Mémoire et substances psychoactives - 2

8 mins

Mémoire et substances psychoactives - 2

Dossiers

Deuxième partie du dossier de neurosciences consacré à l'impact des substances psychoactives sur le fonctionnement de la mémoire : structures et mécanismes des mémoires

Publié le: 
13/05/2022
L’hippocampe

L’hippocampe est une structure clé dans la mémorisation des informations et dans leur rappel ainsi que dans le traitement des émotions. L’hippocampe consolide les informations stockées en mémoire de travail, il les configure dans l’espace, dans le temps et dans leur contexte, enfin les transforme en souvenirs à long terme qui sont ensuite stockés dans le cortex. 
L’hippocampe prend place dans le circuit de Papez, nom de l’anatomiste l’ayant décrit en 1937. Ce circuit connecte plusieurs structures dont l’hypothalamus, le noyau septal qui inclut le noyau accumbens, l’amygdale, le cortex cingulaire antérieur, structures qui véhiculent les émotions. Il est aussi relié aux cortex sensoriels qui assurent la perception par la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher….. Plusieurs de ces structures font partie du système de récompense, cible principale des substances psychoactives.


L’hippocampe est constitué de plusieurs régions : le gyrus denté et trois couches de neurones dénommées CA1, CA2 et CA3, toutes recevant des informations afférentes via le cortex entorhinal situé sous l’hippocampe. Les régions sont multi-connectées entre elles. Elles filtrent, amplifient et associent les informations, ce qui permet l’encodage. Le signal de sortie est renvoyé vers le cortex entorhinal, le cortex préfrontal, l’amygdale et le noyau accumbens. Comme le cortex entorhinal est connecté à l’amygdale, siège de traitement des émotions, l’état émotionnel module le traitement des informations par l’hippocampe, ce qui retentira sur l’encodage : un événement traumatisant ou à l’inverse très plaisant sera plus fortement encodé, donc conservé, qu’un événement mineur.

Toute lésion de l’hippocampe entraîne une altération de la capacité à former de nouveaux souvenirs.

Par ailleurs, chez la souris, l’activation des neurones du gyrus denté en laboratoire est capable de produire artificiellement des souvenirs et de créer des associations entre des événements séparés.

Les mécanismes d'encodage

Au stade actuel des connaissances, il est acquis que la mémorisation repose sur des modifications de la transcription de gènes de la cellule neuronale et la synthèse de nouvelles protéines. 
L’ensemble du processus de mémorisation repose sur la plasticité synaptique, c’est-à-dire la capacité des synapses à intensifier ou non la transmission du signal d’un neurone à l’autre (voir aussi Addiction et neuroplasticité).

Des travaux fondateurs datant de 1949 ont montré que la puissance de transmission du signal par une synapse augmente lorsque l’excitation du neurone pré-synaptique est corrélée avec celle du neurone post-synaptique. Ce processus, appelé potentialisation à long-terme, est la base de la mémorisation lorsqu’il concerne les neurones de l’hippocampe.
Le neurotransmetteur clef est le glutamate. Sa libération dans la fente synaptique va activer le récepteur NMDA situé en post-synaptique. Lorsque le neurone post-synaptique est dépolarisé, cad est prêt à transmettre un signal, le récepteur de NMDA est suractivé, ce qui provoque un afflux d’ions Calcium dans le neurone post-synaptique. Il s’ensuit une cascade d’activation d’enzymes appelées kinases et il a été montré par des études in vitro et in vivo qu’elles favorisent l’acquisition, la mémorisation, ainsi que la consolidation et la reconsolidation. La phosphokinase A est particulièrement impliquée. Elle va activer une molécule nommée CREB (cAMP-response element binding protein) qui enclenche la modification de la transcription des gènes et l'activation de la synthèse de nouvelles protéines dans les neurones. Celles-ci vont renforcer des connexions synaptiques existantes ou en créer de nouvelles. Ainsi un circuit spécifique de plusieurs neurones va être formé et le souvenir correspond à une variation de leur activité électrique. Comme un même événement peut contenir des informations diverses, par exemple sémantique et épisodique, plusieurs régions du cerveau vont être impliquées, chacune créant un circuit spécifique de neurones. Pour conserver la globalité du souvenir, ces différents circuits sont connectés entre eux et pourront être mobilisés pour la récupération.

La consolidation

La consolidation est un processus visant à assurer la stabilité des notions apprises en vue d’un stockage à long terme. Cela consiste à les organiser et à assurer leur signalisation dans le but de faciliter leur récupération en toute intégrité. Ce processus, dont on sait aujourd’hui qu’il impose la formation de nouvelles protéines, a été associé au sommeil dès la fin du 19ème siècle par Hermann Ebbinghaus, philosophe et psychologue. Il a en effet observé que les informations apprises le jour disparaissent moins vite si l’apprentissage est suivi par une période de sommeil que par une période de veille. 
Les travaux de recherche sur les relations entre sommeil et mémoire ont principalement porté sur la mémoire procédurale et la mémoire épisodique. En utilisant des protocoles de privation partielle de sommeil avec ou sans imagerie fonctionnelle du cerveau, il a été montré que toutes les étapes du sommeil, le sommeil lent profond et celui dit « paradoxal », celui où l’activité du cerveau est intense alors que la personne dort profondément, ont un rôle majeur dans la consolidation de ces mémoires. Le mécanisme de cette consolidation reposerait sur des échanges nocturnes entre l’hippocampe et les sites de stockage : les activités cérébrales associées à un apprentissage diurne seraient répétées pendant le sommeil, période propice au renforcement car l’activité cérébrale de base n’est pas encombrée par le quotidien. De plus, pendant le sommeil les synapses ayant été potentialisées, donc activées pour l’enregistrement, seraient recalibrées de manière à être disponibles pour de futurs encodages. Cette recalibration serait toutefois proportionnelle au degré de potentialisation, permettant ainsi de garder la trace des expériences passées.

Le maintien d’une durée physiologique de sommeil et de son architecture contribue donc à l’amélioration des performances mnésiques.

La récupération

Les processus mis en jeu pour récupérer un souvenir ont été décrits par les chercheurs surtout pour la mémoire épisodique et la mémoire sémantique. Ils sont directement dépendants de l’accessibilité des indices.
Si au moment de l'encodage le sujet a volontairement mis en place des stratégies visant à traiter particulièrement les caractéristiques physiques ou sémantiques de l'événement ou de l'information à encoder alors le rappel sera de meilleure qualité.
La mémoire épisodique est en lien avec la mémoire de travail par l’intermédiaire du buffer épisodique pour la reconstruction des souvenirs dont les éléments sont dispersés dans plusieurs régions du cerveau.
La récupération peut être volontaire ou involontaire.

  • Récupération involontaire

Elle se produit lorsque le sujet est confronté à des informations ou indices qui évoquent un contexte particulier lié à un souvenir personnel. Par exemple, le sujet est sur un bateau et longe la côte d’une île grecque au relief montagneux, les montagnes plongeant dans la mer et cela lui rappelle spontanément des paysages identiques qu’il a vu en Corse. Aucun effort n’a été effectué, le souvenir est venu à l’esprit automatiquement.

  • Récupération volontaire

Dans ce cas, la récupération s’appuie sur des stratégies de recherche en mémoire, ce qui nécessite des efforts. La stratégie consiste à identifier un ou des indices qui permettront de se remémorer une partie du souvenir. A cette pièce du souvenir viendront s’en agréger progressivement d’autres en fonction de nouveaux indices, à la manière d’un puzzle, pour aboutir à la reconstruction plus ou moins complète du souvenir. Cette reconstruction est active et peut demander du temps. Dans certains cas le souvenir sera incomplet car une pièce du puzzle sera manquante, possiblement en raison d’un encodage imparfait.
Le cortex frontal droit est la principale région du cerveau responsable de la récupération en mémoire épisodique.
Après récupération et évocation consciente, un souvenir doit être à nouveau consolidé, ce qui peut paradoxalement entraîner sa modification.

