La nicotine a-t-elle un effet sur la Covid-19 ?

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La nicotine a-t-elle un effet sur la Covid-19 ?

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Les fumeurs sont-ils plus ou moins à risque d’attraper ou développer une forme grave de l’infection au coronavirus ? Voici une synthèse des toutes dernières études pour comprendre les liens possibles entre la nicotine et la Covid-19.

Publié le: 
15/05/2020
Modifié le: 
06/11/2020

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Depuis le début de l'épidémie de virus SARS-Cov-2 à l'origine de la maladie Covid-19, des informations circulent suggérant que fumer, et plus spécifiquement la nicotine, aggraverait la Covid-19 et, en même temps, paradoxalement, protégerait contre la contamination. Essayons d’y voir plus clair dans ce brouillard.

Fumer aggrave l’infection par le coronavirus SARS-Cov-2

Rapidement après le début de l’infection, les médecins et les chercheurs ont constaté que parmi les personnes hospitalisées en raison de symptômes de l’infection, celles qui étaient fumeurs actifs progressaient plus vers des formes très sévères et le décès que celles qui ne fumaient pas. Des chercheurs ont calculé que la probabilité de nécessiter un transfert en réanimation, ou une assistance respiratoire, ou de décéder était multipliée par 2,4 chez les fumeurs. Par ailleurs, lors de l’épidémie liée au MERS-Cov, un virus proche du SARS-Cov-2, entre 2012 et 2015, il avait également été rapporté que le tabagisme aggravait le pronostic et la mortalité. Le lien délétère entre tabagisme et infection par le coronavirus est désormais reconnu par la communauté scientifique. 
Il n’est pas étonnant que le tabagisme aggrave la Covid-19. En effet le tabagisme est à l’origine de multiples lésions dans les bronches et les alvéoles pulmonaires, favorisant le développement de bronchites chroniques obstructives, d’infection par divers germes et surtout de cancer. On rappelle que la mortalité liée au tabac en France est estimée à 70000 décès par an. 

Fumer éviterait-il d’être contaminé ?

Bien que fumer aggrave l’infection une fois qu’elle est contractée, des travaux suggèrent que la proportion de fumeurs actifs chez les personnes infectées serait bien moindre que celle observée dans la population générale. Cette observation est l’objet de polémiques entre les épidémiologistes pour plusieurs raisons dont les trois principales sont les suivantes. Premièrement les analyses portent sur les patients infectés hospitalisés, donc les plus graves, et l’âge moyen de ceux-ci est élevé. Or on sait que le tabagisme diminue grandement avec l’âge. Deuxièmement les données recueillies sur le statut tabagique des patients (fumeur actif, ex-fumeur, jamais fumeur) ne sont pas toujours précises et les modalités de classification peuvent être équivoques, comme celle de ranger les « petits fumeurs » parmi les non-fumeurs. Troisièmement, les populations « témoins », c’est-à-dire celles qui sont comparées à celles des hospitalisés, ne présentent pas toujours le même profil socio-économique, paramètre influant sur le tabagisme. 
Enfin un point apparemment ignoré dans les travaux publiés concerne la e-cigarette dont le développement a pourtant été fulgurant ces dernières années. Or, si ce dispositif est supposé être moins nocif que le tabac, il contient de la nicotine à des doses pouvant aller jusqu’à 50 mg/ml dans certains pays. De plus, un travail récent a montré que chez des souris infectées par le virus de la grippe, l’exposition à l’aérosol de la e-cigarette aggravait les altérations des tissus pulmonaires et l’inflammation et diminuait la capacité de réponse à l’infection. Aussi un non- ou un ex-fumeur adepte de la e-cigarette devrait être rangé parmi les fumeurs actifs. La prise en compte de la e-cigarette pourrait modifier les résultats des enquêtes.

Quelle influence sur la consommation de tabac ?

