Créés en laboratoire dans les années 1950 et jamais autorisés à la vente, des nitazènes sous une nouvelle formule ont été détectés dans des cas d'overdose...
Les nitazènes sont une classe de produits dont les effets sont similaires et beaucoup plus puissants que les opiacés comme la morphine et le fentanyl (voir vidéo Opiacés et addictions) mais dont la structure est différente. Le premier nitazène, l’étonitazène, a été synthétisé au début des années 1950 par le laboratoire suisse CIBA. Les principales propriétés des nitazènes sont l’analgésie c'est-à-dire la levée de la douleur. Leur efficacité chez la souris qui est de 100 à 1000 fois supérieure à la morphine, a fondé leur inscription dans la liste des drogues en 1961 en raison du risque de survenue d’addiction.
L’utilisation clinique des nitazènes, que ce soit chez l’homme ou l’animal, n’a jamais été approuvée par les autorités de santé au niveau mondial.
Les nitazènes, désormais qualifiés de « nouveaux opioïdes synthétiques », ont refait leur apparition en 2019 sur le marché des drogues, sous la forme d’isotonitazène (« Iso » et « Tony » sont certains de ses noms de rue) puis, en 2020, sous forme de metonitazène.
L’isotonitazène, comme tous les nitazènes, se lie aux récepteurs opioïdes de type µ et les active. Les récepteurs opioïdes µ ont des effets inhibiteurs et sont surtout présents dans le thalamus, le striatum et l’aire tegmentale ventrale. L’activation des récepteurs µ induit un effet renforçant très puissant et est responsable des propriétés addictives des opiacés qui sont utilisés en clinique pour réduire la douleur.
>Voir article Neurotransmetteurs et substances psychoactives 7 : opioïdes
L’isotonitazène est estimé être environ 500 fois plus puissant que la morphine. Sa stabilité, sa réactivité avec d’autres protéines et son métabolisme sont mal connus. Absorbé après prise orale, on suppose qu’il franchit rapidement la barrière hémato-méningée (= membrane lipidique qui protège le cerveau des substances indésirables qui peuvent se trouver dans le sang) car le composé est lipophile (= soluble dans un corps gras). Un travail récent a identifié deux métabolites principaux, détectables dans les urines. L’un d’entre eux est au moins aussi efficace que le composé « parent », ce qui probablement augmente la durée des effets. Le métabolisme du metonitazène est similaire à celui de l’isotonitazène.
On ne dispose pas de données spécifiques. Il est probable que les effets plaisants et recherchés sont proches de ceux engendrés par les opiacés, à savoir la relaxation et l’euphorie.
Aucune donnée n’est à ce jour disponible pour l’isotonitazène mais d’autres composés de la famille des nitazènes, le clonitazène et de l'étonitazène, ont été étudiés à la fin des années 1950, peu de temps après leur création par le laboratoire CIBA.
Le potentiel de dépendance chez l'homme du clonitazène et de l'étonitazène administrés par voie orale, comparé à la morphine, a été étudié chez 40 sujets ayant une longue histoire de dépendance aux opiacés mais abstinents lors de l’expérience. Après administration orale d'une dose unique, le clonitazène (100 mg) s'est révélé être à peu près équivalent à la morphine (20 et 30 mg) tandis que l'étonitazène (0,25 mg) était plus de 80 à 120 fois plus efficace que la morphine. Les deux produits, et particulièrement l’étonitazène, supprimaient les symptômes de sevrage à la morphine.
Chez l’animal, les études ont montré qu’après administration d’étonitazène, l'auto-administration du produit, la tolérance et la dépendance étaient similaires ou supérieures à celles de la morphine ou du fentanyl (voir aussi article Le Fentanyl, du traitement anti-douleur à l’addiction).
Ils sont certainement les mêmes que ceux des opiacés traditionnels : myosis, bradycardie, hypotension, constipation. A des doses plus élevées surviennent la sédation et la dépression respiratoire. Cette dernière risque de provoquer des apnées, des arrêts respiratoires pouvant conduire au décès.
On dispose de très peu de données chez l’être humain. La dose létale n’est pas connue et est d’autant plus difficile à déterminer que l’isotonitazène est souvent pris en combinaison avec d’autres drogues. Chez l’animal, la dose létale est de 1 mg/kg chez la souris et 0,5 mg/kg chez le lapin.
L’ isotonitazène, tout comme le metonitazène, est disponible sous forme de poudre, de comprimé ou de liquide et peut être mélangé à des substances inertes et/ou combinés à d'autres drogues, telles que l'héroïne, le fentanyl et les benzodiazépines. Leur inclusion dans d'autres produits pharmaceutiques n'est pas détectable par les consommateurs. Au cas où les acheteurs de drogues de rue comprennent qu'ils achètent de l'héroïne mélangée à un nitazène, sa qualité et sa quantité ne seront probablement pas divulguées par les fournisseurs qui peuvent tout simplement ne pas les connaître. De plus, comme ces produits sont « récents », l’expérience de leur consommation est peu documentée par les utilisateurs, particulièrement la manière de le doser, ce qui augmente le risque de surdosage potentiellement mortel.
On ne dispose d’aucune donnée de consommation en population générale. Les informations disponibles proviennent de signalement d’utilisation chez des personnes hospitalisées en urgence et/ou décédées suite à une overdose. Le premier signalement date d’Avril 2019 en Estonie. En 2020, six pays de l'Union Européenne ainsi que l’Angleterre et les USA ont également rapporté des cas d’intoxication selon le dernier rapport de l’EMDCCA (European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction) : 2 décès liés à l’isotonitazène ont été constatés en Europe, 3 au Canada et 18 aux USA.
Cette donnée doit être considérée avec précaution car la recherche de nitazène est peu effectuée et le produit difficile à détecter dans le sang et les urines sans appareil sophistiqué. De fait, la concentration moyenne retrouvée chez les 18 sujets décédés aux USA allait de 0,4 à 9,5 ng/ml (1 ng = 0,000000001 ou 10-9 gramme).
Au total, l’isotonitazène est un opioïde synthétique nouvellement venu sur le marché des drogues. Sa puissance le rend particulièrement risqué à manipuler.
Bonus vidéo
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm