Risque d'addiction aux médicaments : le cas des benzodiazépines

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Risque d'addiction aux médicaments : le cas des benzodiazépines

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Prescrits sur ordonnance pour traiter l'insomnie ou l'anxiété, les benzodiazépines sont parfois détournés de leur usage et présentent un risque d'addiction important

Publié le: 
14/06/2024

Les benzodiazépines (BZD) constituent une classe de médicaments dépresseurs du système nerveux central. Ils servent à faciliter le sommeil, diminuer l’anxiété, relaxer la tension musculaire, ou traiter les convulsions. Leur principal effet secondaire est de provoquer une amnésie.
L’adolescence est une période de la vie marquée par des changements majeurs qui peuvent être déstabilisants. Les anxiolytiques et les hypnotiques sont souvent utilisés pour des troubles du sommeil et/ou pour diminuer le stress dus, entre autres, au surmenage ou aux examens, sans qu’il y ait de pathologie mentale sous-jacente. Les prises se font le plus souvent sur ordonnance, mais parfois aussi en s’approvisionnant dans l’armoire à pharmacie familiale avec ou sans le consentement des parents. C’est un usage de confort. Un autre usage est festif où la benzodiazépine est mélangée à d’autres produits psychoactifs (alcool, cannabis...) dans une recherche d’euphorie. En 2017 les taux respectifs d’expérimentation de somnifère chez des adolescents âgés de 17 ans étaient de 7,8% chez les garçons  et 11,9% chez les filles ; pour les anxiolytiques ils étaient de 9,6 et 16,4% (Source : OFDT).
Quoique ces deux modes d’usage diffèrent diamétralement, ils exposent aux mêmes risques d’effets secondaires et de survenue d’une addiction.

Molécules psychoactives

Les benzodiazépines sont une grande famille de molécules qui ont toutes le même noyau central sur lequel se greffent divers radicaux (= molécule qui dispose d’au moins 1 électron libre). La première benzodiazépine, le chlordiazépoxide, a été découverte en 1957 par un chimiste du laboratoire Hoffman-La Roche et commercialisée sous le nom de Librium® dès 1960. Depuis, la famille s’est agrandie. On dénombre plus d’une cinquantaine de médicaments dont 18 sont commercialisés en France. Les plus utilisés sont le diazépam (Valium®), l'oxazépam (Seresta®), l'alprazolam (Xanax®), le lorazépam (Temesta®), le bromazépam (Lexomil®), , le prazépam (Lysanxia®).
Les benzodiazépines agissent sur le GABA, un neurotransmetteur inhibiteur (voir article Neurotransmetteurs et substances psychoactives 2 : GABA). Son récepteur est un canal ionique. La fixation du GABA entraîne l’ouverture du canal qui laisse passer des ions chlores (Cl-) vers les synapses du neurone en aval, ce qui induit une action inhibitrice, c’est à dire l’arrêt de la transmission du signal.Récepteur du GABALes benzodiazépines renforcent la liaison du GABA à son récepteur et augmentent la fréquence d’ouverture du canal, d’où le passage de plus d’ions Cl- et une inhibition plus puissante.
Le récepteur GABA est un assemblage de 5 sous-unités nommées α (dont il existe 6 sous-types), β (3 sous-types), γ (3 sous-types), δ, ε, θ, et π. Le sous-type de l’unité α est déterminant dans l’effet des benzodiazépines : α3 engendrerait un effet anxiolytique important et α5 une forte amnésie.

Comme la composition des récepteurs GABA en sous-unités n’est pas identique d’une personne à l’autre, cela peut expliquer, au moins en partie, la variation de réaction aux benzodiazépines entre les individus.

Différencier les benzodiazépines à action anxiolytique de celles à action hypnotique n’est pas simple. En effet, la plupart des anxiolytiques provoquent le sommeil s’ils sont pris le soir, et la plupart des hypnotiques auront un effet sédatif s’ils sont pris pendant la journée. Les benzodiazépines « hypnotiques » sont celles à demi-vie courte (=qui sont éliminées rapidement par l'organisme).

