20 min. Le corps ne bouge pas mais le cerveau redevient actif. On estime que cela correspond à la récupération psychique. Le cycle est alors bouclé et un nouveau reprend. Entre 3 et 5 cycles vont se répéter mais à chaque fois le temps de sommeil profond va se réduire au profit d’un accroissement du sommeil léger et du sommeil paradoxal, phases pendant lesquelles on peut facilement se réveiller. Les premières phases de sommeil sont donc les plus récupératrices sur le plan physique (voir aussi l'article Le sommeil sous alcool est-il réparateur ?) . La qualité, l’architecture et la durée du sommeil sont explorées par un examen appelé polysomnographie.
Chez les rongeurs l'exposition en prise aiguë à la cocaïne augmente d’abord l’éveil puis retarde la survenue du sommeil lent et du sommeil paradoxal par rapport au placebo. Un travail a montré que ce retard augmentait en fonction de la dose de cocaïne administrée, le délai de survenue du sommeil étant multiplié par 4 à la plus forte dose (18 mg/kg). La dose la plus élevée augmentait le nombre de réveil et la durée de ces derniers. Des résultats similaires ont été observés chez les chimpanzés.
Dans un travail publié en 1992, trois sujets consommateurs récréatifs de cocaïne en ont pris de 1 à 2 g avant analyse polysomnographique. Le délai de survenue du sommeil paradoxal était augmenté et sa durée diminuée par rapport à une nuit de référence avant la prise de cocaïne. Les nuits suivantes, on observait un retour à la normale, la durée avant apparition du sommeil paradoxal diminuait et sa durée augmentait.
En clair, on s’endort moins vite et on a moins de temps pour rêver.
Chez le rat ainsi que chez le macaque, après auto-administration répétée de cocaïne, les altérations du sommeil diminuent indiquant la survenue d’une tolérance, sans pour autant disparaître.
La plupart des travaux menés chez des consommateurs chroniques s’intéressent au devenir du sommeil après sevrage.
En 2006 douze consommateurs chroniques de cocaïne ont participé à une étude de 23 jours en milieu hospitalier. Le sommeil était analysé par polysomnographie. Des tests de vigilance et d’apprentissage étaient administrés chaque jour et les participants devaient remplir un questionnaire où ils évaluaient subjectivement la qualité de leur sommeil. Après abstinence prolongée (jour 19 et 20), les participants présentaient une diminution du temps de sommeil, une altération de la vigilance et de l'apprentissage procédural dépendant du sommeil paradoxal, ainsi qu'une activité des ondes évocatrice d'une insomnie chronique. Mais, étonnamment, les participants signalaient une amélioration subjective de leur sommeil, indiquant qu'ils n’étaient pas conscients de cette insomnie "occulte".
Une compilation des données de 3 études ayant une méthodologie similaire a été publiée en 2011. Elle portait sur 28 sujets consommateurs chroniques de cocaïne. L’architecture et la durée du sommeil ont été analysées à l’admission puis chaque semaine pendant 3 semaines. Les résultats ont montré une détérioration de la durée totale du sommeil, de celle du sommeil paradoxal, du sommeil léger et de l'efficacité du sommeil, ainsi qu’une augmentation de la durée avant endormissement. Ces observations s’aggravaient de la première à la troisième semaine de sevrage. En revanche, pendant le même temps, une augmentation modeste du temps de sommeil profond était notée.
Une étude publiée en 2016 a analysé le sommeil de 32 sujets consommateurs chroniques de cocaïne après 3 jours de sevrage. Les résultats ont montré une absence complète de sommeil profond et une augmentation du sommeil paradoxal.
La perturbation du sommeil a été indirectement reliée au comportement de rechute chez l'humain. En effet, on a observé qu'une augmentation du temps de sommeil profond pendant l'abstinence a été associée à une augmentation du pourcentage de dépistage urinaire négatif de cocaïne et au nombre de jours consécutifs d'abstinence.
L’impact positif de l’amélioration du sommeil sur la rechute a été montré sur le modèle animal. Des chercheurs ont soumis des rats qui s’auto-administraient de la cocaïne à une restriction chronique du sommeil pendant la phase active de la journée. Cette procédure diminue sélectivement la fragmentation du sommeil paradoxal sans modifier le sommeil normal ou la quantité totale de sommeil quotidien. Après 45 jours de sevrage, les animaux dont le sommeil paradoxal avait été amélioré étaient, par rapport aux rats témoins, peu attirés par la cocaïne qui leur était à nouveau présentée, donc un risque de rechute diminué.
Au total, la cocaïne altère la qualité du sommeil, ce qui empêche l’organisme de récupérer et semble aussi participer au maintien de la consommation.
Bonus vidéo : Quels sont les effets de la cocaïne sur le cerveau ?
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm