5ème partie du dossier dédié aux recherches sur l'addiction aux écrans : troubles psychologiques et physiques
// Lire le début du dossier : Addiction aux écrans : de quels usages parle-t-on ? //
De nombreux travaux ont montré que le séjour quotidien prolongé devant un écran, quel qu’il soit, est susceptible d’entraîner des troubles psychologiques et sociaux comme une augmentation du stress et de l’agressivité, des symptômes dépressifs et /ou anxieux, des conflits interpersonnels, un isolement social, une dégradation des résultats au collège, lycée, université. Selon plusieurs études, ces conséquences sont associées à une diminution du bien-être.
Le FoMo est un phénomène caractéristique de l’utilisation d’internet. Comme Internet permet en théorie de tout connaître à tout instant, ne pas être connecté peut générer une crainte envahissante que d'autres personnes puissent vivre des expériences enrichissantes dont on est absent.
En théorie, souffrir de cette appréhension peut favoriser le développement d’un trouble d’usage d’internet mais l’inverse est également vrai : plus longtemps on reste connecté plus l’envie d’y rester peut grandir. Toutefois les études du lien entre FoMo et usage excessif d’internet donnent des résultats assez discordants, hormis semble-t-il pour l’usage excessif d’Instagram.
Le FoMo peut générer des envies compulsives, obsédantes, à se connecter, du même type que celles survenant en cas d’addiction à une substance et appelées « craving ». Par ailleurs, un travail récent suggère que le FoMo est associé à une diminution de l’estime de soi, surtout lorsque le sujet observe ce que font les autres de son réseau sans lui.
Certains peuvent préférer le développement des relations sociales sur le mode en ligne plutôt qu’en mode réel. Les réseaux offrent en effet la possibilité de chatter avec de nombreux partenaires et de créer une forme d’intimité virtuelle. Cette préférence peut conduire progressivement à un isolement social.
Au moment de l’adolescence, l’isolement social est le fait de jeunes, souvent introvertis, renfermés sur eux-mêmes, qui préfèrent rester à la maison, souvent dans leur lit, sans sortir et ne faisant qu’un effort minimal pour engager des relations interpersonnelles. La forme extrême consistant à vivre confiné pendant de longues périodes sans contact physique avec l’extérieur est nommée « hikikomori » selon l’expression japonaise ; elle est le plus souvent sous-tendue par une pathologie psychiatrique comme la schizophrénie ou l’agoraphobie sévère. Dans cet isolement volontaire Internet est en général le seul canal reliant la personne vers l’extérieur, ce qui peut donc entraîner son usage abusif, problème qui est toutefois secondaire par rapport à la pathologie psychiatrique.
Les travaux menés dans ce domaine s’accordent pour conclure qu'à l'adolescence, période pendant laquelle le cerveau est en plein développement, l’utilisation fréquente et intense des écrans est associée à une diminution des capacités de contrôle. Les données de neuro-imagerie, quoique restreintes, montrent une réduction de la connectivité entre les aires sous-corticales, frontales et pariétales impliquées dans l’attention et le contrôle. Se connecter fréquemment dans la journée et à plusieurs applications différentes augmente la probabilité de développer des troubles de l’attention selon une étude ayant observé plus de 2000 jeunes initialement sans troubles de l’attention pendant 2 ans. Des observations identiques ont été relevées dans des travaux comparant des jeunes hyperconnectés à d’autres se connectant peu fréquemment. Le mécanisme de survenue de ces troubles n’est pas encore identifié.
La pratique quotidienne d’une activité physique d’intensité modérée à forte est recommandée à tous les âges. Selon l’organisation mondiale de la santé, la durée minimale doit être de 60 mn chez les jeunes. Dans une étude menée en 2011 sur 6240 collégiens anglais, la probabilité d’avoir une activité physique était 2,3 fois plus élevée chez ceux passant moins de 2h par jour devant un écran par rapport à ceux y restant 4 h et plus.
La lumière des écrans mobilise l’attention et augmente le niveau d’éveil. De plus, l’exposition à la lumière avant le coucher diminue le taux de mélatonine, hormone qui favorise l’endormissement.
Un travail publié en 2016 a analysé les résultats de 12 études menées sur le sommeil des jeunes. Dans 8 d’entre elles, l’utilisation d’un écran multimédia dans un temps proche de celui du coucher était associée à une réduction de la durée et, dans 7 études, de la qualité du sommeil.
En 2020 selon l’enquête menée par l’Institut National du Sommeil et de la Vigilance, 16 % des possesseurs de smartphone déclaraient être réveillés au moins une fois dans la nuit par un appel ou par le signal d’une notification.
La relation entre visionnage des écrans et prise de poids a été démontrée par plusieurs études longitudinales menées dans les années 1980 sur la télévision. L’augmentation du poids était directement corrélée au temps passé devant l'écran. A l’inverse, des essais bien conduits ont montré que la réduction du temps d’écran était associée à une perte de poids.
Plusieurs facteurs, autres que la simple réduction de l’activité physique, président à la prise de poids : consommation réduite de fruits et de légumes et, à l’inverse, consommation augmentée de snacks, fast-food et boissons énergisantes, le tout conduisant à un accroissement de calories ingérées.
Plusieurs types de troubles oculaires ont été observés chez les utilisateurs de smartphones et de tablettes. Certains sont similaires à ceux relevés chez les utilisateurs d’ordinateurs comme les troubles de l’accommodation (= mise au point). Celle-ci est ralentie et son amplitude est réduite du fait d’une contraction permanente du muscle ciliaire, favorisée entre autres par la fatigue et les mauvaises conditions d’éclairage.