L'oubli

La mémoire devient instable avec le temps, elle se fragilise et conduit à l’oubli.
L'oubli est défini comme la perte d’un souvenir dont le traitement d’encodage et de signalisation avait été correctement effectué. En effet, les informations dont le codage n’a pas été approprié sont d’emblée éliminées par un processus de nettoyage car celles-ci viennent encombrer les circuits et entravent les processus de rappel. 

L'oubli est un phénomène physiologique permettant de préserver l’équilibre du cerveau. Il se distingue de l’amnésie en ce qu’il n’est pas pathologique.

Bien que les mécanismes précis de l’oubli, à l’échelon cellulaire et moléculaire, soient encore mal connus, plusieurs modalités théoriques ont été proposées.

  • La disparition naturelle 

Des souvenirs peuvent disparaître spontanément alors qu’ils ont été correctement encodés. Cela est souvent dû au fait que le souvenir n’est que rarement rappelé, donc reconsolidé. En conséquence les modifications synaptiques le soutenant s’atténuent. Ce phénomène concerne le plus souvent la mémoire épisodique.

  • Le défaut de reconsolidation

L’oubli peut découler de l’altération du processus de consolidation après l’encodage initial ou de reconsolidation après évocation du souvenir. Dans ce dernier cas les erreurs pourraient aboutir à tronquer une partie du souvenir qui alors disparaîtrait progressivement. 

  • L’interférence 

Cette théorie proposée par des chercheurs en psychologie expérimentale suggère que des souvenirs intrusifs seraient volontairement oubliés afin de prévenir des interférences ultérieures avec l’activité de récupération. Elle va de pair avec la psychanalyse puisque Freud avançait que des souvenirs pouvaient être réprimés dans l’inconscient afin de réduire des conflits psychologiques internes, caractérisant ainsi l’oubli motivé. Ce dernier concerne le plus souvent des événements ou des intentions associés à des affects désagréables ou porteurs de stress.
L’interférence souligne que les souvenirs peuvent être par moments trop présents et perturber notre bien-être. 
Certains des réseaux de neurones activés lors de cette modalité d’oubli ont récemment été identifiés et résideraient dans le cortex préfrontal latéral.

  • Le contrôle inhibiteur 

Cette approche théorique peut être considérée comme une extension de la théorie d’interférence. Elle propose que le souvenir ne soit pas effacé mais qu’il soit rendu volontairement ou involontairement inaccessible. L’objectif est d’écarter des informations liées à l’habitude ou aux réflexes qui viendraient automatiquement à l’esprit alors qu’elles sont inappropriées; cela permet de conserver une flexibilité dans la détermination de la conduite à adopter. Le contrôle inhibiteur s’appuie sur deux fonctions indispensables pour décider volontairement d’une conduite à tenir : la sélection de l’information adéquate et l’arrêt de la récupération de celles qui sont inappropriées. Les mêmes réseaux de neurones que ceux du phénomène d’interférence sont concernés.

  • Les mécanismes de l’oubli

Les connaissances dans ce domaine sont encore parcellaires. Les travaux menés chez la souris permettent toutefois d’incriminer les phosphatases. A l’inverse des kinases, les phosphatases entravent l’acquisition de souvenirs et favorisent l’oubli. De fait, chez les souris ayant dans le cerveau un excès de phosphatase provoqué par manipulation génétique, l’oubli est majoré et la formation de nouveaux souvenirs diminuée. A l’inverse, toujours chez la souris, lorsque l’activité des phosphatases est diminuée, la formation de souvenirs est facilitée et l’oubli atténué. 

Lire la suite du dossier Mémoire et substances psychoactives - 3

Auteur(s): 
Hélène

Beaunieux

Professeur de Neuropsychologie

Hélène Beaunieux est professeur de neuropsychologie à l'Université de Caen Normandie, rattachée au laboratoire de Psychologie Caen Normandie.

Anne-Lise

Pitel

MCU, université de Caen-Normandie

Anne-Lise Pitel est maître de conférences à l'université de Caen-Normandie, rattachée au laboratoire Inserm U1237.

Bertrand

Nalpas

MD, PhD, Directeur de recherche émérite - Inserm

MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm

 
Article(s) associé(s):