Amnésie

L’amnésie est particulièrement importante avec les benzodiazépines à demi-vie courte. Elle est de type antérograde, caractérisée par l’oubli des faits récents. L’administration de benzodiazépines à l’insu des personnes permet de les soumettre à la volonté d’autrui sans qu’une résistance puisse être opposée. L’effet amnésiant est majoré lorsque la personne à qui la benzodiazépine est administrée est alcoolisée.

L’alcool et les benzodiazépines activent tous deux les récepteurs GABA ce qui entraîne une inhibition plus puissante du fonctionnement du système nerveux.

Le flunitrazepam (Rohypnol®) dont la commercialisation a été arrêtée en 2013 était l’arme chimique la plus utilisée dans les agressions sexuelles. Aujourd’hui, selon les résultats de 2019 de l’enquête « Soumission chimique » menée par l’ANSM, l’alprazolam a pris le relais.

Addiction

La consommation régulière de benzodiazépines est assortie d’un risque important d’addiction. Des travaux de recherche menés en 2009 ont montré que les benzodiazépines activent indirectement les neurones à dopamine, notamment de l'aire tegmentale ventrale, une région du cerveau qui joue un rôle majeur dans la dépendance et la récompense. 
De plus, les recherches menées chez l’humain et chez l’animal ont montré qu’une forte tolérance aux effets des benzodiazépines survient rapidement. Elle est plus fréquente avec celles à demi-vie courte et concerne particulièrement les effets hypnotiques alors que les effets sur l’amnésie et l’anxiété sont moins altérés. Comme elles ont une faible toxicité, cela incite facilement à augmenter les doses. 
L’arrêt des benzodiazépines après un usage régulier entraîne un syndrome de sevrage qui peut être sévère. Il se caractérise le plus souvent par un ou plusieurs des troubles suivants :

  • insomnie plus ou moins marquée, 
  • irritabilité,
  • anxiété, 
  • attaque de panique, 
  • tremblements des mains, 
  • transpiration, 
  • difficulté à se concentrer, 
  • maux de tête, etc. 

Une forme rare mais sévère de sevrage est la catalepsie caractérisée par une rigidité musculaire totale, la personne restant brutalement figée en pleine action et gardant cette position pendant une durée plus ou moins longue. 
Un travail mené en 2020 a mesuré l’évolution après sevrage des performances de la mémoire verbale, la mémoire visuospatiale, la mémoire de travail, l’attention et les fonctions exécutives chez 92 sujets consommant des benzodiazépines à forte dose (plus de 50 mg/j). Trente jours avant le sevrage, les performances des usagers étaient très inférieures à celles d’un groupe témoin composé de 50 sujets de même âge. Une semaine après le sevrage, les performances s’étaient significativement améliorées sans pour autant atteindre celle du groupe témoin.

Overdose

Un surdosage isolé en benzodiazépines entraîne une dépression du système nerveux central avec des signes vitaux normaux ou proches de la normale. Les symptômes classiques sont les troubles de l'élocution, l'ataxie et l'altération de l'état mental. Les troubles respiratoires sont peu fréquents en cas d'ingestion isolée de benzodiazépines, mais ils peuvent être observés en cas d'ingestion conjointe d'alcool ou d'autres drogues/médicaments comme ça a été le cas pour la mort de Michael Jackson. Une intervention en urgence est alors indispensable, le pronostic vital étant engagé. 
Au total, les benzodiazépines sont des médicaments très efficaces pour traiter l’insomnie et l’anxiété, largement utilisés dans le monde entier à tout âge. Ils ont un potentiel addictif réel et leur arrêt entraîne souvent un syndrome de sevrage désagréable. Les recommandations médicales sont de limiter au maximum leur usage et de ne pas dépasser 3 mois de traitement en continu.

Auteur(s): 
Bertrand

Nalpas

MD, PhD, Directeur de recherche émérite - Inserm

MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm

 
Les benzodiazépines sont des médicaments dépresseurs du système nerveux central dont le principal effet secondaire est de provoquer une amnésie
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