L’aggravation de l’infection par le tabac pourrait inciter à arrêter de fumer au même titre que la protection supposée contre la contamination pourrait inciter à fumer. 
Des chercheurs américains ont récemment lancé une enquête à cet égard sur le web. Les sujets éligibles étaient âgés de plus de 21 ans, fumeurs de tabac et/ou vapoteurs, et avaient déjà essayé d’arrêter. Les questions portaient sur : 

  • la perception du risque lié à la Covid-19 sur leur santé,
  • l’impact de leur tabagisme/vapotage sur le risque d’être infecté,
  • les modifications de leur motivation à arrêter et l’éventuelle réduction de leur consommation en raison des informations diffusées sur le lien nicotine-Covid-19. 

Les réponses étaient sous forme d’un score de 0 à 10. Les réponses de trois cent soixante-six sujets, en majorité des hommes, d’âge moyen 35 ans, ont pu être analysées. Les répondants se sentaient très concernés par le risque de l’épidémie sur leur santé (score moyen 7,9 sur 10) et notaient à 6,6 sur 10 le risque d’aggravation par le tabac/vapotage. Les résultats concernant l’arrêt ou la réduction étaient très partagés. Presque la majorité (48%) des répondants déclarait que la Covid-19 ne changeait en rien leur motivation à arrêter et 45% n’avaient pas modifié leur consommation. Pour les autres, la motivation à arrêter était augmentée chez 35% et diminuée chez 15% des sujets.

Au final, 28% des répondants déclaraient avoir réduit leur consommation, 30% l’avoir augmentée.

Quelle interaction entre nicotine et Covid-19 ?

Pour pénétrer dans l’organisme, le SARS-Cov-2 s’attache au récepteur nommé ACE-2. A l’état physiologique, c’est un des récepteurs du système rénine-angiotensine, un système d’hormones peptidiques et d’enzymes qui joue un rôle majeur dans la régulation du système cardio-vasculaire et neurovasculaire. Une des conséquences largement connues d’un dérèglement de ce système est l’hypertension artérielle. 
L’interaction entre la nicotine et l’angiotensine, une hormone peptidique, est connue depuis longtemps. Des essais cliniques chez des volontaires ont montré que fumer du tabac ainsi que l’inhalation de nicotine provoquaient une augmentation de la tension artérielle. 
Les bronches et les alvéoles pulmonaires sont tapissées par des cellules qui portent de nombreux récepteurs ACE-2 ainsi que ceux auxquels se lie la nicotine, les récepteurs à l'acétylcholine nAChR. 

La nicotine, en se fixant sur le récepteur nAChR, agit sur l’expression du récepteur ACE-2 par un mécanisme non identifié.

Une étude récente chez l’être humain a analysé des échantillons d’épithélium bronchique (=revêtement interne des bronches) provenant de personnes sans pathologie pulmonaire. L’expression de ACE-2 était plus élevée chez les fumeurs actifs que chez les personnes n’ayant jamais fumé ou qui s’étaient arrêtés de fumer depuis au moins 15 ans. Les ex-fumeurs récents (moins de 15 ans d’arrêt) avaient des valeurs intermédiaires. 
Par ailleurs des analyses récentes de la structure de l’enveloppe du SARS-Cov-2 suggèrent qu’il pourrait se lier directement aux récepteurs nicotiniques. En saturant le récepteur nAChR, la nicotine, ou les substituts nicotiniques, pourrait empêcher le virus de s’y fixer, ce qui pourrait être une piste thérapeutique. Mais il ne s’agit là que d’une hypothèse et de nombreuses études complémentaires sont nécessaires.
Pour conclure, le tabagisme est un facteur d'aggravation chez les personnes contaminées par la Covid-19. La protection contre l’infection par la nicotine est, quant à elle, largement sujette à caution. 

Auteur(s): 
Bertrand

Nalpas

MD, PhD, Directeur de recherche émérite - Inserm

MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm

 
Le tabagisme augmente le risque de développer une forme grave de l’infection au Covid-19
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