Les recherches scientifiques permettent de mesurer et comprendre les risques de maladies vasculaires - thrombose, AVC, infarctus - associés à la prise de pilule, de nicotine et des deux associés
Selon les données du baromètre Santé 2021, en France métropolitaine, 23% des femmes âgées de 18 à 75 ans fument quotidiennement. Ce pourcentage s’élève respectivement à 29% pour les 18-24 ans et 31% chez les 25-34 ans.
Ces tranches d’âge sont également celles où les femmes utilisent le plus la pilule contraceptive. D’après l’enquête la plus récente de Santé Publique France, datée de 2016, la fréquence d’utilisation est d’environ 60 % chez les 15-24 ans, 48% chez les 25-29 ans et 35 % chez les 30-34 ans
La majorité des pilules contraceptives utilisées sont oestroprogestatives. Elles contiennent deux hormones qui inhibent l'ovulation : un oestrogène naturel (l’estradiol) ou de synthèse (l’éthinylestradiol) et un progestatif de synthèse. Les pilules progestatives seules représentent moins de 15 % de l’ensemble des pilules utilisées.
La pilule contraceptive oestroprogestative et la nicotine contenue dans le tabac sont chacune capables, par des mécanismes différents, de provoquer des thromboses, c’est-à-dire des obstructions des vaisseaux sanguins. Selon les données de la littérature médicale, ce risque est minime, voire nul, en cas de prise de pilule ne contenant que des progestatifs.
Examinons en détail les risques de thrombose associés à la prise de la pilule oestroprogestative, à ceux liés au tabac et enfin à ceux liés à l’association pilule-tabac.
Données cliniques et épidémiologiques
La conséquence clinique la plus fréquente est la phlébite veineuse, c’est-à-dire l’obstruction d’une veine par un caillot. Elle survient le plus souvent dans une jambe. La jambe est alors douloureuse, gonflée, rouge et chaude. Le caillot peut parfois migrer jusqu’aux poumons et bloquer l’artère pulmonaire créant ainsi une embolie pulmonaire. Les signes cliniques en sont : douleur dans la poitrine, essoufflement, augmentation du rythme cardiaque, malaise et crachement de sang.
La fréquence de maladie thrombotique veineuse varie entre 5 et 7 cas pour 10000 chez les femmes prenant une pilule de 2ème génération (dose réduite d'oestrogènes) contre 2 pour 10000 chez celles n’en prenant pas et n’étant pas enceintes. Le risque est plus important pendant les 6 à 12 premiers mois suivant l’initiation du traitement et surtout en cas de première prescription. En outre, il s’accroît avec l’âge. Après 35 ans, l’accident thrombotique veineux concerne 12 femmes sur 10 000 qui utilisent une contraception œstroprogestative, contre 3,5 sur 10 000 chez les non utilisatrices. A l’arrêt de la prise de la pilule, le risque thrombotique qui lui est lié disparaît en environ 3 mois.
Une autre conséquence clinique liée à la prise de pilule peut être la survenue d’un accident vasculaire cérébral mais le risque est plus faible que celui de thrombose veineuse, environ 2 pour 10000.
Mécanismes
Pour circuler correctement vers et dans les organes le sang doit être fluide. Pour ce faire, il contient des molécules inhibant naturellement la coagulation, comme l’anti-thrombine. Toutefois, en cas de blessure provoquant un saignement, le sang doit pouvoir coaguler pour arrêter l’hémorragie. En conséquence, il contient aussi des protéines qui sont capables de provoquer la coagulation, comme la prothrombine. La fluidité du sang dépend donc d’un savant équilibre entre les activités respectives des protéines coagulantes et anti-coagulantes.
La pilule oestroprogestative agit négativement sur les deux composantes de cet équilibre : elle entraîne à la fois une augmentation des protéines sanguines favorisant la coagulation du sang et elle réduit l’efficacité des protéines anticoagulantes. Ces changements dépendent entre autres de la dose d’œstrogène et de la nature du progestatif. Un facteur génétique est aussi incriminé. En effet, une mutation sur un gène codant pour une protéine de la coagulation entraîne une perte de sa fonction anticoagulante. Cette mutation est observée essentiellement dans la population blanche où sa fréquence est de 5 à 8% avec de fortes variations d’un pays à l’autre.
Données cliniques et épidémiologiques
Fumer est un facteur de risque majeur de survenue d’athérosclérose, pathologie caractérisée par un dépôt de lipides (=athérome), comme les triglycérides et le cholestérol, sur les parois internes des vaisseaux sanguins. Les conséquences cliniques sont multiples car les plaques d’athérome peuvent se détacher de la paroi des vaisseaux et aller boucher un vaisseau en aval. L’infarctus cardiaque et les accidents vasculaires cérébraux sont les pathologies les plus couramment observées.
En France 123000 personnes ont été hospitalisées pour un AVC en 2019, dont environ 10% étaient âgées de moins de 45 ans. Chez ces derniers, les ⅔ sont dûs au tabac.
Environ 80000 cas d’infarctus sont répertoriés chaque année, dont les ¾ sont dûs au tabac chez les moins de 45 ans. Depuis quelques années, on observe une augmentation des infarctus chez les femmes jeunes.
Mécanismes
Les mécanismes précis par lesquels le tabac provoque ces phénomènes ne sont pas encore totalement élucidés. L’étape initiale semble être une lésion de la paroi vasculaire à laquelle vont s’associer entre autres une inflammation, un stress oxydatif, une anomalie des lipides circulants et une altération des fonctions de l’endothélium vasculaire, c’est-à-dire des cellules qui tapissent la paroi interne des vaisseaux et dont la fonction est de réguler le tonus vasculaire. Des travaux ont montré que la nicotine seule provoquait un dysfonctionnement de l’endothélium vasculaire. Les études n'ont pas montré de corrélation entre la quantité de tabac fumé et l’intensité des lésions, ce qui suggère que des facteurs génétiques et environnementaux jouent un rôle dans la genèse et la progression des lésions.
Dès 1996 une enquête internationale a montré que le risque de survenue d’une thrombose était multiplié par 2 en cas de prise de pilule oestroprogestative et par 7 si cette dernière était associée au tabagisme.
Effet des oestrogènes sur la nicotine
Deux études menées chez des personnes jeunes ont montré que l’élimination de la nicotine était de 20% plus rapide chez les femmes que chez les hommes. De plus, chez les femmes la prise d’une pilule oestroprogestative provoquait, par rapport à celles n’en prenant pas, une augmentation de 30% de l’élimination. Ces modifications sont probablement dues aux oestrogènes car, d’une part, elles ont été observées dans une étude sur des femmes enceintes qui fumaient et, d’autre part, elles ne survenaient pas chez les femmes prenant une pilule progestative pure. De fait, il a été montré que les oestrogènes augmentent la synthèse et l’activité d’une enzyme du foie chargée de l’élimination de la nicotine et de ses dérivés.
Un métabolisme rapide de la nicotine a des conséquences notables puisque des travaux ont montré qu’il est associé à une consommation accrue de cigarettes ainsi qu’à un craving et des symptômes de sevrage intenses.
Effet de la nicotine sur les oestrogènes
Des études menées chez la souris femelle ont montré que la nicotine accélérait le métabolisme des oestrogènes mais uniquement lorsque ceux-ci étaient administrés à forte dose. Le mécanisme en est une augmentation de la transformation par le foie de l’oestradiol en des composés très peu actifs. Il n’y a par contre pas d’incidence en cas de prise de pilule car la dose d’oestrogène est faible.
Au total, l’association pilule-nicotine est particulièrement délétère. Les deux composants agissent de façon synergique mais complexe. Le nombre total d’accidents vasculaires (thrombose et autre) par an chez la femme jeune prenant la pilule est relativement faible, environ 60 accidents par an pour 100000 femmes (données 2016). Toutefois des études ont estimé que chez celles prenant une pilule oestroprogestative, fumer augmente le risque d’un facteur 30.
Abandonner la cigarette industrielle pour la vapoteuse ou le puff n’y changera pas grand-chose sauf si le taux de nicotine dans ces dispositifs est de zéro.
Nalpas
MD, PhD
Directeur de recherche émérite
Département Information Scientifique et Communication de l'Inserm