Peut-on être addict au shopping ?

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Peut-on être addict au shopping ?

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Selon les dernières recherches en psychiatrie, acheter peut devenir une maladie : les études proposent des critères de diagnostic pour définir le trouble d'achat compulsif

Publié le: 
11/01/2024

Le besoin compulsif d’acheter a été décrit en 1915 par un psychiatre allemand, E. Kraepelin. Il a appelé ce trouble l’oniomanie, du grec « onios », à vendre, et « mania », folie. Des appellations plus modernes ont depuis été proposées : achat compulsif, achat non-contrôlé, achat excessif, fièvre acheteuse, addiction aux achats….. Tous ces libellés désignent la même chose : l'envie irrésistible d'acheter des articles, dont on n’a pas vraiment, voire pas du tout, besoin, dans une démarche animée de frénésie.
Un collège de chercheurs exerçant dans différents pays a proposé en 2021 une liste de critères diagnostiques du trouble. Survenue récurrente de : 

  1. Pulsions et/ou d'impulsions et/ou d'envies et/ou de préoccupations intrusives et/ou irrésistibles pour l'achat; 
  2. Diminution du contrôle sur l'achat; 
  3. Achat excessif d'articles sans les utiliser pour leur usage prévu ; 
  4. Utilisation des achats pour réguler les états internes ; 
  5. Conséquences négatives et altération d'importants domaines de fonctionnement dues aux achats ; 
  6. Symptômes émotionnels et cognitifs à l'arrêt de l'achat excessif ; 
  7. Le maintien ou l'intensification des comportements d'achats dysfonctionnels malgré les conséquences négatives.

Cette liste de critères reste à valider par l’ensemble de la communauté scientifique.
Bien que les symptômes définissant ce comportement partagent largement ceux définissant l’addiction, ce trouble n’est pas officiellement reconnu comme une addiction comportementale et n’est pas non plus répertorié comme un trouble du comportement dans la bible des maladies psychiatriques, le DSM. En effet la frontière entre un achat « normal », bien que soudain, d’un achat « compulsif », également soudain mais non prévu, est parfois ténue. 

Outils de dépistage

Plusieurs outils de dépistage ont été proposés. Il s’agit de questionnaires comportant de 5 à 19 items. Les domaines évalués concernent selon les questionnaires : la fréquence des achats, les achats considérés comme non nécessaires, la culpabilité ressentie ainsi que le soulagement après avoir acheté, l’incapacité à contrôler l’achat, le temps passé à penser aux achats…. Ils s’inspirent largement des outils de dépistage des addictions aux substances et des troubles compulsifs. Aucun de ces outils n’est aujourd’hui validé par l’ensemble de la communauté scientifique.

Observations

Les données les plus récentes proviennent d’une méta-analyse publiée en 2015 portant sur 40 études ayant inclus un total de 32 333 sujets adultes. Les études dataient de 1991 à 2015. Treize avaient été menées aux Etats-Unis et autant en Europe. Comme les populations analysées variaient d’une étude à l’autre, les auteurs de la méta-analyse les ont regroupées en 4 catégories avec comme prévalence

  • 5% chez des adultes représentatifs de la population générale 
  • 12% chez des adultes non représentatifs (par exemple membres du personnel universitaire)
  • 8% chez des étudiants en université
  • 16% chez des sujets venant de réaliser un achat (par exemple les clients d'un centre commercial) 

Ces données doivent être lues avec prudence car l’environnement du consommateur a beaucoup changé. En effet le déploiement d’internet permet d’acheter sans se déplacer, ce qui facilite l’assouvissement d’un besoin immédiat. De plus, les objets achetés en ligne peuvent être renvoyés et remboursés, ce qui atténuerait l’éventuel sentiment de culpabilité suivant l’achat.

Facteurs psychologiques

De nombreuses études ont analysé le profil des sujets acheteurs compulsifs. Les chercheurs s’accordent sur le fait que le trouble est  fréquemment associé à la dépression, l’anxiété et l’impulsivité, qu’il concerne majoritairement les femmes, et que sa survenue est indépendante du niveau socio-économique.
D’autres traits de personnalité ont également été observés dans certaines études mais pas dans toutes, ce qui ne permet guère de conclure. Il s’agit entre autres de : 

  • une estime de soi élevée, 
  • une forte adhésion au matérialisme aggravée par le marketing publicitaire, 
  • la recherche de sensations fortes. 

 

L'acte d'achat

L’achat compulsif est le plus souvent solitaire. Plusieurs facteurs déclenchants ont été décrits par les sujets concernés. Ce sont principalement l’ennui, le stress, la déprime, l’anxiété et la colère. 
Les adolescents et jeunes adultes sont aussi concernés par les achats compulsifs, mais leur motivation est dans la majorité des cas d’acquérir un objet qui permette leur inclusion au sein d’un groupe.
Une fois l’achat réalisé, l’humeur change. Dans une étude portant sur 24 sujets acheteurs compulsifs et 24 sujets témoins, 95% du premier groupe rapportait une nette amélioration de l’humeur contre 25% du groupe témoin. Les chercheurs s’accordent sur le fait que l'acquisition sert un objectif psychologique qui est distinct du désir de posséder des objets. L'état d'esprit négatif est rapidement transformé une fois l'acquisition réalisée. Ce changement d’humeur du négatif vers le positif a été qualifié «d’automédication».

Evolution dans le temps

On dispose de peu de données à cet égard. Dix-sept personnes, 3 femmes et 14 hommes, d’âge moyen 39 ans, souffrant d’un trouble d’achat compulsif, ont été contactés 5 années après le diagnostic initial pour étudier leur évolution. Huit d’entre eux déclaraient que leur trouble avait diminué, 5 qu’il n’avait pas changé et 4 qu’il avait augmenté. Onze disaient avoir essayé d’arrêter ce comportement et 3 y étaient parvenus. Bien que ces observations portent sur un nombre restreint de personnes, elles démontrent la chronicité du trouble.
En conclusion, le trouble d’achat compulsif est un comportement dont la réalité ne peut être écartée mais dont les frontières sont floues. Son éventuelle inscription dans la rubrique « troubles compulsifs » des maladies mentales et la validation d’un outil de dépistage par la communauté scientifique permettraient de faciliter les recherches sur le sujet.
 

Auteur(s): 
Bertrand

Nalpas

MD, PhD, Directeur de recherche émérite - Inserm

MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm

 
Les troubles du comportement reconnus par la communauté scientifique sont listés dans le DSM - Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux - le shopping n’en fait pas partie aujourd’hui
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