Le clignement des yeux permet d’étaler les larmes sur la cornée pour l’hydrater. Sa fréquence est de l’ordre de 15 à 20 par minute. Regarder fixement un écran pendant de longues heures entraîne une réduction du clignement et peut aboutir à une sécheresse oculaire qui se manifeste par des picotements des yeux. Ces effets sont particulièrement bien établis chez les utilisateurs d’ordinateurs mais les données concernant les appareils portatifs sont à ce jour insuffisantes pour conclure formellement.
Plusieurs études menées en France ou ailleurs en Europe ont analysé les profils psychologiques des personnes qui semblent présenter un usage problématique d’internet et/ou des réseaux sociaux et les ont comparés à ceux de sujets ayant une utilisation non problématique. Ces travaux souffrent de biais méthodologique parmi lesquels : la petitesse et l’absence de représentativité de l’échantillon. En effet les enquêtes sont lancées en ligne et les chercheurs n’ont guère de contrôle sur les internautes participants ; la validité des tests utilisés pour mesurer le trouble d’usage et les profils de personnalité ; la valeur des réponses dans la mesure où les tests étaient toujours auto-administrés. Comme les analyses consistent à scinder l’échantillon en deux catégories, les sujets avec et ceux sans troubles d’usage, et ensuite à les comparer, les résultats obtenus doivent être considérés comme des associations et en aucun cas ni comme une conséquence ni comme une cause de l’usage problématique. Pour démontrer que tel ou tel trait psychologique est un facteur favorisant la survenue d’un usage problématique, il faudrait des études dites longitudinales, c’est-à-dire observant si des sujets présentant ces traits mais initialement sans trouble d’usage ont, par rapport à des sujets n’ayant pas ces traits, plus de risque de tomber dans l’excès d’usage au cours de temps.
Ce type de personnalité est caractérisé par l’intensité et l’instabilité des réactions émotionnelles, ainsi que l’impulsivité des comportements, souvent agressifs. Les relations avec les autres sont précaires et instables. Facebook faciliterait la quête permanente de nouveaux ami(e)s pour combler un sentiment d’abandon réel ou imaginé, mais aussi pour se moquer d’autrui et procéder à du harcèlement et de l’intimidation.
Les personnes narcissiques recherchent activement l’admiration d’autrui et sont intolérantes à la critique. Les autres doivent être le reflet de leur propre grandeur et elles utilisent tous les registres de la séduction et de la flatterie pour contrôler et manipuler les autres, tout en les méprisant. Les réseaux sociaux, dont Facebook, offrent un champ sans limite pour se promouvoir, devenir populaire et recevoir des compliments. Par exemple, ces personnes inondent les réseaux de selfies et autres descriptions positives d’eux-mêmes pour obtenir le plus possible de relations dont le nombre est soigneusement comptabilisé bien qu’elles soient totalement superficielles.
Le narcissisme peut aussi trouver sa satisfaction dans l’appartenance à un groupe. Revendiquer haut et fort sa carte de membre de telle ou telle confrérie, arborer le T-shirt d’un club est une signe de fierté dont l’ego se délecte. Il en est de même pour les groupes sociaux. Faire partie d’un groupe renommé, autour d’une personnalité médiatique par exemple, est particulièrement recherché par le narcissique. Cela lui permet de se valoriser, mais ici non pas en tant qu’individu mais en tant que membre du groupe.
Ce profil est celui des personnes qui ne s’aiment pas elles-mêmes, convaincues de leur infériorité, de leur manque de valeur et d’attrait. Cette faible estime de soi s’accompagne de névrotisme ou tendance à ne vivre que des émotions négatives. Les relations directes avec autrui sont rares, prudentes et rompues au moindre signe négatif. L’interface virtuelle permet de pallier le peu d’exposition dont ils font preuve dans le réel. Appels, textos, emails et réseaux sont quasiment les seuls outils qui leur permettent de créer et de maintenir des contacts de façon plus « anonyme » et avec un moindre risque de rejet, forme de réassurance d’existence. Le trouble d’usage de Facebook serait particulièrement fréquent.
Selon le DSM, la personnalité antisociale se caractérise par la délinquance, l’inconséquence, le manque de scrupules vis-à-vis des autres, le mépris du danger et l’impulsivité, trait de caractère commun avec la personnalité borderline. Les chercheurs suggèrent que les personnalités antisociales utiliseraient les réseaux pour combler un manque de relations dans la vraie vie mais aussi pour trouver du plaisir en scrutant le profil des autres.
Les personnalités de type borderline, antisocial et anxieux, sont connues des chercheurs et cliniciens travaillant dans le domaine des addictions. En effet des travaux de recherche ont montré qu’elles étaient associées à une fréquence élevée de troubles d’usage de substances psychoactives.
Les études de neuroimagerie disponibles ont été menées chez des jeunes ayant une addiction aux jeux en ligne. Les modifications observées, que ce soit sur les plans anatomique ou fonctionnel, ne peuvent être transposées sans vérification aux troubles d’usage d’internet, du smartphone ou des réseaux sociaux, même si elles ont Internet comme dénominateur commun. Des recherches supplémentaires sont nécessaires. Elles ne pourront être menées avec rigueur tant que la notion d’addiction aux divers dispositifs n’aura été clairement définie et que des outils de repérage performants seront disponibles.
Synthèse
Les travaux publiés sur les troubles d’usage d’internet et des écrans sont nombreux. Ils souffrent souvent de biais méthodologiques, ce qui fragilise leurs résultats.
Les données aujourd’hui disponibles permettent d’avancer les points suivants :
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm