
A partir de la découverte d'un traitement contre une allergie de la peau provoquée par le tabac, les chercheurs étudient un nouveau produit pour aider à arrêter de fumer
Arrêter de fumer est une épreuve qui nécessite une forte motivation sur une longue durée car la rechute après le sevrage est fréquente. En effet, d’après Tabac Info Service « environ 75 % des fumeurs qui sont abstinents à 4 semaines ont rechuté à 1 an, la majorité des rechutes se faisant dans les 6 premiers mois ». Plusieurs médicaments d’aide au sevrage du tabac sont commercialisés : il est recommandé de les utiliser en parallèle d’un suivi psychologique, mais des études prouvent qu’ils peuvent aussi aider à arrêter de fumer seuls. (voir article Comment arrêter le tabac en 2024 ?).
L’inconvénient d’un traitement médicamenteux est l’éventuelle survenue d’effets secondaires, qui peuvent conduire à arrêter le traitement. De plus, la plupart des traitements aidant à arrêter le tabac doivent être pris tous les jours, en une ou plusieurs fois, pendant 6 à 12 semaines.
L’observance, c’est-à-dire le respect des modalités de prescription, peut s’en trouver altérée ce qui diminue l’efficacité du traitement. Disposer d’un traitement efficace « allégé », de courte durée et/ou de fréquence d’administration espacée serait un atout.
L’immunothérapie pourrait être une bonne stratégie. Cette approche consiste à apprendre à l’organisme qu’une molécule est nocive et qu’il doit donc la neutraliser en produisant des anticorps. La molécule est ainsi piégée et ne peut plus produire ses effets. C’est le principe de la vaccination. En matière d’addiction, de nombreuses tentatives de traitement par vaccination ont été effectuées, que ce soit pour la cocaïne, l’alcool ou le tabac (voir article Peut-on se vacciner contre l’addiction ?) mais aucun n’a, à ce jour, montré une efficacité suffisante pour être commercialisé...
Le NFL-101 est dérivé d’un composé initialement développé dans les années 1970 par l’Institut Pasteur pour désensibiliser les ouvriers des manufactures de tabac qui avaient développé des allergies de la peau aux feuilles de tabac. C’est un extrait aqueux de feuilles de tabac standardisé (= signifie que la teneur en principe actif est garantie) et dénicotinisé. C’est un produit purement botanique.
Vers le milieu des années 1990, ce produit, qui n'était pas considéré comme un médicament et donc non soumis aux règles spécifiques de prescription, a été utilisé par un médecin comme aide au sevrage tabagique. Les fumeurs à qui le produit était administré en injection sous-cutanée (= sous la peau), une ou deux fois à une semaine d’intervalle, rapportaient une spectaculaire diminution de l’envie de fumer très rapidement après l’injection, le jour même ou le lendemain. Près de 10000 fumeurs, la plupart recrutés de bouche à oreille, ont ainsi été traités. En 2006, 290 sujets ayant été traités en 2003 ont été interrogés sur leur rapport au tabac : 44% d’entre eux déclaraient une abstinence continue d’au moins un an après l’administration de l’extrait et 32% d’au moins trois ans. Cette étude n’a pas été publiée, donc non relue par des experts, les résultats sont donc sujets à caution.
Cela n’a pas empêché une entreprise scientifique (NFLBioSciences®) de s’en emparer afin de promouvoir le développement du produit, de démontrer son efficacité en respectant les règles méthodologiques internationalement validées pour le commercialiser. Une étude, menée en 2014 sur 14 sujets a démontré l’innocuité du produit. Elle a été suivie d’une deuxième étude, menée en 2023 sur 34 sujets fumeurs, dont l'objectif principal était d'évaluer l'efficacité du NFL-101 dans la réduction du renforcement positif, c’est-à-dire l’envie de continuer à fumer, mesurée par un questionnaire validé (voir aussi l'article Renforcement et addiction). Les résultats n’ont pas encore été publiés.
Connaître les mécanismes par lesquels un médicament agit permet d'évaluer sa sécurité et ses effets sur l’organisme. Ceux des médicaments d’aide au sevrage tabagique sont bien établis, sauf celui du bupropion. Les patchs de nicotine sont des traitements de substitution, tout comme l’est la méthadone pour le traitement des addictions à l’héroïne. La varénicline et la cytisine se lient sur les récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine, ce qui empêche la nicotine de s’y fixer et de libérer la dopamine, ce qui active le circuit de la récompense.
Étude d'un modèle animal
L’action du NFL-101 sur les modifications du cerveau suite au sevrage du tabac a été récemment étudiée en laboratoire sur un modèle animal par imagerie cérébrale: la tomographie par émission de positons. Cette technique consiste à injecter dans le sang du glucose marqué par un traceur radioactif. Comme le cerveau utilise le glucose comme source d'énergie, il devient visible sur les images, ce qui permet de mesurer le fonctionnement des différentes zones du cerveau.
Des souris ont été exposées à la fumée de cigarette une heure, 2 fois par jour pendant 4 semaines. Un nombre équivalent de souris servait de groupe témoin et n’était pas soumis à la fumée. Le matin suivant la dernière exposition à la fumée, une imagerie du cerveau a été effectuée chez les souris du groupe exposé à la fumée et celles du groupe témoin. Ces 2 groupes ont ensuite été divisés en 2 sous-groupes, l’un recevant du NFL-101 et l’autre du placebo, soit 4 sous-groupes. Une deuxième imagerie a été réalisée sur les 4 sous-groupes 48h après l’administration des produits.
A l’imagerie post-sevrage tabac, les souris « fumeuses » par rapport aux témoins, présentaient une diminution d’activité du thalamus (- 7%) et du tronc cérébral (-14%). L’imagerie suivante, réalisée 48h après administration de NFL-101, montrait une amélioration significative de l’activité du thalamus (+ 4%) et du tronc cérébral (+7%) alors qu’aucune modification n’était observée chez les souris témoins. Ces résultats sont à rapprocher de ceux d’un essai clinique mené en 2007 qui avait montré sur un petit groupe de participants fumeurs que l’amélioration de l’activité du thalamus, également mesurée par l'imagerie cérébrale, était associée à une diminution des symptômes de manque et d’anxiété après sevrage, données évaluées par un questionnaire.
Rapprochement avec le cerveau humain
Les modalités d’action du NFL-101 sur le thalamus n’ont pas encore trouvé d’explication. Toutefois, le produit cible une structure pertinente pour l’aide au sevrage tabagique. En effet chez la souris, ainsi que chez l’être humain, le thalamus est la zone la plus riche en récepteurs nicotiniques de type α4β2, sous-type impliqué dans le renforcement induit par la nicotine et dont le blocage entraîne une réduction de la consommation chez l’animal (voir article Neurotransmetteurs et substances psychoactives 4 : l'acétylcholine ).
Des analyses immunologiques ont été menées en parallèle de l’imagerie. Elles ont montré qu’après 2 injections de NFL-101 à 3 semaines d’intervalle, des anticorps anti NFL-101 apparaissent dans le sang. On peut alors supposer que ces anticorps capteraient un composé présent dans la fumée du tabac qui empêcherait la nicotine d’atteindre le cerveau. Les travaux pouvant valider cette hypothèse sont en attente.
Le NFL-101 semble donc être un traitement prometteur pour l'aide au sevrage tabagique. Son mécanisme d’action à l’échelle moléculaire reste à préciser. Si les résultats des essais réalisés sont concluants, il restera à mener une dernière étude sur un grand nombre de sujets pour confirmer la solidité des résultats et permettre la commercialisation.
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm
Tournier
Nicolas Tournier est Directeur de recherches du département Pharmacologie et NeuroImagerie à l'Université Paris Saclay/CEA/Inserm/CNRS.