La consommation de substances psychoactives aussi a un effet sur le renouvellement des cellules du cerveau : ce processus longtemps ignoré fait l’objet d’études avancées en neurosciences...
On a beau rêver de substances qui augmentent nos capacités cognitives comme dans Lucy de Luc Besson où la prise d’une drogue décuple l’intelligence, les substances psychoactives, à l’inverse, agissent au détriment du renouvellement cellulaire dans notre cerveau et de notre mémoire.
Une équipe de recherche en neurosciences des addictions installée à Bordeaux a récemment permis d’éclaircir les liens entre les drogues et la neurogenèse. La neurogenèse est un processus de production de nouveaux neurones qui comprend plusieurs étapes : prolifération des cellules, survie, maturation et enfin transformation (=différenciation) en un type de neurone. Ce processus existe dans de très nombreuses espèces tout au long de la vie mais particulièrement dans l’enfance et à l’adolescence.
Les travaux de l’équipe bordelaise ont montré que les souris chez lesquelles la neurogenèse était artificiellement arrêtée par une manipulation génétique, étaient plus motivées dans la recherche de cocaïne que les souris non modifiées.
Pour cette expérience, les souris ont d’abord été entraînées dans une cage disposant de deux orifices localisés dans les parois opposées. Lorsque le rongeur introduit son museau dans l’un des orifices dit actif, il reçoit une injection de cocaïne par voie intraveineuse, injection associée à un signal lumineux. Lorsque la souris introduit son museau dans l’autre orifice, dit inactif, rien ne se passe. Après plusieurs jours d’entraînement, les souris avec ou sans neurogenèse ont appris de façon comparable à s’auto-administrer de la cocaïne.
Dans un deuxième temps, pour mesurer la motivation pour la drogue, l’exercice se complique : le nombre d’introductions du museau dans l’orifice actif qu’il faut effectuer pour obtenir une dose est augmenté. Les souris dont la neurogenèse était stoppée se sont montrées plus motivées pour rechercher la drogue car plus actives que les autres et n’ont pas hésité à mettre leur museau des dizaines de fois dans l’orifice pour obtenir une seule dose.
Enfin, dans une dernière étape, les souris ne sont plus entraînées et donc ne s’auto-administrent plus de cocaïne. Après deux semaines de sevrage, les souris sont testées de nouveau mais en absence de cocaïne. Lorsque le signal lumineux s’allumait les souris dont la neurogenèse était défaillante ont mis frénétiquement leur museau dans l’orifice précédemment actif dans l’espoir d’obtenir une dose alors que les autres n’ont effectué que quelques tentatives, ces dernières ayant vite compris que la cocaïne ne serait plus délivrée.
L’existence d’une neurogenèse a été évoquée dès 1965 mais le concept n’a été validé par la communauté scientifique qu’à la fin des années 1990. La neurogenèse a été démontrée dans le gyrus denté, zone du cerveau qui fait partie de l’hippocampe. Une partie des nouveaux neurones intègrent le réseau hippocampique. Chez le rat, on estime qu’entre 4000 et 9000 nouveaux neurones sont créés chaque jour, mais seuls 40% arriveront à maturité.
L’hippocampe est une structure cérébrale qui joue un rôle majeur dans l’apprentissage et la mémorisation. Il est connecté avec de nombreuses autres structures cérébrales dont le cortex préfrontal (zone contrôlant les prises de décision) et l’amygdale (zone de la régulation des émotions). La fonction de mémorisation comporte plusieurs étapes : l’enregistrement ou encodage, la consolidation, le stockage (ou l’oubli) de l’information et la récupération de la trace mnésique (= de la mémoire).
Les connaissances acquises permettent aujourd’hui d’affirmer que les nouveaux neurones jouent un rôle important dans l’apprentissage et la mémorisation : ainsi la réduction de la neurogenèse perturbe l’apprentissage et la mémorisation tandis que son augmentation améliore ces processus. Mais augmenter la neurogenèse aurait aussi un autre impact. En effet, l’intégration de nouveaux neurones dans l’hippocampe modifie les circuits existants en y ajoutant de nouvelles connexions. La conséquence, suggérée par plusieurs travaux, serait que l’accès aux souvenirs déjà enregistrés deviendrait plus compliqué, et, le chemin pour les retrouver devenant de plus en plus ardu, cela aboutirait à l’oubli.
A ce jour, les études montrent que toutes les drogues – la nicotine, cocaïne, opiacés, amphétamines, alcool, delta9-tetrahydrocannabinol (THC) contenu dans le cannabis - diminuent la neurogenèse, et ceci de façon dose-dépendante.
Plus les doses de drogues consommées sont importantes, plus le nombre de neurones fabriqué par l’organisme est faible.
Le mécanisme exact de ce phénomène n’est pas encore élucidé. Cette baisse de neurogenèse a été associée à des troubles de mémoire dont souffrent les sujets dépendants. Lorsque la prise de toxique cesse, la production de nouveaux neurones reprend de façon exagérée pendant environ une semaine pour compenser la production qui est restée limitée pendant toute la période de consommation.
Les travaux du groupe de Bordeaux suggèrent le cercle vicieux suivant : la prise de drogues réduit la neurogenèse ce qui a pour conséquence d’augmenter la motivation pour la drogue, motivation d’autant plus augmentée que les taux de neurogenèse sont bas. Chez les souris dont la neurogenèse a été expérimentalement bloquée, il n’y a pas de rebond de neurogenèse après le sevrage. En conséquence les souvenirs liés à la drogue ne sont pas atténués ce qui favorise la rechute et la persévérance à rechercher de la drogue dans les milieux où elles ont été habituées à en recevoir.
Autant une prise unique de drogue va laisser un souvenir qui devrait être progressivement effacé grâce à la reprise de la neurogénèse, autant une consommation de drogue régulière ou fréquemment répétée empêchera la formation de nouveaux neurones et le souvenir restera vivace et facilement activable. Effectivement, après le sevrage il est classiquement admis que tout indice associé à la consommation (le lieu, une personne avec qui on a partagé la drogue, le morceau de musique…) provoque l’envie de consommer des drogues, entraînant ainsi la rechute, au même titre qu’un souvenir associé à un événement traumatique reste puissamment ancré dans la mémoire, comme dans le syndrome de stress post-traumatique qui affecte entre autres les personnes ayant été victimes d’un attentat.
Des expérimentations ont montré que l’exercice physique et un sommeil de qualité sont des moyens d’augmenter la neurogenèse. C’est sans doute pour cela que la pratique du sport et la récupération d’un bon sommeil font partie des outils aidant à éviter la rechute.
VIDEO BONUS : LUCY - BANDE ANNONCE VOST
Abrous
Directrice de Recherches à l'Inserm, U1215 NEUROCENTRE MAGENDIE , Bordeaux
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm